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Culture - Cinéma

« In the shadow of Beirut », un documentaire irlandais aux Oscars 2024

Stephen Gerard Kelly, coréalisateur et directeur de la photographie de « In the shadow of Beirut », parle de son documentaire, tourné pendant ses années passées dans la capitale libanaise.

« In the shadow of Beirut », un documentaire irlandais aux Oscars 2024

Abou Raas, 38 ans, fume une cigarette en regardant Sabra du haut d'un immeuble de Chatila, dans « In the shadow of Beirut ». Crédit Stephen Gerard Kelly

Les critiques de cinéma sont connus pour trier les films avant de les visionner, en parcourant les crédits de production pour se faire une idée de ce qui les attend. Si vous consultez l'IMDB (Internet Movie Data Base) de  In the shadow of Beirut (À l'ombre de Beyrouth), vous serez rassurés, car vous y trouverez un réalisateur et des producteurs acclamés pour leur travail. Vous serez peut-être aussi méfiants, car vous verrez une figure controversée de l'élite politique américaine. Heureusement, le film confirmera certaines de ces attentes. D'autres ne le seront pas.

Coproduction irlando-libano-allemande, In the shadow of Beirut est apparu sur les fils des réseaux sociaux lorsque l'Irlande a annoncé que le documentaire serait son candidat officiel pour le meilleur long-métrage international aux Oscars 2024. Coréalisé par Garry Keane et le directeur de la photographie Stephen Gerard Kelly, il est également en lice pour l'Oscar du meilleur long-métrage documentaire.

M. Kelly s'est entretenu avec L'Orient Today depuis New York, où son film était projeté ce soir-là. Quelques heures plus tard, il était en route pour le Festival du film de la mer Rouge de Djeddah, où son film a été présenté pour la première fois dans la région MENA début décembre 2023.

Stephen Gerard Kelly considère son premier opus comme un « aboutissement » des cinq années qu'il a passées au Liban, à partir de 2015, lorsqu'il s'est lié d'amitié avec plusieurs familles du quartier de Sabra, à Beyrouth, et du camp de réfugiés de Chatila, situé à proximité. Il n'était pas venu pour faire un film, mais pour être avec sa compagne, qui effectuait un travail à but non lucratif en offrant des consultations aux adolescents. Lorsqu'il n'était pas occupé par ce travail ou par des missions de photographie en freelance, il apprenait.

Hanane, neuf ans, prend un petit déjeuner de mana'iches avec sa mère Ikram Koujeyje, 35 ans, et sa sœur dans leur maison de Sabra, dans « In the shadow of Beirut ». Crédit Stephen Gerard Kelly.

« Nous avons passé un an et l'année s'est transformée en cinq ans », se souvient Stephen Gerard Kelly. « C'était comme 20 (années) dans la banlieue de Dublin – extrêmement intenses, avec un apprentissage précipité chaque jour, souvent des avalanches d'émotions et d'informations.

Une production occidentale atypique

À l'ombre de Beyrouth a une portée étonnamment locale. Pendant quatre ans, Stephen Gerard Kelly et Garry Keane suivent quatre familles et quelques connaissances qui résidaient dans les environs de Sabra et Chatila en 2018. Les penchants humanistes des cinéastes se manifestent à travers leurs principaux protagonistes.

Le documentaire s'ouvre sur des images d'Abou Ahmad Abid, un petit garçon qui ramasse les déchets de la rue et les jette dans un tas d'ordures du quartier brouté par des chèvres. Sa mère Fatima, veuve, a fui (de Syrie, NDLR) au Liban avec ses sept garçons et a trouvé un logement peu coûteux à Chatila. Toute la famille doit travailler pour s'en sortir et Fatima se sent coupable de ne pas pouvoir envoyer ses fils à l'école. Elle craint qu'Abou Ahmad, son plus jeune, ne tombe dans le délinquance de rue.

Ayman Koujeyje, sa femme et ses quatre enfants tiennent un magasin peu achalandé à Sabra. Il est libanais mais son père était syrien, ce qui fait de lui et de ses enfants des étrangers. Il s'inquiète d'élever ses filles, en particulier son aînée, Sanaa, âgée de 13 ans, à qui il interdit de quitter la maison de peur que les garçons du quartier ne lui fassent « perdre ses repères ». Sanaa aspire à plus de liberté, mais lorsqu'un jeune homme au potentiel intéressant lui propose le mariage, elle respecte la volonté de ses parents et accepte.

Abou Turki Daher et sa famille appartiennent à la communauté Dom (également connue sous le nom de Rom) du Liban, péjorativement appelée « Nawar ». La vie de la famille est centrée sur leur petite fille Sariya, qui souffre notamment d'une maladie de la peau où des cloques d'eau éclatent au contact, laissant son corps couvert de plaies ouvertes que ses parents doivent recouvrir de gaze. 

Abboudi Ziani a été emprisonné à deux reprises – une fois pour vol à main armée, une autre fois pour trafic de drogue. Quatre ans après sa libération, il est âgé de 38 ans et père d'un petit garçon prénommé Ali, mais son casier judiciaire fait qu'il lui est difficile de trouver un emploi. Gagnant moins de 10 dollars par jour en travaillant pour un tatoueur, Ziani s'inquiète de l'éducation de son fils et, lorsqu'il perd son emploi, tombe dans la toxicomanie.

Ces familles étaient déjà en difficulté dans la relative stabilité de 2018. L'effondrement économique et financier du Liban en 2019 les a poussées encore plus dans la pauvreté qui gangrène le pays.

Rabih, à gauche, change les bandages de sa fille Sariya, 11 ans, avec l'aide de sa belle-sœur, dans leur maison de Sabra, extrait de « In the shadow of Beirut ». Crédit Stephen Gerard Kelly.

Le cinéma qui traite de la vie de personnes extrêmement pauvres se voit généralement confronté à toute une série de pièges. Dans les années 1960 et 1970, quand des cinéastes politiquement engagés documentaient les plus démunis afin de prôner l'urgence d'une action politique progressiste – les critiques les accusaient d'instrumentaliser les pauvres. Quant aux films plus récents qui traitent ds personnes démunies à travers un prisme libéral moralisateur, ils ont été condamnés comme étant de la « pornographie de la pauvreté ».

Les souffrances évoquées dans À l'ombre de Beyrouth peuvent parfois rendre le film difficile à voir, mais le point de vue des réalisateurs est rafraîchissant et dénué de tout jugement. Les fils de Fatima Abid doivent travailler pour la famille afin de s'en sortir, et elle quitte Chatila pour une location plus chère à Tarik el-Jdidé afin de protéger ses enfants. Ayman Koujeyje n'est peut-être pas tout à fait transparent sur les raisons pour lesquelles il encourage Sanaa à « essayer » les fiançailles à 13 ans, mais lorsque son fiancé se révèle être un toxicomane maniaque et étouffant, il fera passer sa fille en premier.

Les difficultés des protagonistes sont également allégées par la belle cinématographie du film. Stephen Gerard Kelly fait partie de ces photographes curieux qui trouvent du lyrisme dans les jeux de lumière à travers la canopée de câbles électriques qui pendent au-dessus d'une ruelle étroite, ou dans l'image d'une petite fille qui fait couler des flaques d'eau de pluie sur un sentier boueux à l'aide d'une raclette. On pourrait lui reprocher d'esthétiser la pauvreté de ses personnages, s'ils n'étaient pas si convaincants dans leur réserve et leur candeur. Le cinéaste filme ses personnages de près, dans l'ensemble et contre l'étendue dense et chaotique de Sabra et Chatila, au niveau de la rue et à l'aide d'un drone – une tâche rendue difficile par le nombre d'hommes armés qui surveillent les différentes zones qui composent le camp.

Le film est produit par Brendan Byrne, qui était déjà derrière le premier long-métrage de Garry Keane, Gaza, sorti en 2019.
Ce dernier a été bien accueilli à Sundance et a été primé dans plusieurs autres festivals. Coréalisé avec le directeur de la photographie Andrew McConnell,  Gaza est un documentaire joliment filmé de Palestiniens qui luttent pour survivre dans ce territoire assiégé – qui s'est retrouvé une nouvelle fois au cœur de l'actualité mondiale depuis le 7 octobre 2023.

Ce film signé Garry Keane et Andrew McConnell a été tourné dans le contexte de l'activisme civil palestinien de 2018 et de la réponse militaire d'Israël à celui-ci. Parmi les protagonistes, un petit garçon issu d'une famille tentaculaire qui aspire à devenir pêcheur, un ambulancier, un surfeur et une jeune femme issue d'une famille déplacée de la classe moyenne qui étudie le violoncelle. Certains d'entre eux expriment des sentiments critiques à l'égard du Hamas.

Avec les images de Chatila, À l'ombre de Beyrouth pourrait être perçu comme une suite à Gaza. Ce n'est pas le cas. Bien que les deux films soient des documentaires irlandais magnifiquement tournés, le travail de Stephen Gerard Kelly et Garry Keane ne porte pas sur un camp de réfugiés palestiniens. Sur les quatre familles filmées, une seule vivait à Chatila. Un personnage important, Abou Arab Asali, est palestinien.

Au fil des ans, Stephen Gerard Kelly a activement filmé les membres d'une dizaine de familles. Il en a fréquenté une dizaine d'autres, sans les filmer. Après environ quatre ans d'immersion, il a cherché à savoir si ses images pouvaient faire l'objet d'un film. La première personne qu'il a approchée, confie-t-il, a été la réalisatrice et actrice libanaise Nadine Labaki, qui venait de sortir Capharnaüm, son long-métrage de fiction sorti en 2018 sur les personnes démunies de Beyrouth, qui a connu un succès international retentissant et suscité de vives controverses.

« J'ai regardé Capharnaüm au cinéma, en pleurant comme un bébé », se souvient Stephen Gerard Kelly, « en voyant toutes les émotions que je voyais moi-même et que je filmais ».

Coucher de soleil sur Chatila dans « In the shadow of Beirut ». Crédit Stephen Gerard Kelly

Nadine Labaki l'a mis en contact avec Abbout Productions, où Myriam Sassine a pris en charge le projet en tant que coproductrice. Elle lui a également recommandé de travailler avec Zeina Aboul-Hosn, qui a monté le film avec la monteuse Iseult Howlett. Ce n'est que plus tard, dit-il, qu'il a entendu parler de Gaza et qu'il a téléphoné à Garry Keane. Environ six mois après cette première conversation, Keane lui a recommandé d'en parler à Brendan Byrne.

« Brendan a beaucoup d'énergie et est très déterminé », explique Stephen Gerard Kelly. « Une fois qu'il s'est impliqué, le financement est arrivé plus ou moins sur le même modèle que celui de Gaza – avec Screen Ireland, (le radiodiffuseur public allemand) ZDF, (la chaîne de télévision culturelle franco-allemande) Arte ». Garry Keane l'a aidé à trouver un fil conducteur dans les centaines d'heures d'images qu'il avait filmées.

« Les portes s'ouvraient et se fermaient sans cesse », se souvient M. Kelly à propos de ses personnages. Deux mères ont quitté Beyrouth (pour la Syrie et le Bangladesh) avec leurs familles, laissant leurs maris à Beyrouth pour travailler. Une amie libanaise, vendeuse de légumes mariée à un ressortissant éthiopien, a quitté le projet après avoir été impliquée dans le commerce risqué de la drogue, puis des armes. « Nous nous sommes donc concentrés sur les enfants, sur l'amour entre les familles et sur ce que l'on peut montrer à un public dans une fenêtre de 90 minutes. »

Produit par Hillary Clinton

Au générique du film, deux de ses producteurs exécutifs ne passent pas inaperçus puisqu'il s'agit de l'ancienne secrétaire d'État américaine et candidate à l'élection présidentielle Hillary Clinton et de sa fille Chelsea, fondatrices de Hidden Light Productions. Selon Stephen Gerard Kelly, cette société a financé la postproduction et n'a pas eu son mot à dire sur le film.

Il explique que lorsque son projet a atteint le stade de la postproduction, leur financement était épuisé. Brendan Byrne a alors montré le projet à sa collègue Siobhan Sinnerton, qui avait été la productrice exécutive de Hidden Light pour For Sama, un documentaire sur le siège d'Alep par l'État syrien, raconté du point de vue de la famille d'un médecin, qui avait été nommé aux Oscars en 2019.

« J'avais vu For Sama. Je l'avais adoré », explique-t-il. Hidden Light est arrivé avec une somme modeste, juste assez pour nous permettre de passer le cap... Nous étions arrivés à un point où nous nous demandions : « Comment allons-nous payer l'étalonnage ? Comment payer les ingénieurs du son ? « Je suis reconnaissant à Hidden Light », sourit Stephen Gerard Kelly. « Une partie de notre accord stipule qu'ils veulent récupérer (l'argent) si jamais nous faisons des bénéfices. »

Les critiques de cinéma sont connus pour trier les films avant de les visionner, en parcourant les crédits de production pour se faire une idée de ce qui les attend. Si vous consultez l'IMDB (Internet Movie Data Base) de  In the shadow of Beirut (À l'ombre de Beyrouth), vous serez rassurés, car vous y trouverez un réalisateur et des producteurs acclamés pour leur travail. Vous...

commentaires (4)

C'est vraiment interessant. Et c'est vrai que la photo publiée fait penser à georges de la Tour. Et le drone etait necessaire pour donner une idée de la structure du camp. Mais le ciel de beyrouth.....toujours etonnant

Massabki Alice

08 h 15, le 09 janvier 2024

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Commentaires (4)

  • C'est vraiment interessant. Et c'est vrai que la photo publiée fait penser à georges de la Tour. Et le drone etait necessaire pour donner une idée de la structure du camp. Mais le ciel de beyrouth.....toujours etonnant

    Massabki Alice

    08 h 15, le 09 janvier 2024

  • Encore un film qui donne une mauvaise idée du Liban à l’étranger, vu qu’il se focalise sur des réfugiés!

    Sami NAJJAR

    07 h 23, le 09 janvier 2024

  • En attente de voir le documentaire. Bonne chance pour son oscarisation

    Mohamed Melhem

    07 h 07, le 09 janvier 2024

  • On se demande comment des parents aussi irresponsables peuvent se permettre en toute liberte d'avoir autant d'enfants qu'ils veulent (7 garcons pour une femme syrienne, etc.), alors que la plupart de ces enfants sont condamnes a une misere certaine toute leur vie, ou seront utilises comme esclaves economiques ou comme soldats pour la fortune des etats ou des bandits. En plus, avec une demographie galopante qui mine et ruine tout ce qui reste de vert dans le pays, comment peut on tolerer de tels crimes demographiques a l'environnement et a la sante du pays? Quel gachis ! Le Liban est foutu.

    Jacques Saleh, PhD

    01 h 18, le 09 janvier 2024

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