
Ahmad Abbas, 15 ans à peine, a appris le métier de retoucheur à Beach Camp. Photo Oussama AlKahlout
Beach Camp, ou « Shati », situé sur le littoral méditerranéen, à l’ouest de Gaza City, est le troisième plus grand des huit camps de réfugiés de la bande de Gaza et l’un des plus peuplés. Il accueillait à l’origine 23 000 Palestiniens expulsés de Jaffa, Be’er Sheva, Lydd et d’autres régions. Le camp abritait jusqu’au 7 octobre plus de 87 000 réfugiés, tous agglutinés dans une zone de 0,52 km². Avec ses ruelles très étroites, Beach Camp est l’une des zones les plus densément peuplées de la planète.
C’est ici qu’Ahmad Abbas, 15 ans à peine, a appris le métier de retoucheur en observant son père. Devant la curiosité de l’enfant, ce dernier décide de lui apprendre les bases et tours de main qu’il a lui-même acquis au même âge, autour de dix ans. Très vite, la passion d’Ahmad s’est étendue au patron, à la couture et même à la réparation des machines à coudre. À 13 ans, l’apprenti dépassait déjà le maître. « Nous avons plutôt une relation d’amis que de père à fils », expliquait-il en juillet 2021 au site d’information palestinien AlKoufia venu filmer le prodige. Derrière l’enseigne « Les ciseaux d’or, Abou Ahmad, retouches et couture », s’ouvre un atelier rudimentaire, à même la rue, où s’alignent deux machines à coudre en face d’une chaise dédiée au client, une table à repasser et des ballots de tissu. Ahmad entre, salue son père et un client venu faire ajuster un pantalon neuf. L’enfant fait essayer le vêtement. Quand le client émerge de derrière le rideau, il juge qu’il tombe bien mais qu’il aurait besoin d’un rétrécissement aux jambes et aussi quelques millimètres de longueur en moins. Aussitôt, il se met derrière sa machine, plutôt debout pour atteindre la pédale, se concentre, pose les épingles, trace les lignes, découpe avec précision et passe le tissu sous l’aiguille en actionnant le levier. Il lui reste à couper le fil, donner un coup de repassage, emballer et livrer. En deux temps, trois mouvements, le travail est fait avec une finition de pro.
Le jeune Ahmad Abbas fier de son œuvre. Photo Oussama AlKahlout
« Les clients commencent à le préférer à moi », dit le père avec fierté. Si son fils se lève tôt, se charge de lever le rideau de fer et se dépêche de terminer les commandes en souffrance avant d’aller à l’école, lui se consacre désormais aux achats de tissus, d’accessoires et de fil. Les belles de Gaza confient à Ahmad la confection de leurs tenues de fêtes. Il a l’œil et un sens du luxe qui n’a rien à voir avec le prix. Il sait poser la touche précieuse, le clin d’œil chic d’un col brodé de cristaux, d’une doublure pailletée, autant de détails qu’il faut déceler pour comprendre leur contribution à l’élégance de l’ensemble. En fin de semaine, l’après-midi, après ses devoirs scolaires, il va jouer au foot sur la plage avec ses copains du camp.
Il n’est pas rare que les femmes du voisinage fassent appel à lui pour réparer leur machine à coudre, prendre leurs mesures ou retoucher leurs vêtements. C’est ainsi qu’il a commencé à proposer ses talents de couturier et de créateur, avec un succès non négligeable à l’échelle de sa communauté. Fier de sa petite notoriété, il a décidé de former à son tour son petit frère. Sa photo d’une autre vie, prise en juillet 2021, tombe comme un rayon de soleil égaré parmi les atroces documentaires de la guerre, sur la page Instagram @khanyounest. Dans le petit atelier aux carreaux tachés, au murs marqués de notes, où des ficelles servent de portants, l’enfant montre fièrement une robe d’un rouge profond révélant en transparence le scintillement d’une tunique pailletée. Dans la misère ambiante, cette œuvre lumineuse cache toutes les difficultés qu’ont les habitants de Gaza à s’approvisionner en articles aussi banals que du fil, du tissu, des carreaux ou de la peinture murale.
À la fin du documentaire, Ahmad Abbas disait qu’il voulait devenir un couturier célèbre. Pourvu qu’il survive à la folie meurtrière.
commentaires (1)
Bravo! On lui souhaite de pouvoir continuer sa passion, comme tout enfant.
Hala Salem
12 h 32, le 13 novembre 2023