« Le souci du détail plastique est incroyable », s'émerveille Pascal Butterlin, professeur d'archéologie du Proche-Orient ancien à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, qui a dirigé la mission composée d'archéologues français, européens et irakiens. Pour preuve : les plumes qui composent les ailes sont pratiquement comme neuves, tout comme les sabots de cette créature « hybride, entre animal et humain », explique l'archéologue qui a dévoilé le lamassu, enfoui sous la terre, avec ses collègues mi-octobre. Ne lui manque que la tête, « volée dans les années 1990 par des pillards », puis retrouvée, coupée en morceaux, par les douanes irakiennes avant de finir au musée national irakien à Bagdad.
Les dimensions de ce lamassu sont impressionnantes : il mesure 3,8 sur 3,9 mètres pour un poids de 18 tonnes, tout en albâtre gypseux. « Je n'ai jamais fouillé quelque chose d'aussi gros de ma vie », dit encore Pascal Butterlin. « D'habitude, il n'y a qu'en Égypte ou au Cambodge qu'on fouille des pièces aussi énormes ! » Produit à l'époque du roi assyrien Sargon II dont le règne s'est étendu de 722-705 avant J.-C, le lamassu était posté à l'entrée de la cité de Khorsabad, à environ 15 km au nord de l'actuelle Mossoul (nord de l'Irak).
Dans la mythologie mésopotamienne, « il fait partie de ces monstres qui ont été dominés et apprivoisés. Ils sont placés à l'entrée de la cité pour la protéger », raconte M. Butterlin. « C'est sans doute l'un des derniers taureaux à avoir été mis en place à Khorsabad avant interruption du chantier » à l'époque de Sargon II. Déjà mentionné par l'archéologue français Victor Place au XIXe siècle, le lamassu n'a plus été documenté jusque dans les années 1990, où il a été « dégagé » pour une « intervention d'urgence » par les autorités irakiennes. C'est à ce moment que la tête lui a été coupée et dérobée par des pillards.
Mais la biographie du lamassu de Khorsabad résonne aussi avec l'histoire contemporaine de l'Irak. En 2014, lorsque le groupe État islamique (EI) déferle sur le nord du pays, le village est déserté par ses habitants. Ces derniers connaissaient l'existence du lamassu et ils l'ont « protégé et caché » avant de fuir, dit Pascal Butterlin.