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Culture - Disparition

Hussein Madi, le Picasso du monde arabe, s’en est allé

L’artiste au béret et au regard noir intense s’est éteint mercredi 17 janvier à l’âge de 86 ans, laissant derrière lui une œuvre remarquable alliant le plan géométrique radical à l’élégance de la courbe. Peintre, sculpteur et graveur, il aura été incontestablement l’une des figures majeures de l’art contemporain libanais et du Moyen-Orient plus largement.

Hussein Madi, le Picasso du monde arabe, s’en est allé

Hussein Madi (1938-2024), l’artiste à l’éternel béret. Photo DR

Il a longtemps porté crânement le béret, cultivant sa ressemblance physique avec Picasso. Même regard sombre et scrutateur, qui décortique le monde, les êtres et la nature. Même caractère ombrageux et même présence intense. Mais son art à lui, malgré des rapprochements géométriques avec celui de l’artiste espagnol, était infusé de cette calligraphie et de cette spiritualité emblématiques de la culture orientale, dont il a été l’un des plus prestigieux représentants.

Né en 1938 à Chebaa, au pied du mont Hermon (Liban-Sud), Hussein Madi a gardé toute sa vie ce lien intrinsèque avec la nature, qu’il n’a jamais traitée à la manière d’un paysagiste, préférant y puiser les éléments constitutifs de la singularité de son œuvre. Ces oiseaux, chevaux, taureaux, chats qui formaient ses thèmes leitmotivs. En parallèle, évidemment, aux silhouettes de « Femme » dont il célébrait les courbes dans ses peintures et ses sculptures, estimant que c’était là « les plus belles formes au monde, la création la plus parfaite ».

La femme, l’un des sujets de prédilection de l’artiste. DR

Artiste dans l’âme, Hussein Madi était « tombé en pâmoison à l’âge de 4 ans devant un dessin de pomme crayonné sur un bout de papier », avait-il confié à L’Orient-Le Jour lors d’une visite de son atelier en 1999. Dès lors, il avait choisi de « vivre dans la beauté et le mystère de l’art ».

Après des études de peinture à l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA), et alors qu’il est caricaturiste au Kifah et à L’Illustration, il s’envole pour Rome en 1964, afin d’y compléter sa formation à l’Accademia di Belle Arti. Parti initialement juste pour deux mois, pour s’initier au travail de la fresque et de la mosaïque, son séjour durera 22 ans.

Les années italiennes

Durant ces deux décennies de vie en Italie, il fréquentera l’ensemble de la scène artistique de l’époque, et se fera connaître à travers des expositions dans de nombreuses galeries de Rome, mais aussi de Milan, de Vérone, ainsi qu’à Londres, Paris, Bagdad, Alexandrie ou Tokyo.

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En 1986, alors que sa carrière est bien lancée en Italie, ne supportant pas de vivre à l’abri tandis que sa famille et ses parents subissent la guerre, il répond à « l’appel doux-amer de la tendresse, de l’attachement à la terre natale », et revient définitivement à Beyrouth. Où, en homme épris de liberté, il choisira un atelier ayant vue sur la mer. Malgré les difficultés inhérentes à la vie au pays du Cèdre, il n’a jamais regretté son retour, assure Mohammad el-Rawas, l’un de ses plus fidèles amis depuis les années 1970.

L'art de Madi, exposé de nombreuses fois à la galerie Aida Cherfane. Photo Michel Sayegh

Au Liban, où son talent était déjà reconnu (il avait décroché en 1965 le Grand Prix du musée Sursock), Hussein Madi développera encore plus son approche de la sculpture réalisée à partir de formes pliées sans soudure. Il enseignera cette discipline à l’Institut national des beaux-arts de l’Université libanaise. « Un travail difficile entre tous car, expliquait-il, un bon sculpteur doit impérativement être un bon dessinateur pour bien reproduire les dimensions, il doit aussi avoir une vision tridimensionnelle et enfin choisir la matière adéquate au sujet. » Ce sera souvent le fer, matériau qui s’accorde avec sa personnalité marquée et son inflexibilité de grand prêtre de l’art. « Une intransigeance qui le définissait et qui forçait le respect », dixit Mohammad el-Rawas.

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Aïda Cherfan, qui – après Samia Toutounji – a été sa galeriste en exclusivité depuis l’an 2000 jusqu’à 2019, se souvient de la première exposition de Hussein Madi dans son espace à Antélias. « Il avait fait le choix de présenter des toiles purement figuratives totalement différentes de son style connu. Ce qui avait soulevé beaucoup d’interrogations. Il m’avait expliqué qu’il l’avait fait délibérément pour « réinculquer chez les artistes abstraits la pratique du dessin, base essentielle de tout art qui se respecte ».

« Madi était simple mais compliqué »

L’homme était ainsi, déroutant. Tout à la fois hédoniste et circonspect, brusque et patient, tranchant et poétique, détaché des contingences matérielles et très ambitieux…  Son travail était à son image, basé sur un subtil équilibre des forces. Un agencement délicat entre formes et couleurs, structure et sensibilité. En témoignent ses oiseaux, ses taureaux, ses femmes représentés dans un alliage de plans géométriques d’une radicalité extrême et d’élégance de la courbe.

Une nature morte (2011) de Hussein Madi. DR

Étroitement liées à ses sculptures, ses peintures avaient le même vocabulaire, la couleur en plus. Et cette inspiration souvent calligraphique alliée à la démultiplication du sujet. Une répétition qui n’était pas un hasard, « mais une façon d’honorer le créateur », disait-il.

« C’était un artiste d’une productivité inouïe, indique Aïda Cherfan. Il travaillait sans arrêt. Et sa pratique était véritablement polyvalente, allant du dessin à la céramique, en passant par la peinture, la sculpture, la gravure, la lithographie. » « « J’ai épousé l’art », me répétait d’ailleurs souvent ce grand solitaire. Il était généreux et impulsif. Il m’a soutenue lors de mes débuts de galeriste, alors que tout le monde me décourageait. Il impressionnait les gens par son attitude ombrageuse, ses accès de colère, mais pour ceux qui le connaissaient vraiment, il avait le cœur d’un enfant », dit celle qui garde de leur collaboration un sentiment de gratitude émue.

Une sculpture « Donquichottesque » de Hussein Madi. DR

Même son de cloche du côté de Bahjat Eldarwiche, l’un de ses plus grands collectionneurs devenu un proche depuis une vingtaine d’années. « Madi s’est totalement consacré à l’art, sacrifiant sa vie personnelle, renonçant à un projet de mariage, pour ne pas entraver sa créativité. Son talent avait ceci de remarquable qu’à partir de quelques éléments qu’il avait choisis, à l’instar de la femme, d’une feuille d’arbre, du taureau, de l’oiseau, etc., il se réinventait inlassablement sur la toile, en sculpture, sur des tableaux en bois en 3D. Madi était, en somme, tout à la fois simple et compliqué. Il a influencé toute une génération d’artistes et laisse un héritage exceptionnel qu’on doit absolument préserver ». Même si ses œuvres figurent déjà dans d’importantes collections publiques à Dubaï, Rio de Janeiro ou Londres (British Museum), «  il mériterait d’avoir un musée qui lui serait exclusivement dédié. »

Une suggestion qui répondrait ainsi au souhait de l’artiste qui avait déclaré à L’OLJ « je  travaille dans une honnêteté douloureuse, non pour vivre mais pour laisser une trace de mon passage ».

Ils ont dit, dans nos archives
– « Ce qui déconcerte dès l’abord chez cet artiste à la personnalité si marquée, c'est l'absence de repères commodes pour le situer ; il déjoue les tentatives d'établir référence, antécédents, influences, maîtres et modèles car, tout simplement, il ne doit rien à personne. » Joseph Tarrab, le 6 octobre 1979
– « Hussein Madi. Que pourrait-on écrire, une fois de plus, au sujet de l’un des artistes les plus sincères et les plus doués de l’art libanais ? Que pourrait-on écrire encore une fois de plus sur cet écorché vif (il faudrait être de pierre pour ne pas le sentir de suite comme cela, comme on respire) sur ce grand garçon à casquette qui revendique sans cesse le droit à la liberté, une liberté qu’il a conquise à la force du « pinceau », en bouffant non pas de la vache enragée, mais en goûtant à la famine nere (famine noire) car c’est à Rome en 64 que tout a réellement commencé pour lui. » Marie-Thérèse Arbid, le 20 mars 1982
– « Qu’il peigne un oiseau, une femme ou une plante, Madi ne part pas de la nature pour l'imiter mais pour la reconstruire. » Mahmoud Zibawi, le 17 octobre 1984
Il a longtemps porté crânement le béret, cultivant sa ressemblance physique avec Picasso. Même regard sombre et scrutateur, qui décortique le monde, les êtres et la nature. Même caractère ombrageux et même présence intense. Mais son art à lui, malgré des rapprochements géométriques avec celui de l’artiste espagnol, était infusé de cette calligraphie et de cette spiritualité...

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