Édito Édito

Contre vents et marées

Contre vents et marées

D.R.

Un début surréaliste

Tout commence en 1929. Georges Naccache qui se trouve aux commandes de L’Orient (bien avant sa fusion avec Le Jour le 15 juin 1971) confie à un groupe de jeunes lettrés, dont Georges Schéhadé et Antoine Mourani, le soin de faire paraître un supplément littéraire. Mais c’était sans compter avec les idées surréalistes de Schéhadé qui lui « pond » en guise d’articles une série de poèmes hallucinants. La réaction du public ne se fait pas attendre : des dizaines de lecteurs outrés écrivent à la rédaction pour protester contre cette « provocation », menaçant de se désabonner. Naccache préfère en rester là et suspend la parution du numéro suivant. Le 16 juin 1929, il admet pour se consoler : « Notre honneur de 1929 aura été d’avoir découvert Georges Schéhadé. »

Trente ans après 

Trente ans après, un autre poète, Salah Stétié, est invité par le même Naccache à ressusciter L’Orient littéraire. Il accepte de relever le défi. Le supplément dont il a la charge est alors hebdomadaire  ; il n’est pas seulement littéraire, il est aussi « culturel » : on y trouve des chroniques sur l’histoire, l’archéologie, l’éducation, le théâtre, la peinture, la sculpture, la musique, voire la mode ! Dans le premier numéro, daté du 29 octobre 1960, un hommage de Saint John-Perse à Georges Schéhadé est publié en page Une, histoire de saluer le fondateur de l’éphémère « ancêtre » du supplément naissant.

Interrogé en octobre 2006 sur cette résurrection, Stétié s’en souvient en ces termes : « L’Orient littéraire et culturel était un journal complet, qui comptait parfois 18 pages. C’était l’époque où le Liban se trouvait à son apogée politique, culturelle et économique. Il y avait alors nombre d’écrivains et de poètes novateurs  ; on assistait à l’essor du théâtre, au début du roman et à l’éclosion de la nouvelle poésie arabe… C’était passionnant ! »

D.R.

Un rayonnement exceptionnel 

Très vite, le supplément devient incontournable. Il ouvre ses colonnes à des chroniqueurs de talent (Jamil Jabre,  Mirèse Akar, Me Hyam Mallat, qui a raconté son expérience dans un article intitulé « Témoignage pour un centenaire », publié le 1er mai dernier dans L’Orient-Le Jour, Me Alia Berti Zein, Christiane Saleh, et bien d’autres plumes encore), publie des études historiques (comme la série « Byzance et le Liban » signée Jacques Jarry), suit l’actualité culturelle du pays (notamment le Festival international de Baalbeck), accueille des polémiques (comme la question des programmes scolaires ou la joute opposant les défenseurs de la langue libanaise à ceux de la langue arabe) et reçoit des figures importantes comme Giuseppe Ungaretti, Nazim Hikmet, Georges Séféris, Jacques Berque, Dominique Chevallier, Jean Paulhan, Hubert Beuve-Méry, Pierre Lazareff, Jean Lacouture, Jean Daniel, Jean Cocteau, Henry Corbin, Farjallah Haïk, Fouad Gabriel Naffah ou Adonis, et, plus tard, Jean-Marie Domenach, Pierre de Boisdeffre, Jacques Chastenet, Alain Touraine, Régis Blachère, Vincent Monteil ou Georges Suffert, sans compter les peintres ou sculpteurs Georges Mathieu, David Hockney, André Masson, Georges Cyr, Michel Basbous, Paul Guiragossian, Chafic Abboud, Omar Onsi ou Khalil Zghaib…

Mais en septembre 1961, Salah Stétié est nommé attaché culturel auprès de l’ambassade du Liban à Paris. Il abandonne le navire qui continuera sa route grâce à la pugnacité d’André Bercoff (qui était auparavant le secrétaire de rédaction du supplément) et la bienveillance de René Aggiouri et Camille Aboussouan, avant de couler en 1965. La page « Culture » (comprenant une rubrique littéraire fournie) prendra alors la relève jusqu’en 1971, et sera maintenue après la fusion. 

À cause de la guerre, les archives de L’Orient littéraire et culturel ont hélas disparu. Mais nous conservons précieusement l’ensemble de ses numéros, acquis auprès de Stétié lui-même qui, avant de nous quitter, a relaté son aventure dans un chapitre de ses Mémoires (L’Extravagance, éditions Robert Laffont, 2014) intitulé « Jours fastes à L’Orient littéraire »…

Résurrection

En 2006, l’idée me vient de relancer L’Orient littéraire, entouré d’un Comité de rédaction comprenant les regrettés Jabbour Douaihy et Farès Sassine, ainsi que les écrivains Charif Majdalani, Georgia Makhlouf, Ritta Baddoura et Antoine Boulad, sous la houlette de Hind Darwish dont le dynamisme et la rigueur ont toujours été les moteurs du projet.

Cette nouvelle formule est mensuelle, comporte huit pages et bénéficie de la création graphique du talentueux Alexandre Médawar.

Nous nous donnons pour lignes directrices la défense des libertés, les échanges féconds avec des auteurs venus de tous les horizons, la présentation d’ouvrages récents édités en France ou ailleurs, et la mise en valeur des meilleures parutions en langue arabe. Nos mots d’ordre sont la renaissance culturelle du Liban et le dialogue entre Orient et Occident à travers la littérature.

La reconnaissance des lecteurs et des médias

Malgré toutes les difficultés rencontrées – guerre des 33 jours dès le deuxième numéro, crise économique et donc absence de pubs, explosion du port de Beyrouth, pandémie, décès de trois rédacteurs majeurs (Jabbour Douaihy, Farès Sassine et Melhem Chaoul) – , L’Orient littéraire, désormais exclusivement consacré à la littérature et, modernisme oblige, disponible par abonnement sur Internet, a trouvé sa vitesse de croisière. Il participe activement au Salon (ou Festival) du livre de Beyrouth, dont il publie régulièrement le catalogue,  organise un concours de poésie en partenariat avec l’Institut français du Liban (le Concours Baudelaire destiné au Liban-Nord) et anime des tables rondes sur différents sujets actuels. Il a édité un livre collectif intitulé Culture et Barbarie qui réunit les textes d’auteurs de renom autour de ce sujet, et sorti un numéro spécial sur Charles Baudelaire à l’occasion du bicentenaire de sa naissance. Il a rapidement gagné la confiance d’un vaste lectorat au Liban et à l’étranger et suscité l’admiration de plusieurs médias et journalistes de renom comme en témoignent les extraits suivants : « L’Orient littéraire, excellent supplément mensuel du quotidien libanais L’Orient-Le Jour », écrit Le Point  ; « Le supplément culturel du quotidien francophone libanais L’Orient-Le Jour a su accueillir les meilleures plumes libanaises et arabes de langue française. Il présente aussi les dernières œuvres littéraires ou artistiques dont on parle dans les grands médias internationaux », lit-on dans Courrier international  ; « Par ses critiques, ses analyses et sa diversité, il est plus proche, dans son esprit, des suppléments de la Repubblica et de la Frankfurter Allgemeine Zeitung que de certains de ses homologues français », affirme Pierre Assouline dans La République des livres.

Survie

Contre vents et marées, L’Orient littéraire s’est imposé dans le paysage culturel libanais comme un acte de résistance contre l’obscurantisme ambiant. Tiendra-t-il longtemps au milieu de toutes les tempêtes qui secouent le pays ? Nous l’espérons. Parce que L’Orient littéraire est une nécessité à l’heure où presque tous les quotidiens libanais ont renoncé à leurs suppléments culturels, et au moment où « les ténèbres organisées » s’emploient à saper notre culture pour mieux démolir le Liban.

Un début surréalisteTout commence en 1929. Georges Naccache qui se trouve aux commandes de L’Orient (bien avant sa fusion avec Le Jour le 15 juin 1971) confie à un groupe de jeunes lettrés, dont Georges Schéhadé et Antoine Mourani, le soin de faire paraître un supplément littéraire. Mais c’était sans compter avec les idées surréalistes de Schéhadé qui lui « pond » en guise d’articles une série de poèmes hallucinants. La réaction du public ne se fait pas attendre : des dizaines de lecteurs outrés écrivent à la rédaction pour protester contre cette « provocation », menaçant de se désabonner. Naccache préfère en rester là et suspend la parution du numéro suivant. Le 16 juin 1929, il admet pour se consoler : « Notre honneur de 1929 aura été d’avoir découvert Georges...
commentaires (1)

Tenez bon cher Monsieur, le Liban culture vous le demande!

Salibi Andree

09 h 45, le 14 octobre 2024

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Commentaires (1)

  • Tenez bon cher Monsieur, le Liban culture vous le demande!

    Salibi Andree

    09 h 45, le 14 octobre 2024

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