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Environnement - Reportage

Brih, un village modèle du recyclage malmené par la crise

Depuis 2016, cette municipalité a créé sa propre déchetterie. Alors que la crise des ordures repointe le bout de son nez au Liban, les rues de cette commune sont épargnées.

Brih, un village modèle du recyclage malmené par la crise

À l’entrée de la déchetterie de Brih (Chouf). Photo João Sousa

Dans le village de Brih, dans le Chouf, une vieille camionnette rouillée sillonne les ruelles, encore désertes ce matin-là, pour récolter les déchets des habitants. Mais la tournée matinale de Rawad, l’employé de la municipalité chargé de l’opération avec ses deux collègues syriens, Bachar et Khodr, ressemble peu à celles de la plupart de leurs homologues aux quatre coins du Liban : ici, pas de bennes pleines à rebord – supprimées il y a sept ans – pour ponctuer leur parcours, mais un arrêt devant les poubelles de chacun des 350 foyers du village. Les habitants se sont chargés eux-mêmes de trier leurs restes en fonction du planning hebdomadaire : le verre et le plastique le mardi ; les cartons le jeudi ; et les déchets organiques, comme pour ce lundi-là, les trois autres jours ouvrés de la semaine…

« En été, on travaille aussi le samedi car il y a plus de pression avec l’arrivée de ceux qui estivent », précise Nassim Ali, le conseiller municipal en charge des questions d’environnement, au moment d’accueillir le trio à leur destination finale : un terrain de 300 m² qu’il a lui-même mis à disposition du village pour y installer ce qui fait désormais la fierté de ce dernier. Un véritable centre de recyclage, où le système D n’empêche pas l’organisation millimétrée : au bout de cette allée encastrée entre deux collines de bouteilles – le plastique « fin » ne pouvant être traité sur place –, on broie le verre en sable, réutilisé pour les bordures de route du village ; concasse le plastique « épais » en petites billes noires revendables ; et transforme les déchets organiques en engrais – vendu à un prix symbolique de 50 000 livres libanaises aux paysans locaux.

Le tri des bouteilles en plastique. Photo João Sousa

Cas d’école ?

L’odeur des déchets imbibe les lieux, le bourdonnement des mouches bat son plein, et alors qu’un chat noir brave la montagne de détritus, le trio d’éboueurs rejoint leur collègue Ghazi pour la suite des opérations : s’assurer que les déchets ont bien été triés. Si la plupart ont joué le jeu, des bouteilles en plastique, des canettes et quelques autres déchets solides sont soigneusement séparés et placés dans des bacs dédiés et facilement identifiables à leur couleur respective. « Plus de la moitié des résidents recyclent leurs déchets. En été, moins peuvent recycler car certains viennent uniquement le week-end. Pour nous, c’est une réussite… » se félicite Nassim al-Ali. Pour Rawad en revanche, le verre est plutôt à moitié vide : « Nous essayons de sensibiliser les habitants mais ça ne suffit pas… » soupire l’employé quadragénaire.

Du verre concassé en sable. Photo João Sousa

Vient alors la première étape du compostage, dite de « dégradation » : il leur faudra remuer ces déchets pendant 21 jours pour atteindre de façon naturelle la température nécessaire à la deuxième étape (la « maturation »), lors de laquelle les déchets décomposés seront placés dans le conteneur à compost. Alors que Khodr s’emploie à réaliser la première, une fumée s’échappe, mais pas de quoi inquiéter ces professionnels improvisés : « Nous atteignons une température entre 60 et 62°, celle-ci doit être entre 50 et 75° », dit Nassim al-Ali, désormais rodé par des années d’expérience. « Avant la crise, on avait le double de déchets à traiter : il est clair que les résidents consomment moins à cause de la cherté de la vie », constate de son côté Sobhi Lahoud, président du conseil municipal et architecte de ce projet qui aurait pu être un cas d’école pour les petites communes du pays.

Pour Brih et ses habitants, l’aventure commence en 2016 : alors que le reste du pays se remet à peine de la crise des déchets à l’origine du mouvement de protestation « Vous puez », la municipalité de Brih – refondée cette année-là suite au processus de « réconciliation de la Montagne » – décide de rebondir sur une initiative locale portée par une poignée de volontaires. « Au départ, des jeunes du village avaient lancé le mouvement « Brih trie » afin de sensibiliser les habitants à ce problème, mais les déchets étaient collectés en même temps et sans distinction par les camions-bennes. On s’est dit que l’on devait faire quelque chose », se souvient Sobhi Lahoud. La municipalité décide alors de consulter différents acteurs spécialisés pour mettre en place son propre système de traitement de déchets. Avec l’ONG Terre Liban, ils conçoivent un projet environnemental – « très traditionnel et simple, qui a coûté 10 000 dollars » – d’investissement initial, selon l’élu. Des machines de recyclage sont d’abord bricolées avec les moyens du bord, et le circuit est mis en place. Depuis, le seul changement notable dans le dispositif réside dans les machines de broyage et traitement plus perfectionnées – grâce à une aide des Pays-Bas –, qui permettent de traiter entre 700 et 800 kg de déchets en hiver, et environ une tonne, en été.

Le compost. Photo João Sousa

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Un modèle abordable ?

Des performances notables à un coût a priori abordable, qui auraient pu faire de cette expérience un véritable laboratoire pour l’ensemble de la ruralité libanaise. « Notre système peut être appliqué à tous les villages de moins de 5 000 habitants », résume fièrement Sobhi Lahoud. À l’en croire, la très grande majorité des communes du pays (selon les chiffres de Terre Liban, 80 % des municipalités du Liban ont moins de 5 000 habitants) pourraient donc suivre le même exemple, dans un contexte où leurs caisses vides et l’absence de gestion efficace du problème à l’échelle nationale les laissent désarmés face aux monticules de déchets qui décorent leurs rues.

Les déchets décomposés sont placés dans le conteneur à compost. Photo João Sousa

Sur le papier en tout cas. Car avec la crise économique et l’inflation galopante qui ravagent le pays depuis près de quatre ans, ce système D de recyclage fait face à de sérieux défis logistiques et économiques, concède l’élu devant une rangée de machines à l’arrêt, faute de courant. « Nous avons fabriqué un “moteur”, mais ça consomme beaucoup trop d’essence… » Résultat, alors que ce circuit décentralisé permettait à la municipalité de rentrer dans ses frais – voire parfois de faire un profit – grâce aux frais payés par les habitants et la vente des recyclables, aujourd’hui, les charges des foyers ne couvrent même plus le plein d’essence. « Avant 2019, les foyers payaient 30 000 LL par mois (20 dollars de l’époque, NDLR) ; aujourd’hui, ils en payent 100 000 (un peu plus d’un dollar au marché noir), ce qui est loin de couvrir tous les coûts », se désole l’élu. Au total, il récolte par mois 2,5 millions de livres de charges – certains foyers n’ayant pas les moyens de régler la facture –, à quoi s’ajoutent les revenus générés par les matériaux revendus, soit environ 800 000 LL par mois pour le compost et environ 3 000 000 LL pour les autres matières recyclées. Quant aux salaires des employés – totalisant 400 dollars –, c’est « parfois le président de la municipalité qui les règle de sa poche », affirme Nassim al-Ali.

Mais malgré toutes ces difficultés, pas question pour Sobhi Lahoud de revenir en arrière : « Nous allons continuer pour les habitants de la ville. Et puis, si l’on repasse par une compagnie, ça nous reviendra plus cher… »

Dans le village de Brih, dans le Chouf, une vieille camionnette rouillée sillonne les ruelles, encore désertes ce matin-là, pour récolter les déchets des habitants. Mais la tournée matinale de Rawad, l’employé de la municipalité chargé de l’opération avec ses deux collègues syriens, Bachar et Khodr, ressemble peu à celles de la plupart de leurs homologues aux quatre...

commentaires (5)

Bravo, il faudrait que les autres municipalités prennent l'exemple de Brih.

Saliba Patricia

00 h 44, le 18 juillet 2023

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Commentaires (5)

  • Bravo, il faudrait que les autres municipalités prennent l'exemple de Brih.

    Saliba Patricia

    00 h 44, le 18 juillet 2023

  • Bravo ! comme quoi quand on veut au Liban, on peut

    rayelie

    10 h 42, le 16 juillet 2023

  • Bravo, bonne continuation et bon courage

    Staub Grace

    08 h 42, le 16 juillet 2023

  • En Slovaquie, au Costa Rica, et même à Rutila petite île des Caraïbes le plastique produit sur l’île est aujourd’hui déchiqueté et utilisé comme revêtement de chaussée et il fonctionne très bien, il ne craque pas il est même plus solide, plus durable et moins cher que l'asphalte des routes conventionnelles . En Inde des milliers de kilomètres de routes sont construits à partir de ce procédé, les Libanais auraient un moyen créatif pour se débarrasser de leurs déchets en plastique et la matière première pour le fabriquant serait quasiment gratuit...

    C…

    00 h 39, le 16 juillet 2023

  • MILLE BRAVOS : Il est où le ministre concerné pour prendre de la graine ? Les responsables des autres villes? des autres municipalités??

    LE FRANCOPHONE

    00 h 14, le 16 juillet 2023

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