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Nos Lecteurs ont la Parole

Le rapatriement, les Libano-Canadiens, leur égarement et moi !

J’ai voulu adresser une lettre à la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, en réaction à des lettres et des commentaires qui circulent sur les réseaux sociaux sur le rapatriement des Libano-Canadiens.

Je suis très reconnaissante, madame, pour m’avoir reçue au Canada, lorsque j’avais perdu mon père dans une sale guerre, lorsque je n’avais plus de toit et plus de repère, lorsque je n’avais qu’une petite valise à emporter pour arriver jusqu’à chez vous, dépouillée, démunie et brisée. J’ai volontairement et sciemment quitté mon pays : violence, guerre et décadence tricotaient mon quotidien. Je n’avais plus rien à gagner ni à perdre même pas un semblant de vie. Mes parents, mes amis, chacune de mes connaissances étaient déjà partis bien avant moi. Au Canada, vous m’avez ouvert grands les bras, malgré mes faiblesses, mon impuissance et ma tristesse. Vous m’avez dit : « Fais toi en pas, nous sommes là pour toi. » Vous avez tenu parole. Vous avez fait de chez-vous un chez-moi. Un chez-moi prévenant, obligeant, respectueux de mes droits, un chez-moi sans frontières, cousu de dignité et de liberté. Vous avez partagé avec moi ce que vous avez. L’avenir, vous me l’avez offert gratuitement : vous m’avez ouvert des portes que mon chez-moi a gardées fermées.

C’est grâce à vous que j’ai avancé, grâce à votre tolérance, à votre foi et confiance en moi. Non, je ne vous ai pas enrichis. J’étais cassée comme un vieux clou lorsque je suis arrivée chez vous. Et si à mon arrivée j’ai été un poids pour vous, je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Vous m’avez intégrée chez vous, vous m’avez octroyé prêts et bourses universitaires, vous m’avez offert un emploi, un salaire à la hauteur de mes compétences, une assistance sociale et médicale, vous avez vu naître mes enfants, m’avez aidée à les élever dans la fierté, vous avez respecté mes valeurs, vous vous êtes inclinés face à mes croyances, vous m’avez accepté telle que je suis, comme je suis. Vous m’avez donné des ailes pour m’apprendre à voler et réaliser mes ambitions, mes vœux et mes aspirations. Vous m’avez protégée et fait de moi une personnalité juridique capable d’exercer tous ses droits, un être entier, responsable et obligé. Si je suis devenue ce que je suis, c’est beaucoup grâce à vous. Vous m’avez même déclarée citoyenne canadienne.

Je ne penserai pas qu’il existe une communauté meilleure qu’une autre au Canada. Toutes les communautés y sont égales devant la loi et dans la loi, les réunissant toutes sous le drapeau canadien, sans aucune distinction de religion, de race ou de confession.

La participation de toutes les communautés du Canada à la vie canadienne fait sa richesse et sa particularité : nous sommes un pays multiculturel, et ce multiculturalisme nous distingue précisément.

Nous contribuons tous à l’essor économique et culturel du Canada, nous payons tous des impôts sur nos revenus en contrepartie de tous les avantages que nous recevons, les services sociaux, éducatifs, médicaux, les réseaux routiers, les transports en commun, les loisirs, les sports, les retraites pour nos vieux jours, les soins à nos aînés et j’en passe.

Si je reviens quelquefois chez moi, c’est pour mieux apprécier le chez-vous devenu sciemment, consciemment et volontairement le chez-moi.

Car lorsque je reviens chez moi, je pleure un peuple qui a tout négligé, omis et manqué, même sa dignité. Un peuple qui a perdu confiance, loyauté et croyance, qui se nourrit d’infirmation, de déni et de résignation. Un peuple vivant dans un pénitencier mais à qui, de temps en temps, ses geôliers permettent amusement, ludisme et délassement. Un peuple étouffé sous des apparences, des semblants et des contenances. Un peuple agonisant, passant et trépassant qui survit par défaut de périr, qui tolère la présence de représentants sans foi ni loi, un peuple qui avoue son incapacité à apporter la vérité sur la plus grande explosion du siècle, un peuple inerte qui reconnaît sans sourciller que ses économies et son épargne ont été bloquées, retenues, volées, un peuple qui excuse les pénuries d’électricité d’eau et des services de santé. Un peuple qui se nourrit d’indifférence, d’insouciance et d’arrogance. Il semblerait que c’est de la résilience ou de la résistance. Je vous dirai que c’est de l’inconscience, une sorte de démence et d’égarement qui valsent avec l’ignorance et l’incompétence.

Le Liban, madame, est un pays magnifique. Le bon Dieu dans sa générosité et son amour immense nous a offert mer, ciel, terre, montagnes et plaines. Malheureusement, nous n’avons pas su le garder ni le préserver, je me demande même si on le méritait. Le Liban n’est multiconfessionnel que dans ses apparences. Il est devenu très raciste, on ne supporte pas l’étranger par ici sauf celui qui vient débourser son argent. La main-d’œuvre étrangère qualifiée est maltraitée, les employés temporaires mal payés. Pour les réfugiés, je préfère ne pas vous en parler. On n’a pas eu honte de dire à mon amie musulmane qu’elle ne le paraissait pas !

Avec la crise économique et la pandémie de Covid-19, la famille a éclaté, les mœurs ont changé, les traditions se sont évaporées. La société est devenue affectée, fausse et empruntée !

Aujourd’hui, comme à l’instar de l’été 2006, les Libano-Canadiens ou les Libanais résidents permanents sont venus volontairement passer des vacances au Liban ou visiter leurs parents. Certains ont opté de demeurer au Liban, bon gré, malgré. À l’époque de la guerre de 2006, vous avez rapatrié, grâce à votre générosité et votre sensibilité, les Libano-Canadiens et les résidents permanents du Canada se trouvant au Liban dans un état de risque et de péril. Vous avez craint pour la sécurité de leur vie. Vous les avez accueillis à travers toutes les provinces du Canada, vous leur avez offert secours, soutien et concours. L’opération a coûté au gouvernement canadien 96 millions de dollars.

Suite à ce rapatriement que certains pensaient être une balade Club Med, vous avez découvert hélas la plus grande opération frauduleuse du siècle : des Libano-Canadiens et des résidents permanents du Canada simulaient une résidence au Canada alors qu’ils n’y résidaient pas. Quelle honte pour un peuple qui se dit honnête, loyal et correct. Quel abaissement pour un peuple qui mène double vie pour profiter de votre générosité, votre clémence et votre bonté. Un peuple qui s’est dépêché de rentrer bien chez lui en août 2006 après avoir abusé de votre hospitalité, votre abri et votre sécurité. Croyez-moi, il m’est malheureux de faire ce constat inconvenant, indigne et déshonorant.

Aujourd’hui et face à la situation qui règne au Liban, certains ont l’impertinence de commenter les messages d’alerte pour des fins de sécurité adressées aux Libano-Canadiens les priant de ne pas voyager au Liban ou de le quitter s’ils s’y trouvent pour sauvegarder la sécurité de leur vie. Je ne connais pas la finalité de ces commentaires ou je ne l’ai pas comprise. Une chose me semble évidente : s’ils sont venus au Liban ou s’ils y sont, c’est qu’ils sont heureux d’y être et d’y rester, mariages, concerts, bals, restaurants, fiesta, couchers de soleil, excursions, ils s’éclatent, se crépitent pensant que le Liban est un grand hôtel qu’ils peuvent visiter à leur gré. Alors pourquoi les prévenir, les empêcher et les déranger ? Pourquoi leur demander de quitter leur somptueuse et fastueuse auberge où ils peuvent s’éclater, se vanter, s’exalter, danser et chanter parce que, voyez-vous, on a beau chasser le naturel, il revient au galop !

Gardez-les au Liban : ils sont dans leurs familles, dans leur village, leur ville ou leur montagne. Ne vous agitez pas, ne vous alertez pas, ils sont dans leur pays d’origine ou de naissance où ils semblent être comblés, contents et enchantés. Le Liban les protégera, puisqu’ils sont d’abord libanais et, après tout, ils sont bien chez eux.

Réfléchissez autrement, lisez la Charte canadienne des droits et libertés : respectez leur choix, leur liberté de mouvoir, de se déplacer selon leur gré et leur volonté, parce que, madame, les impôts des Canadiens et des Canadiennes ne doivent pas servir à payer des billets de retour au bercail. Les contribuables canadiens l’ont fait en 2006 et ça doit finir là.

Le Canada n’est pas une destination touristique ni même un club de voyage, du moins pas encore…

Respectueusement.

N.B.  : J’ai omis de vous dire que je n’ai toujours pas le droit de transmettre la citoyenneté libanaise à ma fille née d’un père canadien ! C’est pour vous dire le respect aux droits des femmes par ici !

Carole Georges CHELHOT

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

J’ai voulu adresser une lettre à la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, en réaction à des lettres et des commentaires qui circulent sur les réseaux sociaux sur le rapatriement des Libano-Canadiens.Je suis très reconnaissante, madame, pour m’avoir reçue au Canada, lorsque j’avais perdu mon père dans une sale guerre, lorsque je n’avais plus de toit et plus de...
commentaires (1)

Madame Chelhot, C’est un texte magnifique que vous avez écrit. Vous êtes un exemple abouti d’intégration réussie, un exemple de cette immigration de qualité que toutes les nations souhaitent. À la lecture de votre courrier, j’ai une proposition à vous faire, et cela, pour parfaire votre intégration. Allez vivre dans votre pays d’adoption et rayez votre nom des registres libanais. Dénoncez votre citoyenneté libanaise, celle que vous partagez avec un peuple que vous conspuez. Un peuple avec lequel vous ne partagez rien, ni son racisme et ni son amour primaire pour la fête.

Sleiman BRAIDI

19 h 09, le 07 août 2024

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Commentaires (1)

  • Madame Chelhot, C’est un texte magnifique que vous avez écrit. Vous êtes un exemple abouti d’intégration réussie, un exemple de cette immigration de qualité que toutes les nations souhaitent. À la lecture de votre courrier, j’ai une proposition à vous faire, et cela, pour parfaire votre intégration. Allez vivre dans votre pays d’adoption et rayez votre nom des registres libanais. Dénoncez votre citoyenneté libanaise, celle que vous partagez avec un peuple que vous conspuez. Un peuple avec lequel vous ne partagez rien, ni son racisme et ni son amour primaire pour la fête.

    Sleiman BRAIDI

    19 h 09, le 07 août 2024

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