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Société - Reportage

D’une guerre à l’autre : la fuite sans fin des réfugiés syriens

Réfugiés au sud du Liban pour échapper au conflit qui a dévasté leur pays, de nombreux Syriens ont de nouveau dû quitter leur abri précaire sous la menace des bombardements israéliens.

D’une guerre à l’autre : la fuite sans fin des réfugiés syriens

Dans le logement temporaire des proches de Joud, près de Ksara, au Liban, le 23 novembre 2023. Photo Olivia Le Poidevin

Un bureau vide, poussiéreux et mal isolé d’une clinique dentaire à Chtaura, dans la Békaa : voilà tout ce qu’a trouvé Abdallah pour s’abriter avec sa femme et ses deux filles. Il y a près d’un mois, ce Syrien originaire de Hassaké, dans le nord-est de la Syrie, a fui avec sa famille le village de Meis el-Jabal, dans le sud du Liban, cible de nombreuses frappes israéliennes. « Les bombardements sont devenus très intenses, sans distinction entre cibles militaires et civiles. Nous avions l’impression que le sol tremblait sous nos pieds... Alors nous avons laissé nos couvertures et nos vêtements, et nous nous sommes enfuis », raconte-t-il.

Abdallah et sa famille font partie des quelque 50 000 personnes déplacées du sud du Liban, selon les chiffres des Nations unies, en raison des échanges de tirs quotidiens entre le Hezbollah et Israël. Après une brève accalmie durant la trêve, les bombardements ont recommencé, rendant tout retour sur place dangereux. Si le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) comptait 89 168 réfugiés syriens enregistrés dans le sud du Liban avant le 7 octobre, on ignore combien d’entre eux ont été déplacés par les récents combats. Une chose est sûre, ces derniers sont dans l’impasse, car pas question pour eux de rentrer en Syrie, où ils ont déjà fui la guerre qui a fait près d’un demi-million de morts depuis son déclenchement en 2011.

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Alors, depuis leur refuge précaire dans la plaine de la Békaa, plusieurs familles syriennes nouvellement déplacées ont fait part à L’Orient Today de leurs difficultés présentes et de leurs craintes pour l’avenir, entre le froid hivernal, le coût de la vie et l’absence de soutien humanitaire.

« Double traumatisme »

Blotties l’une contre l’autre sur un matelas trouvé dans la rue, les deux filles de Abdallah, âgées de 9 et 10 ans, sont encore traumatisées. « À Meis el-Jabal, nous tremblions de peur en pensant que nous pourrions être bombardés. Maintenant, elles se réveillent en sursaut au milieu de la nuit, continuant de craindre les drones », dit Abdallah en regardant ses filles avec peine.

« Elles ont déjà été traumatisées par la guerre en Syrie, alors c’est comme un double traumatisme », ajoute-t-il. Fuir est devenu une routine funeste pour cette famille. Avec l’arrivée de l’État islamique (EI/Daech) dans le Nord-Est syrien, la vie relativement paisible de cet agriculteur de Hassaké a sombré dans le chaos. En 2016, les forces de la coalition anti-EI dirigée par les États-Unis « ont tout bombardé », raconte-t-il. « Notre maison a été totalement détruite par une frappe, et une de mes filles a été tuée par un fragment d’obus. »

Abdallah et ses filles dans leur logement temporaire à Chtaura, dans la plaine de la Békaa, au Liban, le 23 novembre 2023. Photo Olivia Le Poidevin

La famille finit par trouver refuge au Liban en 2021 où, après plusieurs déménagements, Abdallah trouve un boulot de concierge en mai 2023 à Meis el-Jabal en échange d’un toit. « Nous avions trouvé la sécurité que nous cherchions. Désormais, nous voilà de nouveau confrontés à des difficultés. » Car le débordement du conflit entre Israël et le Hamas dans le sud du Liban et son impact sur les déplacés syriens y vivant surviennent dans un contexte de rejet grandissant pour les quelque 1,5 million de réfugiés syriens se trouvant au Liban, dont 800 000 sont officiellement enregistrés auprès du HCR. Selon un rapport de Human Rights Watch (HRW) publié en mai dernier, les forces armées libanaises ont « arrêté arbitrairement et expulsé sommairement » des milliers de Syriens entre avril et mai 2023. Depuis deux ans, les autorités interdisent l’installation  de nouveaux camps ou l’ajout de tentes dans les camps préexistants pour empêcher l’arrivée de nouveaux déplacés.

De quoi compliquer davantage la nouvelle fuite de Abdallah. « Personne n’accepte les Syriens venant du Sud dans les camps, dit-il. Alors nous avons dû nous installer à Chtaura, où il y a moins de restrictions. » S’il considère l’endroit sûr, s’installer en ville le confronte à des difficultés financières : « Nous n’avons pas les moyens de payer le loyer de 150 dollars par mois », admet-il. Puis de s’effondrer : « Je suis épuisé physiquement et émotionnellement. Je cherche des moyens d’obtenir de quoi nous chauffer et de quoi nous nourrir. Nous ne mangeons plus ni fruits ni légumes. Nous n’avons même pas de quoi payer une manouché. » Or, assure-t-il, « jusqu’à présent, aucune organisation humanitaire ne nous est venue en aide ».

« Nous n’avons aucun soutien »

Dans un appartement situé à cent mètres de là, Turkiyeh et sa belle-sœur Samira s’apprêtent à préparer le déjeuner. Turkiyeh a huit enfants, mais ses aînés ne sont pas là ce midi, ils sont partis chercher du travail. Samira, elle, en a six en bas âge. Tous attendent le repas, assis à même le sol. Dans la pièce non meublée, il n’y a qu’un petit réchaud à gaz, sur lequel les deux mamans font cuire les restes de quelques légumes, complétés par le pain posé sur le carrelage froid.

En 2016, Turkiyeh avait entamé avec sa famille un périple de cinq jours entre la campagne de Manbij (dans le Nord syrien) et le Liban pour fuir les horreurs de la guerre. « Daech nous avait assiégés. Ils ont décapité et pendu des gens sur le rond-point », ressasse-t-elle. Pendant sept ans, la famille s’installe à Meis el-Jabal, où son mari multiplie les petits boulots pour gagner de quoi vivre. Jusqu’à ce que les missiles commencent à pleuvoir au-dessus de leurs têtes. « Mes enfants étaient assis dans un coin de la maison et ils criaient. Israël visait aussi les maisons des civils et tout ce qui bougeait dans le village », dépeint-elle.

Samira avec ses jeunes enfants dans un appartement de la ville de Chtaura, dans la plaine de la Békaa, au Liban, le 23 novembre 2023. Photo Olivia Le Poidevin

Malgré tout, quand la plupart des Libanais ont déjà fui le village frontalier, Turkiyeh, Samira et leurs familles demeurent. « Nous ne pouvons pas retourner dans notre pays, où nos maisons sont désormais occupées. Alors où étions-nous censés aller ? » feint d’interroger la première. Jusqu’au jour où le départ s’impose : « Toutes les boutiques étaient fermées, nous ne pouvions pas rester plus longtemps sous les bombes », explique Samira.

Fuir, encore une fois. Mais pas n’importe où. Impossible pour ces familles syriennes de se rendre dans la grande ville du Sud, Tyr, où les loyers culminent à 700 dollars par mois, assurent-elles. « Nous avons passé une nuit dans une voiture que nous avions louée. Nous avons ensuite dormi dans la rue », raconte-t-elle. Arrivées à Chtaura, les deux familles s’installent finalement dans le même appartement, au loyer de 300 dollars, qu’elles n’ont pas les moyens de payer.

Car elles sont parties les mains vides et, depuis deux ans, ne recevraient plus d’aide des agences humanitaires. Dans ce dénuement, le moindre accident peut virer au drame. Assise sur un matelas, Samira ne peut presque pas bouger, une profonde brûlure recouvrant sa jambe droite. « Je me suis brûlée avec la bouilloire, mais aucun centre de soins ne m’a acceptée sans payer au moins 30 dollars », déplore-t-elle. Depuis leur arrivée, Turkiyeh assure que plusieurs organisations humanitaires sont venues les voir, mais jusqu’à présent, elles n’ont pas reçu d’aide à la clef. « Nous n’avons aucun soutien », lâche-t-elle.

À l'extérieur de la maison des proches de Joud, près de Ksara, au Liban, le 23 novembre 2023. Photo Olivia Le Poidevin

N’ayant pas le droit de s’installer dans les camps qui essaiment sur le plateau montagneux de la Békaa, les nouveaux arrivants risquent en effet de passer entre les mailles de l’aide humanitaire, reconnaît Hassan Mahmoud, employé de l’ONG Salam : « Ces Syriens ne savent pas où aller pour trouver les services fournis par les ONG. Ils doivent donc soit être trouvés par quelqu’un, soit être orientés », dit-il depuis un centre communautaire situé à Saadnayel, où l’ONG Salam propose des ateliers professionnels et un soutien scolaire aux réfugiés avoisinants. Mais la situation risque de s’aggraver. Selon l’agence Associated Press, le HCR s’apprête à réduire début 2024 de près d’un tiers le nombre de réfugiés bénéficiant d’une aide en espèces au Liban, faute de fonds suffisants. De quoi accroître la pression sur les organisations telles que Salam. « Nous fonctionnons actuellement à pleine capacité », reconnaît Mahmoud.

Échapper à la mort, devenir sans-abri

Il y a quelques semaines encore, Joud récoltait des olives lorsque sa voiture a été touchée par une frappe israélienne à Aïtaroun, à la frontière avec Israël. « J’étais à une centaine de mètres avec ma femme, mes deux garçons, ma fille de trois ans et mon bébé de trois mois. Nous avons tous failli mourir », raconte-t-il depuis une pièce mal éclairée et humide à Saadnayel, où il s’est installé temporairement. Originaire d’Idleb, Joud travaille depuis 2001 au Liban comme ouvrier agricole. Il faisait des allers-retours jusqu’en 2012, quand la guerre en Syrie l’a forcé à rester au Liban. En 2018, il s’est installé à Aïtaroun, où il se sentait chez lui jusqu’à ce qu’une autre guerre ne vienne de nouveau le déraciner.

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« Je me suis dit que si je restais, c’était dangereux, et si je partais, je deviendrais sans-abri », raconte-t-il. Mais après avoir été blessés par des éclats d’obus lors de la frappe, Joud et sa famille ont été transportés par la Croix-Rouge et la Finul à Majdal Selem, plus au nord. Là, une rumeur l’a poussé à quitter définitivement la région. « J’ai entendu dire que les Syriens s’étaient vu refuser l’accès au village (voisin) de Rmeich par les habitants et la municipalité », assure-t-il. L’Orient Today n’a pas été en mesure de vérifier cette affirmation de manière indépendante. Mohammad Hasan, directeur de l’ONG Access Center for Human Rights, dit avoir reçu des témoignages en ce sens. Selon lui, de nombreux réfugiés rechignent par ailleurs à demander de l’aide aux autorités libanaises lorsqu’ils se déplacent, de peur d’être détenus. Et de prévenir : « La discrimination à l’encontre des réfugiés syriens pourrait empirer en cas d’aggravation de la situation militaire au Liban. »

Installé dans un garage reconverti où vit déjà la famille de son beau-père, Joud sait qu’il ne peut pas y rester éternellement. « Nous sommes 15, ce n’est pas viable. Alors je cherche du travail dans les champs ici, mais c’est payé 3 dollars par jour… De quoi uniquement payer le lait pour mon bébé », résume-t-il.

Un bureau vide, poussiéreux et mal isolé d’une clinique dentaire à Chtaura, dans la Békaa : voilà tout ce qu’a trouvé Abdallah pour s’abriter avec sa femme et ses deux filles. Il y a près d’un mois, ce Syrien originaire de Hassaké, dans le nord-est de la Syrie, a fui avec sa famille le village de Meis el-Jabal, dans le sud du Liban, cible de nombreuses frappes...

commentaires (2)

Ils râlent, grognent et se plaignent de ne pas avoir un abri sûr. Ils disent qu’ils ne mangent pas à leur faim. Et malgré la précarité de leur situation, leurs cervelles arrêtent de fonctionner dès lors qu’il s’agit de continuer à faire des enfants par dizaines

Hitti arlette

20 h 40, le 07 décembre 2023

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Commentaires (2)

  • Ils râlent, grognent et se plaignent de ne pas avoir un abri sûr. Ils disent qu’ils ne mangent pas à leur faim. Et malgré la précarité de leur situation, leurs cervelles arrêtent de fonctionner dès lors qu’il s’agit de continuer à faire des enfants par dizaines

    Hitti arlette

    20 h 40, le 07 décembre 2023

  • Aucune compassion pour ces syriens qui préfèrent galérer chez nous plutôt que de rentrer dignement chez eux . Le chez soi est irremplaçable

    Hitti arlette

    12 h 16, le 07 décembre 2023

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