« C’est très important pour moi d’être là aujourd’hui. Cela fait des années que j’avais envie de me produire au Liban. Mon père, décédé quand j’avais 12 ans, était libanais. Je suis donc libanaise, j’apprends l’arabe et je veux tisser des liens avec ce pays. » Ces mots qui font un peu cliché résonnent dans la bouche de Fernanda Barth d’un fort accent de sincérité.
D’une ponctualité révélatrice, elle est à l’avance au rendez-vous pris en début d’après-midi au Monnot, où elle interprète tous les soirs jusqu’au 17 décembre Des femmes*, un seul en scène que lui a écrit spécifiquement l’auteur et metteur en scène français Régis de Martrin-Donos.
En trench cintré sur une jupe patineuse mettant en valeur sa fine silhouette de longue liane brune, Fernanda Barth tient plus de l’élégance des Catherine Deneuve et autres Fanny Ardant que de la négligence décontractée des jeunes comédiennes d’aujourd’hui.
Sans doute faut-il voir dans cette apparence soignée jusqu’au bout des ongles l’expression de ses « influences culturelles » latines et libanaise mêlées.
Une trajectoire cosmopolite
Née à Rio de Janeiro il y a une trentaine d’années, la jeune femme s’exprime dans un français parfait, relevé d’une très légère pointe d’accent qui s’accorde avec son allure cosmopolite. Voix claire, diction nette et mots choisis, elle commence par décliner ce qui constitue son identité. À savoir : une mère brésilienne, actrice qui lui transmet dès son plus jeune âge le goût du théâtre ; un père originaire du pays du Cèdre, à la personnalité charismatique, chaleureuse, qui la couvre d’affection – à coups de « Ya albé, ya habibté, ya 3youné », se souvient-elle avec émotion – et l’emmène partout avec lui dans les réceptions de la diaspora libanaise du Brésil. Et une scolarité entière au Lycée français de Rio qui la mènera naturellement à choisir la France pour y poursuivre sa formation théâtrale.
À Paris, cette polyglotte bosseuse et déterminée mène de front master en études théâtrales à la Sorbonne et cours d’art dramatique au Conservatoire national supérieur, avant de se produire, une fois diplômée, dans de nombreux spectacles, de différentes compagnies. Sa présence forte, son jeu expressif et nuancé, couplé à un beau timbre de voix dont elle se sert avec maestria, aussi bien dans les textes classiques que les créations contemporaines, la feront remarquer des organisateurs du festival Lyncéus en Bretagne, qui la sollicitent pour présenter, dans leur édition de 2017, sa propre création.
« Grâce à ce festival d’écritures contemporaines, j’ai compris que je pouvais ne pas être uniquement dépendante du désir des metteurs en scène et que je pouvais être moi aussi maîtresse de mes choix », affirme la jeune comédienne. Laquelle se lance aussitôt dans un projet de création d’un seul en scène inspiré de plusieurs « figures d’artistes, d’intellectuelles mais aussi d’anonymes qui construisent, dans leur diversité, mon image du féminin », dit-elle. « J’ai ainsi moi-même collecté divers témoignages, interviews et paroles de femmes de différents âges, époques et univers, que j’ai donnés à l’auteur Régis de Martrin-Donos en lui demandant de m’aider à en tirer une dramaturgie et d’en signer la mise en scène. »
Huit femmes de différentes saveurs et tonalités
De leur collaboration naîtra Des femmes : une galerie de huit portraits exclusivement féminins, alternant les moments d’émotion et de dérision, et dans lesquels les spectateurs retrouvent, par la magie de l’art de la métamorphose de la comédienne, des évocations de Barbara, Dalida, Simone de Beauvoir et Elisabeth Badinter… Mais aussi, dans une totale anachronie : une adolescente boutonneuse travaillée par la puberté ; les confidences-conseils d’une prostituée mexicaine ; une mère de famille dont la vie a totalement changé le jour où elle a tenté de tuer son mari ; une scène d’accouchement d’une figure mythologique séduite par Zeus ou encore les minutes du procès en sorcellerie d’une paysanne du Moyen Âge.
Alors, féministe Fernanda Barth ? « Le spectacle pourrait être catalogué féministe, parce qu’il donne la parole aux femmes. Il n’est pas pour autant militant », répond avec subtilité celle qui, à travers ces huit portraits aux différentes saveurs et tonalités, a voulu plutôt « interroger l’essence du féminin dans son rapport aux hommes et au monde. « Sans imposer de réponses, sans aucune visée moralisatrice ou de règlement de comptes avec le masculin », insiste l’interprète, qui avoue à demi-mot avoir mis un peu d’elle-même dans chacune de ces femmes qu’elle incarne sur scène. Normal pour un spectacle conçu spécifiquement pour elle. Et qu’elle défend avec l’enthousiasme d’une femme comblée « par ce cadeau dont rêvent toutes les actrices ».
Fan de Feyrouz et Nadine Labaki
Un cadeau que Fernanda Barth a toujours voulu partager avec le public libanais. De passage au Liban en 2019, « quelques mois avant l’explosion au port de Beyrouth », elle contacte la productrice de spectacles et directrice du théâtre Monnot Josyane Boulos pour lui proposer de présenter son spectacle sur les planches beyrouthines. Mais entre ses reprogrammations durant trois années consécutives au Lavoir Moderne Parisien ainsi qu’au théâtre de la Huchette, l’interruption due à la pandémie du Covid-19 et le planning des tournées en France, le rendez-vous tant attendu n’aura lieu qu’en ce mois de décembre 2023.
La belle brune ne cache pas son bonheur de rencontrer enfin « ce public que je ne connaissais pas jusque-là, mais auquel je tenais absolument à offrir ce travail théâtral qui m’est cher. C’est vraiment de l’ordre du sentimental pour moi », assure-t-elle. Avant d’ajouter : « J’aimerais tellement que Nadine Labaki y assiste un soir. J’ai une grande admiration pour elle. » D’ailleurs, dans le projet d’une seconde cuvée de portraits de femmes qu’elle mijote, avec son complice Régis de Martrin-Donos, elle rêve d’intégrer des femmes du Liban. « J’aimerais y évoquer par exemple Feyrouz, la diva absolue qui m’a toujours fascinée et qui était la voix favorite de mon père. Mais je ne sais pas si ce n’est pas un sacrilège », murmure-t-elle. Subitement impressionnée par son audace…
* « Des femmes », de Régis de Martrin-Donos avec Fernanda Barth, au théâtre Monnot. Jusqu’au 17 décembre, tous les soirs hormis le lundi, à 19h30 précises. Billets en vente chez Antoine et au guichet du théâtre.
L on ne peut rien ajouter à Citoyen, très pertinent
01 h 50, le 10 décembre 2023