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Culture - Décryptage

« À la manière de Wes Anderson » : un réalisateur perdu dans sa propre caricature ?

Après le pic de la nouvelle tendance inspirée par le réalisateur sur les réseaux sociaux ; les vidéos filmées « à la manière de Wes Anderson », la sortie de son nouveau film « Asteroid City » divise le public.

« À la manière de Wes Anderson » : un réalisateur perdu dans sa propre caricature ?

Scarlett Johansson dans « Asteroid City ». Photo DR

Moins de deux heures après le début du film, la lumière se rallume. La salle de cinéma parisienne se vide de ses spectateurs tandis que les crédits continuent à défiler sur l’écran. Presque personne pour s’attarder à les lire, les grands noms du cinéma se succèdent tristement depuis le projecteur. Comment un casting si exceptionnel a-t-il réussi à être si mal exploité ?

À cette sortie de salle, les différents profils se rencontrent, des avis se croisent et d’autres divergent. Du cinéphile frustré de ne plus retrouver l’authenticité de son réalisateur préféré au jeune adolescent comblé d’avoir assisté à son premier Wes Anderson, en passant par l’étudiant en cinéma insatisfait d’un script jugé trop superficiel. Pas de doute, ce onzième film d’Anderson divise. Explications à l'aune de sa sortie dans les salles libanaises.

Steve Carell dans « Asteroid City ». Photo DR

Asteroid City raconte deux histoires simultanées qui se passent en 1955. Une pièce de théâtre fictive qui se déroule dans le désert américain où a lieu une compétition d’astronomie, et en parallèle toute la partie de la création et de la mise en scène de cette pièce avec son auteur et ses acteurs. Une intrigue peu complexe avec des personnages excentriques, fidèle à la patte du cinéaste. Rien de vraiment hors du commun jusqu’à présent et, pourtant, Asteroid City a eu droit à une réelle vague d’attention, une popularisation du film et de celui qui lui donne vie, auprès d’un nouveau public plus jeune.

On le sait, les réseaux sociaux, et encore plus spécifiquement TikTok, sont l’apanage des jeunes. Alors lorsque le réalisateur se retrouve mis à l’honneur grâce à la tendance #AccidentlyWesAnderson – tendance qui consiste à transformer sa vie quotidienne en un film du cinéaste en tentant de reproduire l’esthétique si particulière de celui-ci –, ce sont des milliers d’adolescents et de jeunes adultes qui se prêtent au jeu, et, n’ayant jamais regardé un film de Wes Anderson, s’amusent déjà à filmer à sa manière. Et voilà que cette nouvelle génération, qui était peut-être moins encline à découvrir des films au style rétro, se retrouve immédiatement attirée par cette esthétique unique, et trouve en Asteroid City un attrait particulier. Les TikTokers libanais, jamais en retard d'une tendance, s'y mettent aussi en filmant des quartiers, des villes ou des lieux du pays à la manière de Wes Anderson.

Théa, 16 ans, avoue qu’elle ne connaissait l’identité de ce réalisateur qu’à travers « ces fameuses vidéos sur les réseaux sociaux, donc j’étais ravie de découvrir enfin sur grand écran les techniques qu’on essayait tous de reproduire sur nos smartphones ».




Il faut dire que le film fascine par son visuel. Le réalisateur maîtrise à la perfection son esthétique. Il y affirme une mise en scène très théâtrale en affichant une colorimétrie aux tons chauds, sans oublier son obsession pour les couleurs pastel et les détails, les uniformes qui lui sont propres et les plans impeccablement symétriques. Quoi de mieux pour une première découverte du travail de l’artiste ? Gen Z est comblée.

Et puis s’il y a bien un public auquel parle le cinéma de Wes Anderson, ce sont les jeunes. Des jeunes qui ont vécu au premier plan la solitude du confinement et se retrouvent donc dans les scénarios d’Anderson, qui contiennent très souvent des personnages très jeunes ou des adultes qui auraient oublié de grandir, vivant dans des espaces irréels semblant les emprisonner. Un scénario qui ravit par la présence de réalités contemporaines et atemporelles si bien décrites dans cette nouvelle œuvre.

Évidemment, cette nouvelle popularité n’a pas été sans controverse. Certains critiques estiment que le film a été exagérément « hypé » par la publicité TikTok, et que cet inversement de l’ordre des choses, la découverte du film de façon non « naturelle », appelle à des attentes différentes, bien plus superficielles que celles du cinéphile traditionnel.

Cinéaste ou créateur de mode ?

Depuis ses débuts, Wes Anderson a conquis les cinéphiles avec son identité visuelle unique et reconnaissable entre mille. Il n’est pas risqué d’affirmer que l’artiste a atteint le sommet de son art avec The Grand Budapest Hotel, fer de lance de sa filmographie. Cependant, Asteroid City nous confronte à une réalité ; le réalisateur semble s’être enfermé dans son propre univers et la critique s’accorde à estimer que le réalisateur a des difficultés à se réinventer. Sa formule, qui nous a bien longtemps paru magique, nous semble désormais trop familière et finit par moins nous impressionner.

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Voilà le risque lorsque l’on est un réalisateur avec une identité aussi forte qu’Anderson ; ne plus savoir à quel moment on arrête d’inventer et on commence à se caricaturer. Et c’est alors inévitablement que l’on perd l’authenticité de ses premiers films avec maintenant un style bien trop maîtrisé et donc avec des enjeux émotionnels quasi nuls. Jad, 21 ans, grand passionné du cinéma et adepte des réalisations d’Anderson, indique : « On a l’impression de revoir les mêmes thèmes, les mêmes motifs, les mêmes séquences scénaristiques qui ont fait le succès de ses films précédents et la forme prend malheureusement beaucoup trop le dessus sur le fond. » Anderson, bien trop concentré sur la symétrie de ses plans, en oublie de s’intéresser à ce que le film a à raconter par lui-même… Il poursuit en affirmant que le cinéaste semble « s’être enfermé dans une certaine autosatisfaction, et on se retrouve à regarder un film sur Wes Anderson, qui semble nous présenter ses nouvelles créations comme un défilé de mode, en excluant tout le public, en faisant un film qui est fait pour les critiques et pour ses acteurs, mais qui en l’occurrence nous laisse dans un vide abyssal ».

Asteroid City demeure une expérience cinématographique à double tranchant ; un film qui ravit les inconditionnels du style unique de Wes Anderson, qui réussit à captiver un nouveau public plus jeune grâce à la puissance des réseaux sociaux, mais aussi un film qui soulève des questions sur la nécessité pour le réalisateur de prendre des risques pour préserver son génie créatif. Mais, il est essentiel de reconnaître que la popularité d’Asteroid City a ouvert des portes à de nouveaux cinéphiles, les incitant peut-être à explorer davantage les riches univers des cinémas indépendants et classiques, dans un monde où la viralité peut propulser une œuvre artistique vers de nouveaux sommets.

Moins de deux heures après le début du film, la lumière se rallume. La salle de cinéma parisienne se vide de ses spectateurs tandis que les crédits continuent à défiler sur l’écran. Presque personne pour s’attarder à les lire, les grands noms du cinéma se succèdent tristement depuis le projecteur. Comment un casting si exceptionnel a-t-il réussi à être si mal...

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