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Moyen-Orient - Témoignages

En Syrie, la normalisation musicale par l'électro

Des DJ libanais et européens sont régulièrement invités à mixer à Damas lors de soirées inaccessibles pour la majorité de la population syrienne.

En Syrie, la normalisation musicale par l'électro

Une soirée électro au célèbre krak des Chevaliers, en Syrie, le 19 août 2022. Photo Instagram.

Illuminés par des lasers rouges, des jeunes dansent, parfois un verre à la main, au rythme de la musique techno et électro par une chaude nuit de juin. La soirée, immortalisée en vidéos et photos postées sur les réseaux sociaux, durera jusqu’au petit matin. Une scène underground comme on en trouve à Beyrouth ou ailleurs, mais qui se déroule en réalité sur la terrasse d’un bar huppé de Damas, le Davinci’s. Un établissement situé sur le toit d’un hôtel, à quelques minutes en voiture du palais présidentiel et de la tristement célèbre prison militaire de Mazzeh.

Ces soirées n’ont rien de nouveau pour la jeunesse dorée de la capitale syrienne, ville où la majorité d’entre elles sont organisées. Elles ont commencé aux alentours de 2017, quand un premier collectif de musique techno-électro a été créé par un DJ syrien. Depuis, plusieurs initiatives du même type ont émergé, et ces événements réunissent aujourd’hui quelques centaines de personnes dans des bars et des boîtes de nuit, mais aussi dans des lieux incongrus, comme vendredi prochain, dans une usine de ciment désaffectée à Dummar, en banlieue de Damas. Alors que la normalisation avec le régime Assad a le vent en poupe, ce genre d’événements pourrait se développer.

Une soirée organisée en mai 2022 dans l'ancienne usine de ciment, à Dummar, dans la banlieue de Damas. Photo extraite du compte Instagram d'Ilona Lica

« C’est magique là-bas », confie Carl*, un DJ libanais qui a requis l’anonymat, en faisant défiler les vidéos sur son téléphone d’une soirée à Damas pour laquelle il était allé mixer en mars 2022. La scène techno-électro syrienne a un attrait particulier pour les DJ originaires du Liban : elle vient tout juste de se constituer et a un potentiel de croissance important, selon eux. « C’est nouveau comme style de musique là-bas. Les gens découvrent et la foule y est extraordinaire », détaille Élias Merheb, qui travaille dans la musique depuis près de trente ans. Cet artiste libanais indique s’être rendu en Syrie plusieurs fois depuis 2019. « Depuis que la guerre est terminée, j’y vais au moins une fois par an. Je dois y retourner bientôt », dit-il.

Depuis que le régime de Bachar el-Assad a repris une grande partie du territoire syrien avec l’appui de ses alliés russe et iranien, un semblant de « normalité » a gagné les grandes villes du pays. « Les gens ont besoin de décompresser. Ils sortent et veulent s’amuser. Ils vont faire la fête pendant douze ou treize heures d'affilée », raconte Carl. Pour ces Libanais, le fait de pouvoir se rendre en Syrie sans visa facilite ces allées et venues, mais pour Élias Merheb cela va même plus loin. « On se sent comme chez nous. C’est une extension de la famille de la scène dans laquelle on est », estime-t-il, notant les liens d’amitié entre les producteurs de soirées et les artistes. « Comme ce sont nos amis, on joue parfois gratuitement, parce qu’on connaît leurs difficultés. Mais lorsqu’ils peuvent nous rémunérer, on est un peu mieux payés qu’au Liban », affirme-t-il.

Clientèle aisée et DJ internationaux

Si les autorités syriennes avaient fermé les frontières aux touristes dès le début du soulèvement populaire en 2011 et jusqu’en 2016, elles recommencent à délivrer, depuis la fin de la pandémie du Covid-19, en septembre 2021, des visas touristiques incitant des influenceurs sur les réseaux sociaux et des agences de voyages européennes à visiter le pays. Les autorités locales délivrent des permis aux organisateurs de ces soirées électro, afin de redynamiser le secteur événementiel et tente de polir son image, alors que la normalisation avec le régime Assad s'accélère. Mais ce monde de la nuit est mis à mal par la crise économique qui frappe sévèrement le pays et qui a entraîné un ralentissement de la fréquence des fêtes. Le retour des touristes ne semble pas seulement attendu par le régime, mais aussi par les organisateurs de soirées. « Avec la crise, on ne peut pas uniquement compter sur les locaux. Avant la pandémie, on faisait des soirées avec 550 personnes, alors que maintenant, on ne peut pas en attendre plus de 200 », déplore Rami*, un entrepreneur syrien du secteur, expatrié depuis l'an dernier aux Émirats arabes unis, en attendant que la situation économique s’améliore.

Ces événements ne sont accessibles qu’à une clientèle aisée, capable de payer en une seule soirée un ticket d’entrée entre 10 et 30 dollars, soit parfois plus que le salaire moyen d’un Syrien qui avoisine les 18 dollars. Un public jeune, qui vit parfois à l’étranger ou revient au pays après y avoir fait des études. « Il y a une ambiance très européenne aux soirées à Damas », renchérit Élias Merheb.

La DJ estonienne, Ilona Lica, posant dans l'ancienne cimenterie à Dummar, dans la banlieue de Damas, en mai 2022. Photo extraite de son compte Instagram.

Alors, pour espérer attirer ces fêtards exigeants et remplir les caisses, il faut se démarquer. « Dès que cela a été possible, on a commencé à inviter des DJ internationaux pour mieux faire découvrir ce genre musical », raconte un organisateur, qui a lui aussi demandé à rester anonyme. Les artistes se voient offrir des voyages tous frais payés et n’ont pas besoin de se préoccuper de leur visa. « Tout a été arrangé pour moi », affirme Joone, un DJ britannique (23 000 abonnés sur Instagram). Ilona Lica, une DJ estonienne, est régulièrement invitée à mixer en Syrie, comme à l’ancienne cimenterie, en mai dernier, ou lors d’un live set en août 2023 entre les ruines du célèbre krak des Chevaliers, à l’ouest de Homs, classé au patrimoine mondial de l’Unesco. « Un moment exceptionnel dans l’un des monuments historiques les plus emblématiques de Syrie », résume-t-elle sur un post Instagram.

À moins de 200 kilomètres de là, des combats entre les différentes forces en présence secouent régulièrement la province du nord-ouest d’Idleb – dernier bastion aux mains des rebelles –, ainsi que le nord-est du pays, tandis que la répression des opposants par le pouvoir se poursuit à travers la Syrie. Pas plus tard que dimanche 25 juin, des bombardements sur un marché, lancés par l'armée russe, alliée de Damas, ont tué au moins treize personnes, dont des enfants. Mais qu’ils soient artistes ou organisateurs, tous sont unanimes : ils ne parleront pas de politique. DJ Joone confie s’être senti en sécurité en Syrie : « C’était comme n’importe quel jour au bureau », insiste-t-il en se remémorant sa visite d’octobre dernier. Les questions sécuritaires ne semblent pas déranger non plus les DJ libanais qui perçoivent le pays voisin comme une scène comme une autre. « Damas est l’endroit le plus sûr de la Syrie », justifie Élias Merheb. « Tu ne sens plus la guerre. On s’y sent autant en sécurité qu’à Beyrouth ! » abonde Carl.

* Les prénoms ont été modifiés.

Illuminés par des lasers rouges, des jeunes dansent, parfois un verre à la main, au rythme de la musique techno et électro par une chaude nuit de juin. La soirée, immortalisée en vidéos et photos postées sur les réseaux sociaux, durera jusqu’au petit matin. Une scène underground comme on en trouve à Beyrouth ou ailleurs, mais qui se déroule en réalité sur la terrasse d’un bar...
commentaires (3)

Les soirées electro organisées au Liban sont-elles accessibles pour la majorité des libanais ?

Esber Arwad

13 h 43, le 02 juillet 2023

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Commentaires (3)

  • Les soirées electro organisées au Liban sont-elles accessibles pour la majorité des libanais ?

    Esber Arwad

    13 h 43, le 02 juillet 2023

  • Donc facile pour les Syriens de retourner chez eux!! Qu'est-ce qu'ils attendent!!!!Comprenez bien que le Libanais sont pris en otages!!!Vite un changement de gouvernement!Ça URGE!!!

    Hélène SOMMA

    00 h 14, le 01 juillet 2023

  • "Électro" en Syrie fait trop penser à la torture…

    Gros Gnon

    11 h 04, le 30 juin 2023

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