Alors que les médiateurs – qui avaient lancé des initiatives de rapprochement entre les blocs parlementaires – attendaient une réponse du président de la Chambre sur la possibilité d’appeler à un dialogue national au Parlement dès que la présence de 86 députés serait assurée, ce dernier a annoncé par le biais du quotidien al-Chark
al-Awsat qu’il ne comptait convoquer une réunion des différents blocs que si tous sont présents. Nabih Berry a même précisé qu’il ne veut pas contribuer à l’exclusion de qui que ce soit, qu’il s’agisse des Forces libanaises ou des Kataëb, lesquels refusent jusqu’à présent de participer à un tel dialogue, et cela, a-t-il dit, s’inscrit dans la pure tradition du mouvement Amal qui, pendant les années de la guerre civile, avait déjà refusé d’exclure les Kataëb du dialogue national.
Cette position claire et sans appel a surpris ceux qui avaient lancé des initiatives pour hâter la tenue d’un dialogue national, comme le bloc de la Modération nationale ou même celui du Liban fort (du Courant patriotique libre). Ceux-ci avaient en effet cru comprendre que ce scénario pourrait être adopté pour lancer le dialogue dès que la présence de 86 députés serait assurée afin d’aboutir à l’élection d’un président de la République. Ce qui, aux yeux de ces blocs, reste la priorité absolue, car elle permettra de relancer les institutions de l’État.
Chacun a donc essayé d’interpréter la position du président de la Chambre à sa manière. Pour certains, elle permet à Berry de tendre la main aux FL et aux Kataëb en leur offrant une possibilité de revenir sur leur refus absolu de tout dialogue ou concertation générale au Parlement, avant l’élection d’un président. Elle serait aussi un moyen de les rendre responsables de l’impossibilité de tenir un dialogue national dans ces circonstances délicates. En même temps, elle constitue un coup porté au désir formulé par le chef du CPL de passer outre aux parties qui refusent le dialogue si la présence de 86 députés est assurée, puisque ce chiffre constitue le quorum requis pour l’ouverture de la séance parlementaire pour l’élection. Gebran Bassil estime ainsi qu’à partir du moment où ce chiffre est respecté, et que la couverture chrétienne nécessaire est assurée par des composantes importantes comme le CPL, il n’est plus nécessaire d’attendre le bon vouloir de parties qui rejettent toutes les initiatives. D’autant que ces parties savent que, dans le contexte actuel, il est impossible d’assurer le consensus requis pour une séance parlementaire électorale sans une participation des parties chiites. Selon lui, en s’entêtant dans leur position de refus, ces parties montrent que ce qu’elles souhaitent en réalité, c’est élire un président qui serait hostile aux deux formations chiites (Amal et le Hezbollah, qui occupent les 27 sièges chiites du Parlement), sans avoir les moyens de réaliser ce souhait.
Pourquoi, dans ce cas, le président de la Chambre a-t-il insisté sur la présence de parties qui refusent de participer à un tel dialogue, alors que celui-ci pourrait avoir lieu sans elles, tout en respectant la représentation confessionnelle ?
Les milieux proches de Aïn el-Tiné rejettent toute accusation de vouloir privilégier les FL et les Kataëb aux dépens du CPL et d’autres formations chrétiennes. Berry aurait adopté cette position après mûre réflexion, dans une volonté d’apaiser le climat général au Liban et en particulier au sein de la rue chrétienne, qui serait, selon ces milieux, en train de se radicaliser. En refusant d’exclure ces formations, le président de la Chambre aurait donc voulu leur ôter un prétexte pour se radicaliser encore plus et se lancer ainsi dans une nouvelle campagne contre les formations chiites. En effet, selon des sources sécuritaires, Berry (et avec lui le Hezbollah) serait actuellement assez inquiet de l’existence d’un plan visant à créer une confrontation politique entre les communautés chiite et chrétienne. Ce serait d’ailleurs dans cette optique que le leader druze Walid Joumblatt aurait choisi de se tenir à l’écart des dissensions confessionnelles en choisissant dans cette période délicate de renforcer ses relations avec le président de la Chambre et de soutenir politiquement le Hezbollah. Par contre, la plupart des partis chrétiens se positionnent dans un camp hostile au Hezbollah et à son allié, le mouvement Amal. La récente déclaration du patriarche maronite – qui avait estimé que seule l’élection d’un président de la République permettrait que « le Liban ne soit plus une rampe de lancement pour des actes terroristes qui compromettent la sécurité et la stabilité de la région » –, alors que l’émissaire du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, était attendu au Liban, a d’ailleurs provoqué des remous au sein de la communauté chiite et poussé le Conseil supérieur chiite à ne pas participer à la rencontre élargie de Bkerké. Il a fallu ensuite déployer d’importants efforts pour rétablir les ponts entre les représentants religieux des deux communautés, sur les conseils d’ailleurs de l’émissaire du Vatican qui aurait déclaré à bon nombre de ses interlocuteurs qu’il faut éviter les conflits à caractère confessionnel pour préserver la particularité et la richesse du Liban. Ce serait donc la raison principale qui aurait poussé le président de la Chambre à adresser ce message aux Libanais et en particulier aux formations chrétiennes. En même temps, Berry a voulu en quelque sorte atténuer l’impact de l’annonce prévue mardi d’une initiative de « l’opposition » pour élire un président le plus rapidement possible, selon un mécanisme précis et sans dialogue préalable. Selon les informations ayant filtré dans la presse, ce camp aurait préparé un document qu’il compterait annoncer et qui, d’une certaine manière, est destiné à mettre en échec le dialogue proposé par Nabih Berry.
Le tandem Chiite sait très bien que le CPL ne représente plus rien et surtout pas l'expression de la rue Chrétienne, ni même musulmanes d'ailleurs, qui s'est réveillé et prit conscience des enjeux sur le terrain. Berry reconnait ainsi que les forces souveraines Chrétiennes sont légitimes, pas le CPL, et sait très bien qu’après Tayouneh et les dernières élections ils ne sont plus en mesure de faire du n'importe quoi. Qornet Chahwan et par après Bristol leur a appris qu'une fois les souverains en marche l'occupant dégage! Il est temps que le dernier en date fasse de même. Berry se préserve.
09 h 46, le 10 juillet 2024