Le Pakistan a voté jeudi pour des élections ternies par des violences et des soupçons de manipulations, encore renforcés par la décision du gouvernement de couper les services de téléphonie mobiles pour la journée. Le décompte des voix a commencé en début de soirée. Quelque 128 millions d'inscrits étaient appelés aux urnes pour élire les 336 députés du parlement fédéral et renouveler les assemblées provinciales. Le populaire ex-Premier ministre Imran Khan, emprisonné, n'a pu se présenter. La Ligue musulmane du Pakistan (PML-N), qui a le soutien de l'armée selon les observateurs, est la favorite du scrutin et pourrait permettre à son chef, Nawaz Sharif, de diriger le pays pour la quatrième fois. Les premiers résultats sont attendus vers minuit, mais il faudra sans doute attendre vendredi pour voir émerger une réelle tendance.
Plus de 650.000 membres des forces de sécurité avaient été déployés pour assurer la sécurité du scrutin, ensanglanté mercredi par la mort de 28 personnes, dans deux attentats à la bombe revendiqués par le groupe Etat islamique (EI), dans la province du Baloutchistan (sud-ouest). Jeudi, au moins sept membres des forces de sécurité ont été tués dans deux attaques distinctes dans le nord-ouest du pays et au Baloutchistan, et d'autres petites explosions ont eu lieu dans cette dernière province faisant deux blessés, a annoncé la police. Le ministère de l'Intérieur avait annoncé, peu après l'ouverture des bureaux de vote, que les services de téléphonie mobiles seraient « temporairement suspendus » dans tout le pays pour des raisons de sécurité. L'internet mobile a aussi été coupé, a fait savoir Netblocks, une organisation qui surveille la cybersécurité et la gouvernance de l'internet.
« Trucage post-électoral »
« La coupure actuelle d'internet est parmi les plus rigoureuses et étendues que nous ayons observées dans n'importe quel pays », a déclaré à l'AFP Alp Toker, directeur de Netblocks. Cette « pratique est fondamentalement antidémocratique », a-t-il dénoncé. L'équité du scrutin a été mise en doute par avance. Imran Khan, 71 ans, a été condamné à trois longues peines de prison. Et son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), a été décimé par les arrestations et les défections forcées, et empêché de mener campagne.
Les électeurs dépendent de l'envoi de SMS pour confirmer dans quel bureau de vote ils sont enregistrés. L'un d'eux, Abdul Jabbar, 40 ans, a raconté avoir été empêché d'utiliser le service et de localiser son bureau de vote à cause des problèmes d'internet. « D'autres supporteurs du PTI nous ont finalement aidés à le trouver », a-t-il dit. « Ma seule peur est de savoir si mon vote sera bien comptabilisé pour le parti pour lequel j'ai voté », a déclaré Syed Tassawar, un ouvrier du bâtiment de 39 ans, à la sortie d'un bureau de vote d'Islamabad.
Les Pakistanais à 70% « n'ont pas confiance dans l'intégrité des élections », a pointé cette semaine l'institut Gallup. Cela traduit un recul démocratique pour un pays qui a été dirigé pendant des décennies par l'armée, mais qui avait connu des progrès depuis 2013, année de la première transition d'un gouvernement civil à un autre.
L'armée a toujours eu une forte influence même sous un pouvoir civil, mais les observateurs estiment qu'elle a interféré encore plus ouvertement dans ces élections. Imran Khan, qui avait pourtant bénéficié de ses faveurs pour être élu en 2018, l'a défiée de front. Il l'a accusée d'avoir orchestré son éviction du poste de Premier ministre en avril 2022 et lui a imputé ses ennuis judiciaires. « Maintenant commence le trucage post-électoral », a déclaré en soirée à l'AFP Raoof Hasan, le responsable de l'information pour le PTI, tout en assurant que son parti conservait une « sacrée bonne chance de causer une surprise ».
« Aucun problème avec l'armée »
La disgrâce d'Imran Khan semble cependant devoir profiter à Nawaz Sharif, 74 ans, rentré au Pakistan en octobre après quatre années d'exil à Londres. « Il n'y a pas besoin d'un accord, mais en réalité je n'ai jamais eu aucun problème avec l'armée », a affirmé celui-ci, au moment de voter dans une école de Lahore (est). Même si la PML-N apparaît en position de force, l'issue du scrutin pourrait dépendre de la participation, en particulier des jeunes dans un pays où 44% de l'électorat a moins de 35 ans.
En 2018, Imran Khan avait bénéficié d'un réel engouement populaire, notamment de la part de la jeunesse, assoiffée de changement après des décennies de domination des grandes dynasties familiales, jugées corrompues. La majorité absolue semble un objectif difficilement atteignable pour la PML-N, qui devra probablement former une coalition. Peut-être avec le Parti du peuple pakistanais (PPP) de Bilawal Bhutto Zardari, fils de l'ancienne Première ministre Benazir Bhutto, assassinée en 2007.
Le Pakistan, qui dispose d'un arsenal nucléaire et occupe une position stratégique, entre l'Afghanistan, la Chine, l'Inde et l'Iran, est confronté à d'innombrables défis. La sécurité s'est dégradée, notamment depuis le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan en août 2021. Son économie est en lambeaux, avec une dette abyssale et une inflation avoisinant les 30%.
Quel que soit le verdict des urnes, la question de la longévité du prochain gouvernement pourrait rapidement se poser, dans un pays où aucun Premier ministre n'a jamais achevé son mandat.
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