
Colete Naufal lors d'une conférence de presse en 2011. Photo DR
26 septembre 2006. Le restaurant Al Dente, rue Abdel Wahab, à Achrafieh, est bondé de journalistes. Sous les crépitements des photographes, une petite tête à la frange rousse fixe l’objectif d’un air déterminé et lance à la ronde : « Nous voulons faire du cinéma, pas la guerre. » Colette Naufal aura fait du cinéma sa guerre personnelle. Disparue mardi 30 juillet à l’âge de 78 ans, après un long combat avec la maladie, elle a marqué les annales culturelles de son caractère bien trempé mais cordial. En créant le Beirut International Film Festival (BIFF) en 1997 et, jusqu’en 2019, elle s’est battue pour le voir grandir et devenir une plateforme pour les films internationaux et libanais/arabes.
Un festival qui se voulait l’écho des problèmes du monde mais aussi le miroir de sa beauté.
Tout au long des éditions successives du festival, Colette Naufal se retrouvait souvent dans la position du premier soldat tenant la lance contre Dame Anastasie. Qu’elle soit entreprise par la Sureté générale libanaise comme pour l’interdiction de la projection du film iranien Green Days, de la réalisatrice Hana Makhmalbaf, traitant des protestations contre la réélection contestée de l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad, ou suite au coup de fil d’un ambassadeur, en l’occurrence celui d’Iran, qui a fait disparaître de l’affiche, en 2011, le documentaire Rouge, Blanc et Vert, du réalisateur iranien Nader Davoodi, qui a été interdit de se rendre au Liban par les autorités iraniennes.
« Nous (les organisateurs du BIFF) sommes pour les libertés de pensée et d’expression. Quand un film est bon, nous aimons bien le projeter dans le cadre du festival », martelait Colette Naufal qui était même allée jusqu’à organiser en 2011 au cinéma Planète Abraj un événement unique : la projection de films interdits par la censure entre 2009 et 2010. De nombreux films avaient été censurés et même interdits au Liban pour des raisons soit d’ordre religieux, soit moral, ou social. Ainsi Paolo Benvenuti, le cinéaste italien sulfureux, s’est vu deux fois interdire la projection de ses longs-métrages après l’avis du Conseil catholique des médias.
« Elle a lancé la première édition du festival avec quinze films seulement pour accueillir quelques éditions plus tard, entre 60 et 80 films par an », indique le journaliste Bassem el-Hage, qui faisait partie de l’équipe entourant Naufal et Alice Eddé.
De Cannes à Berlin, en passant par Venise, le BIFF a accueilli de nombreux cinéastes internationaux majeurs, tels que Francis Ford Coppola, Juliette Binoche, Julie Gayet, Gianfranco Rossi, etc, se souvient el-Hage. « Le BIFF était une plate-forme pour mettre en valeur les films de réalisateurs libanais, à la fois des étudiants universitaires connus et émergents, et un espace pour présenter les films de cinéastes iraniens opprimés dans leur pays, tels que Abbas Kiarostami et Jaafar Panahi. »
Pour le journaliste, la directrice du BIFF reste sans aucun doute d'un grand mérite dans le domaine du cinéma. « Elle a contribué à la vitalité cinématographique qui a donné une image culturelle lumineuse du Liban après la guerre et avant le grand effondrement. Sa nature fougueuse n'est parfois que le reflet d'une passion rarement vue auparavant et d'un souci d'exceller dans les moindres détails. »
Toutes mes condoléances à ses proches
08 h 47, le 02 août 2024