« Après la guerre, le Liban fleurit de poètes de la dernière pluie », écrit Sofia Karámpali Farhat dans son recueil poétique Zaatar. À la lecture de ce court poème, j’ai pensé à Etel Adnan, à son absence. Quand la poétesse et peintre est décédée, nous étions nombreux à nous demander : « Et maintenant, comment va-t-on faire sans elle ? » Elle était une téta d’adoption, une mentor, une confidente. Sans la connaître personnellement, on pouvait se sentir proche d’elle en lisant ses livres, en regardant ses toiles, en écoutant ses entretiens. Elle était une voix, un lieu où l’on pouvait venir se recueillir, prendre un peu de hauteur sur le monde, se réfugier si possible.
Sofia et Etel ont plusieurs points communs. Elles sont de mère grecque et de père arabe. Toutes deux ont grandi au Liban. Toutes deux ont connu la guerre. Pour Etel, il y en a eu de nombreuses, et elle a écrit : « Aller chez le dentiste le matin de bonne heure puis rentrer. S’allonger en attendant les informations de midi. Avoir mal à la tête. Être impatiente. Vomir la guerre. Accueillir le brouillard avec la joie et les larmes. Trouver de la tendresse aux pierres. Accueillir Sarah Miles avec du thé et des gâteaux. Rater les informations. Bavarder. Dire au revoir. Commencer à faire sa valise. Oublier la guerre. Ne jamais cesser d’y penser. Ignorer la beauté de la journée. Arroser le jardin. Baver de dégoût. Remarquer le bleu porcelaine du ciel. Suivre un nuage. » Pour Sofia, c’était l’occupation israélienne du Liban-Sud puis la guerre de juillet 2006, et elle a écrit : « Je suis née sous les bombes je mourrai sous les mots qu’il pleuve sur moi des torrents infinis je me redresserai mouillerai mes cheveux et danserai encore. »
Sofia est née en 1994, elle n’est d’aucun pays, elle est d’un champ d’oliviers. C’est ce dont elle se souvient de son enfance dans le « Jnoub » (Sud), comme elle le raconte. Zaatar, ce sont des mots pour se dévoiler, des mots pour se préserver, des mots pour se rappeler constamment que tout n’est pas si sombre malgré l’exil : « Je me fais belle je vois mes amis apéro ce soir ici c’est Paris Paris est une fête je me fais belle je me fais libre j’oublie le passé je maquille mes yeux j’enfile mon chapeau je claque la porte sur ma nuque le parfum des défunts traîne toujours. » La poésie de Sofia se lit entre les lignes, dans ce qu’elle n’écrit pas. Des poèmes de non-dits. Il me semble qu’Etel ait été réincarnée, je la reconnais dans les mots de Sofia : « Donne-moi ta haine, j’en ferai un poème.»
« Zaatar », Sofia Karámpali Farhat, éditions Bruno Doucey.
Écrivain, journaliste, photographe et commissaire d’exposition, Sabyl Ghoussoub a reçu le prix Goncourt des lycéens pour son livre « Beyrouth-sur-Seine », aux éditions Stock. Il a publié auparavant deux autres romans aux éditions de l’Antilope : « Le nez juif » et « Beyrouth entre parenthèses ».