C’est une romancière et poétesse grecque, née à Patras en 1953, dont les ouvrages ont été traduits dans de nombreuses langues. En français notamment, aux éditions Stock où ont été publiés, entre autres : Ce qui reste de la nuit, récit d’un bref séjour du poète grec Constantin Cavafy dans le Paris de la fin du XIXe siècle (prix Méditerranée étranger en 2017) ; Eva, qui suit l’errance nocturne d’une femme dans Athènes (pour lequel elle a décroché le prix de l’Académie d’Athènes justement) ; Zigzags dans les orangers (prix de l’Académie d’Athènes également) ; ou encore Je sais que tu me plais, une autofiction épistolaire et amoureuse.
Largement primée, Ersi Sotiropoulos, qui a aussi à son actif le prix Dante Alighieri pour son œuvre poétique, est « l’une des figures les plus importantes de la littérature grecque contemporaine », affirme Charif Majdalani. L’écrivain libanais d’expression française et initiateur de Beit el-Kottab (Maison internationale des écrivains) ne pouvait donc laisser passer l’occasion d’inviter cette grande voyageuse des mots en résidence à Beyrouth.
Pour l’introduire auprès du public littéraire libanais, une lecture d’extraits de ses textes et poèmes en grec et en français a eu lieu au musée Sursock, suivie d’une discussion autour de son œuvre. Et précédée d’une rencontre exclusive avec L’OLJ au cours de laquelle la dame brune à la voix rauque de fumeuse a révélé, avec l’ardeur qui la caractérise, sa flamme pour le Liban et les Libanais.
Vous êtes à Beyrouth depuis le 19 mars pour y passer une douzaine de jours à l’invitation de Beit el-Kottab. Vu la situation qui prévaut au sud du Liban, avez-vous hésité avant de vous décider à venir ? Qu’est-ce qui vous a motivée ?
C’est la troisième fois que je viens au Liban. J’ai toujours eu une sorte d’attraction imaginaire pour le Liban, les Libanais, les Phéniciens… La première fois que j’y ai mis les pieds, c’était en 2016. J’y étais reçue par mon amie la romancière libanaise Hanane el-Cheikh. Et j’ai immédiatement été sous le charme de ce pays. J’y suis venue une deuxième fois en 2022 au festival Beyrouth Livres. Et j’avais très envie d’y revenir. D’autant que je suis en pleine écriture d’un roman dans lequel j’évoque le Liban d’il y a quinze ans. Alors quand Beit el-Kottab m’a invitée en ce mois de mars, je n’ai pas hésité une seule seconde !
À l’occasion de votre séjour, Beit el-Kottab a organisé au musée Sursock une rencontre axée autour de votre œuvre romanesque et poétique. Vous aviez confié, il y a quelques années au micro de France Culture, ne pas aimer ce genre de mondanité littéraire et en même temps vous sentir flattée d’en être l’objet. Comment expliquez-vous cette ambivalence ?
Ce genre d’exercice me fait souffrir. Le moment avant la rencontre est toujours insupportable pour moi. J’éprouve le même ressenti que lorsque j’étais à l’école et que je devais passer un examen. En même temps, c’est quelque chose à quoi je dois me plier. Je le fais d’ailleurs très peu en comparaison avec mes collègues. Et je ne suis pas sur les réseaux sociaux, je n’ai pas de compte Facebook ou Instagram… Néanmoins, ces rencontres peuvent être parfois un vrai plaisir, quand il y a une sorte d’alchimie qui se développe entre moi et l’auditoire. Vous savez, un livre sans lecteurs est un livre mort. On écrit pour soi, certes, mais au final, on écrit toujours pour les autres. L’écriture est un geste d’amour, peut-être un gros complexe, sans doute une avidité amoureuse vers l’autre qu’on ne connaît pas… Voilà où se trouve mon ambivalence.
Le texte que vous allez y produire sera donc en lien avec le Liban. Pouvez-vous nous en révéler un peu plus ?
C’est une histoire qui se déroule entièrement dans la tête d’un diplomate grec à Paris soumis à une IRM. Il avait été consul général de la Grèce au Liban au milieu des années 2000 et un scandale s’était produit l’époque. Tout le roman se passe durant les 20 minutes de cet examen à l’hôpital.
Vous aimez bien, semble-t-il, entrer dans la tête de vos personnages pendant une durée de temps brève mais intense ?
Oui, sinon je ne peux pas écrire. C’est comme si j’y regardais ce qui se passe à travers une loupe.
Y a-t-il un fondement réel à ce roman ?
Il y a beaucoup d’histoires de scandale similaires qui ont réellement eu lieu. Mais la trame de mon roman reste une fiction…
Vous avez commencé par écrire des articles de presse avant de vous lancer dans l’écriture romanesque dans les années 1980. Quel a été le déclic ?
J’ai commencé par écrire des poèmes dès l’âge de 8 ou 9 ans. Mais je n’ai jamais voulu faire des études littéraires parce que pour moi elles représentaient quelque chose qui serait dans la lignée de l’école que je détestais. Je me suis donc inscrite en sociologie à l’Université de Nanterre en France, attirée par le côté révolutionnaire qui y prévalait, mais ayant rencontré mon premier mari à la frontière avec l’Italie, j’ai changé d’orientation et je me suis retrouvée en train de suivre un cursus de philosophie et d’anthropologie à l’Université de Florence. C’est en Italie, où j’ai vécu durant plus de quinze ans, que j’ai publié mon premier recueil de poèmes en 1980, puis mes premiers textes de nouvelles et romans.
Quelles sont les idées, les causes ou les obsessions qui alimentent votre écriture ? Le fil rouge qui tisse votre œuvre romanesque ?
Tout prend son départ chez moi par une obsession. Quelque chose qui me trotte en tête longtemps et qui revient de manière récurrente : une idée entendue, un événement, la silhouette d’une passante… Je me mets alors à creuser. Mon roman Eva, par exemple, est parti de la vision d’une jeune femme entrevue dans l’obscurité d’une nuit à Athènes. Elle avait une manière de se mouvoir à la fois gauche et gracieuse que j’ai trouvée intéressante… Cela a donné naissance à un paragraphe tellement parfait que durant un an, je n’arrivais plus à écrire une suite à la hauteur. Puis j’ai été victime d’un pickpocket dans un bus à Berlin. Et cet incident m’a permis de redémarrer la suite… Après, en ce qui concerne ce qui alimente mon écriture, je pense que les critiques vous le diront, c’est toujours le retournement de la réalité, la farce, la déception, le mensonge et l’espoir… La Grèce aussi, ou plutôt Athènes, qui est chez moi un personnage à part entière. On y trouve également un fil très fort qui relie mes personnages à la sexualité…
Vous considérez-vous comme une écrivaine engagée ?
Ce n’est pas un terme que j’aime. Je suis engagée comme citoyenne. L’engagement politique, l’évocation de l’actualité est à mes yeux un piège pour les écrivains. Pendant l’occupation allemande d’Athènes, alors que des carrioles passaient chaque matin ramasser les cadavres de ceux qui étaient morts de faim, les grands poètes comme Nikos Engonopoulos ou encore le Prix Nobel de littérature Odysséas Elýtis écrivaient les plus joyeux poèmes qui parlaient seulement d’insouciance et d’amour. Ils n’évoquaient en rien la tragédie…
Vous qui venez de la philosophie et de l’anthropologie, croyez-vous que la littérature peut encore changer les esprits et les mentalités dans notre monde contemporain dominé par la « cancel culture » et les réseaux sociaux?
Je ne pense pas que la littérature doit devenir didactique. Je pense que la littérature doit avant tout nous faire sortir de notre petit monde égoïste, de notre solitude dans laquelle nous entraîne Facebook et tout cet univers d’écrans. On est chacun coincé chez soi et on imagine qu’on participe à une fête mondiale, alors qu’on est seul devant notre ordinateur. Avec un livre, on n’est pas seul...
Vous êtes poétesse et romancière. Où en êtes-vous de la poésie aujourd’hui ?
La poésie est pour moi comme un amant capricieux, qui me visite quand bon lui semble, et dont j’attends qu’il se manifeste… Mon premier livre publié dans les années 1980 était un recueil de poèmes. Puis je me suis tournée vers le roman, en incorporant parfois dans la fiction quelques vers. Et ce n’est que quarante ans plus tard, après le décès de ma mère en 2016, que l’inspiration poétique m’est revenue et que j’ai recommencé à en écrire.
Vos romans sont largement traduits en France. Vous vous exprimez parfaitement en langue française. Envisagez-vous d’écrire un jour directement en français ?
J’ai essayé mais ce n’est pas possible. J’ai essayé aussi d’écrire en anglais quand j’ai passé deux ans aux États-Unis, mais sans plus de succès. Et même en italien, ça sonne faux.
Pour conclure, que retiendrez-vous de cette troisième expérience beyrouthine ?
Moi qui voyage beaucoup, je peux vous confier que si l’on me donne le choix entre Paris ou Beyrouth, New York ou Beyrouth, je vote toujours pour Beyrouth. Je me sens si bien ici. La vitalité et l’insouciance des Libanais me changent du côté grave et soucieux des Grecs. C’est une insouciance très particulière, différente de celle des Italiens, et qui est à mon avis très précieuse, parce qu’elle fait aller de l’avant. En Europe, on l’a perdue complètement. J’aime les Libanais. J’aime cette joie de vivre que vous avez, malgré tout ce que vous avez subi. Faites en sorte de la conserver !
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Sa contribution à « Ce qui nous arrive »
Ersi Sotiropoulos a participé avec cinq autres écrivains du monde au volume collectif Ce qui nous arrive, sur la question des catastrophes et de la manière de les vivre et de les écrire. Un livre édité par la Maison des écrivains en 2022 et publié par les éditions Incultes.
Tout à fait d’accord avec M. Otayek. Khalas! Beekaffeh! On est déclassé . On manque aucune connaissance de soi…. Regardez où nous étions en 1943 et ou nous y sommes actuellement… Au lieu de parler de l’insouciance, il faut parler de l’anarchie.
11 h 13, le 01 avril 2024