
Le ministre sortant de la Culture, Mohammad Mortada, s'entretenant avec le commandant de l'armée, Joseph Aoun, à Yarzé, le 10 juillet 2024. Photo fournie par l'institution militaire
Un dénouement heureux, à la libanaise. Le ministre sortant de la Culture, Mohammad Mortada (gravitant dans l’orbite du tandem chiite Amal-Hezbollah), est enfin parvenu à régler le désaccord entre le ministre sortant de la Défense, Maurice Slim (proche du Courant patriotique libre), et le chef de l’armée, Joseph Aoun, bête noire du courant aouniste, autour des résultats du concours d’entrée à l’École militaire. Ceux-ci avaient été approuvés par le conseil militaire (organe décisionnel de l’armée), mais se heurtaient à l’opposition de M. Slim de donner son feu vert. Deux cents nouvelles recrues vont donc faire leur entrée au sein de cette institution, comme le voulait Maurice Slim… mais aussi Joseph Aoun.
Rappelons d'abord que cette affaire remonte à août 2023. Le gouvernement sortant avait alors autorisé le commandement de l’armée à organiser un concours d’entrée à l’École militaire afin de recruter 173 nouveaux officiers. Sauf que le commandement en chef n’a sélectionné que les 118 candidats (sur les 800 qui s’étaient présentés aux épreuves) ayant réussi les tests sans note éliminatoire, en respectant le principe de la parité islamo-chrétienne. En face, M. Slim reprochait au chef de l’institution militaire d’avoir finalisé le processus alors qu’il devait, selon lui, organiser un nouveau concours et admettre 55 autres élèves de sorte que l’on parvienne au chiffre de 173.
Ironiquement, c’est, en gros, la solution sur laquelle ont débouché les contacts menés ces derniers jours dans les coulisses. L’Orient-Le Jour a appris que lors de la séance du Conseil des ministres à laquelle il a été convié mardi dernier au Sérail, Joseph Aoun s’est montré « ferme » dans son insistance pour que le ministre de la Défense signe les résultats du concours (organisé en 2023) sans plus tarder. « Il a également mis en avant le besoin urgent de l’armée et du reste des institutions militaires de recruter de nouveaux éléments », rapporte une source gouvernementale haut placée. « C’est pour cette raison que le cabinet a chargé le ministre de la Culture de mener une mission de bons offices entre MM. Slim et Aoun. « Les deux hommes ont été convaincus de la solution que j’ai proposée », déclare ce dernier à L’OLJ. Celle-ci consiste à organiser un nouveau concours d’entrée qui permettrait de recruter 82 nouveaux officiers qui viendront s’ajouter aux 118 déjà sélectionnés par le commandement de l’armée. Ces 200 jeunes officiers feront officiellement leur entrée à l’École militaire en octobre 2024, apprend-on de sources concordantes. Le Conseil des ministres se réunira jeudi pour entériner cette décision.
Dans la forme, c'est la solution pour laquelle pressait Maurice Slim depuis le début de cette affaire qui a été adoptée, se félicitent des milieux proches du ministre. Mais à Yarzé, on estime aussi que le commandant de la troupe est sorti vainqueur de cette bataille. « Le chef de l’armée a pu imposer sa volonté, notamment pour ce qui est de la tenue de la nouvelle édition du concours conformément aux critères respectés pour le recrutement des 118 officiers qui attendent leur admission officielle à l’École militaire », affirme une source proche du dossier, sous couvert d’anonymat, laissant entendre que le ministre de la Défense pressait pour abaisser la moyenne requise pour l’admission de jeunes officiers. Une information démentie par une source proche de M. Slim.
Les garanties de Berry
Comment expliquer le pas en arrière de Joseph Aoun ? De source proche du dossier, on laisse entendre qu’il résulte d’un entretien qu'il a eu avec le président de la Chambre, Nabih Berry. « Le commandant de la troupe ne va pas ouvrir la nouvelle session du concours pour recruter 82 nouveaux officiers avant que Maurice Slim ne signe les résultats concernant les 118 élèves officiers encore en suspens. Il a obtenu des garanties dans ce sens de la part du chef du législatif », rapporte cette source. « C'est un point Joseph Aoun a marqué dans les filets de M. Slim qui voulait organiser un concours consacré aux 55 personnes ayant raté leur chance en 2023, ce que le chef de l’armée refusait catégoriquement », commente pour L’OLJ une source proche du général.
Les milieux de Aïn el-Tiné s’abstiennent de commenter ces détails, se contentant de faire valoir que « M. Berry est pour toute solution à même de préserver l’intérêt de l’institution militaire », pour reprendre les termes d’un proche du président du Parlement. Il dément, par la même occasion, les informations véhiculées lundi dans certains médias proches du Hezbollah, selon lesquelles le feu vert de Joseph Aoun à cette entente aurait été conditionné par une nouvelle prorogation de son mandat à la tête de la troupe en janvier 2025, après celle votée au Parlement le 15 décembre 2023. Et le ministre de la Culture assure que le président de la Chambre « n’était pas au courant des efforts » de médiation entre Maurice Slim et Joseph Aoun.
Reste une dernière question, et pas des moindres, à poser : quel sera le prix que le chef du CPL exigerait en échange de ces garanties promises par Nabih Berry avec lequel il vient de rétablir les ponts ? La véritable réponse est à attendre dans les prochains mois ou… lors du futur mandat présidentiel.