C’est dans une ambiance particulièrement saine et bienveillante que la boîte de nuit AHM, sur le front de mer beyrouthin, a accueilli dimanche dernier la seconde édition du championnat libanais de pole dance. Quatre catégories ont été présentées au public : les débutants « Early Bird », les amateurs « Art », les amateurs « Prov » (provocante) et les semi-pro « Art ». Dix-neuf danseurs, dont deux hommes, ont chacun présenté une histoire personnelle, offrant un show spectaculaire de deux heures trente.
Quelque 450 personnes étaient présentes pour assister à la compétition, dont la famille et les amis des candidats. Un public déchaîné qui a applaudi chacun des mouvements impressionnants réalisés autour de la barre métallique par ces danseurs lors de leur prestation. Parmi eux, Kayelle B., la benjamine de la compétition à peine âgée de 13 ans, a proposé un acte autour du chat, son animal favori, dans la catégorie des semi-pro « Art ». Et le fair-play était de mise pour ce championnat, les participants s’encourageant les uns les autres.
Qui dit compétition dit jurés. Trois professionnels du monde du spectacle étaient au rendez-vous pour juger les prestations : la Mexicaine Thalia Valtierra qui, avec ses 15 ans d’expérience, a déjà été championne du Mexique, championne d’Amérique latine et championne d’Europe de pole dance ; le Libanais Nadim Cherfane, chorégraphe, danseur et fondateur du groupe de danse Mayyas qui avait gagné l’an dernier la 17e saison du show « America’s Got Talent » ; et Salim Azzam, interprète, danseur et grand gagnant de la première édition du championnat libanais de pole dance dans la catégorie « Art » en 2022.
Derrière l’organisation du championnat, l’on retrouve Laura Ayoub, « pole dancer » professionnelle libanaise qui a remporté la première compétition de pole dance en Égypte, le « Pole Theatre Egypt », en 2019. La trentenaire enseigne ce sport depuis 2015, lors de la fondation de son école, Polefit Lebanon, à Beyrouth. Grâce à l’engouement pour la pole dance ces dernières années, l’école de Laura Ayoub compte désormais six studios établis à Beyrouth, Zouk Mosbeh, Baabda, Batroun et Kornet Chehwan, permettant l’embauche de six entraîneurs également.
La pole dance, plus qu’un sport
Pour les candidats, ce championnat n’était pas qu’une compétition, mais plutôt un moyen d’exprimer leurs histoires et leurs passions, tout en brisant le tabou entourant ce sport qui, pour beaucoup, renvoie à la sexualité parce que associé au strip-tease. De fait, un bar où se déroulait un show de pole dance a dû récemment fermer ses portes au Liban, pris par les autorités pour un show de strip-tease, et donc « illégal », raconte Laura Ayoub, ajoutant que « les danseurs se font parfois injurier pour leur pratique de cette activité ».
Deux des candidates, Marita Matar et Christelle Mouannès, ont été danseuses professionnelles de ballet moderne pendant une décennie, avant de se lancer dans la pole dance il y a trois ans. Les deux vingtenaires en sont vite tombées sous le charme : « C’est un sport qui rassemble des femmes fortes », souligne Christelle Mouannès. Et à Marita Matar d’élaborer : « Dans le contexte libanais plutôt conservateur et religieux, la pole dance offre l’opportunité à la femme de reprendre possession de son corps. Pour moi, la pole me permet de me libérer et de m’opposer justement à ce contexte. C’est moi sur la pole qui maîtrise mon corps. » Et si cela est perçu par certains comme une sexualisation du corps des femmes, la vingtenaire répond : « Et alors ? Je le fais pour moi-même, pas pour les autres. Ma danse représente cet esprit de résistance créative, non violente, artistique. Pour moi, la pole dance, c’est l’émancipation de la femme. »
Casser les préjugés, cela fait également partie des combats de la pole dance, comme le souligne Mia Massaad, tout juste 20 ans, qui a concouru dans la catégorie semi-pro. « Je voulais essayer quelque chose de nouveau et je suis tombée amoureuse de ce sport qui combine force et créativité. »
Laura Ayoub insiste : « Il n’y pas d’âge pour commencer, ni pour pratiquer ni de prérequis physique. » Par exemple, lors de la première édition, une femme de 55 ans avait participé au championnat.
Les grandes gagnantes
Martchella Mahlouf a gagné dans la catégorie, débutant « Early Bird » avec une prestation tout droit tirée de l’univers du film Avatar. Rhea Zoghby a, elle, remporté la première place en amateur « Art » pour sa représentation touchante autour des explosions au port de Beyrouth du 4 août 2020. À travers son art, elle a cherché à revendiquer un message dénonçant l’injustice et la peine que cette tragédie continue de provoquer. Dans la catégorie amateur « Prov », c’est Gretta Sleiman, 35 ans et deux enfants, qui a gagné en revendiquant, elle, l’émancipation de la femme dans le monde arabe, comme décrit dans l’interlude par cette phrase : « Mon corps m’appartient et j’en fais ce que je veux. » Enfin, Francesca Yazbeck (16 ans) est la grande gagnante de la catégorie semi-pro « Art », avec un spectacle plein de joie et de paillettes.
Comme dans ses cours, où elle prend le temps de transmettre sa passion aux élèves dans un discours d’acceptation, Laura Ayoub a également tenu à faire passer ce message à tous les participants dans le cadre de ce championnat : « Si vous concourez juste pour gagner, vous ouvrez la porte à la déception, mais si vous concourez pour toutes les autres grandes raisons que cela peut vous apporter, alors vous n’ouvrez que les portes du bonheur. »