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Moyen-Orient - Décryptage

Les principales leçons à retenir des élections turques

Vague ultranationaliste et xénophobe, marginalisation politique des Kurdes, failles de l’opposition, crise économique éclipsée… Voici les enseignements à tirer du scrutin remporté au second tour par Recep Tayyip Erdogan. 

Les principales leçons à retenir des élections turques

Un supporter de Recep Tayyip Erdogan devant le palais présidentiel à Ankara, le 29 mai 2023. Adem Altan/AFP

Il l’a fait. Le reïs est parvenu à se faire réélire pour un troisième mandat, distançant son opposant Kemal Kiliçdaroglu de près de cinq points au second tour d’élections à la veille desquelles il était donné perdant par tous les sondages d’opinion. Après deux décennies d’un pouvoir de plus en plus autoritaire, les partisans d’un renouveau post-Erdogan déchantent. Le virage à droite opéré par leur candidat lors de l’entre-deux-tours pour essayer, en vain, de rattraper son retard, n’y aura rien fait. Outre la ténacité du président sortant, ces élections ont mis en évidence les lames de fond traversant la politique turque, résumées en un constat : l’électorat turc a dans sa majorité privilégié les questions identitaires et sécuritaires sur les enjeux socioéconomiques.

Un entre-deux-tours pour rien ?

Si la participation a perdu trois points par rapport au 14 mai, s’élevant à 85 %, la carte électorale n’a pas bougé entre les deux tours, dessinant un pays divisé entre un électorat plus progressiste dans les grandes villes et les régions côtières et kurdes et un vote conservateur dans les régions de l’intérieur du pays. L’écart entre les deux candidats est, lui aussi, resté à peu près le même qu’au premier tour. Les voix de l’ultranationaliste Sinan Ogan, le troisième homme du premier tour avec 5,2 % des suffrages, qui avait appelé à voter pour M. Erdogan, se sont divisées alors que son allié Ümit Özdag, leader du Parti de la victoire, ayant rapporté 2,2 % des électeurs, avait scellé un accord avec l’opposition. Le 24 mai, M. Kiliçdaroglu a en effet signé un accord de coopération avec l’homme politique d’extrême droite, lui promettant le poste de ministre de l’Intérieur en cas de victoire ainsi que le renvoi dans leur pays d'origine de tous les migrants se trouvant en Turquie. La stratégie du candidat de l’opposition de troquer son discours rassembleur au profit d’un mantra xénophobe à l’encontre des 3,6 millions de réfugiés syriens durant l’entre-deux-tours n’aura pourtant pas réussi à attirer le soutien des électeurs ultranationalistes.

L'échec de l’opposition

Certes, coaliser six partis contre M. Erdogan relevait de la prouesse. Mais celle-ci s’est aussi révélée un talon d’Achille, en raison d’un manque d’unité apparent. Une lacune incarnée par les tergiversations de Meral Aksener, à la tête du deuxième parti de l’Alliance de la nation, le Iyi Parti (Bon Parti), qui a quitté la Table des six à l’annonce de la nomination de Kemal Kiliçdaroglu à deux mois du scrutin, avant de la rejoindre à reculons. Elle aurait préféré une candidature de l’un des deux maires populaires du Parti républicain du peuple (CHP), Mansur Yavaş à Ankara ou Ekrem Imamoglu à Istanbul, qu’elle pensait avoir de meilleures chances d’empêcher la réélection du président sortant. Outre le choix du candidat, limité notamment en raison d’une procédure judiciaire pesant contre M. Imamoglu, l’opposition, éclatée entre six partis aux positions radicalement différentes, n’a pas défini une stratégie claire sur l’économie, enjeu qui aurait pu être un cheval de bataille dans un pays miné par une crise inflationniste et une dévaluation record. Malgré une mise en ballottage inédite, le représentant de l’opposition n’a pas su rassembler suffisamment pour gagner. Après le premier tour, l’opposition a gardé un silence assourdissant pendant trois jours, avant d’opérer une volte-face en faisant dans la surenchère antiréfugiés syriens et antikurde. Si le Parti démocratique des peuples (HDP) prokurde ne s’est pas désolidarisé, ce virage à droite lui a coûté des voix dans les zones kurdes, qui se sont moins mobilisées qu’au premier tour. Quoi qu’il en soit, cette opposition fragmentée n’avait pas obtenu la majorité au Parlement lors des élections parlementaires du 14 mai.

L’ultranationalisme, grand vainqueur du scrutin

Les élections ont montré que le nationalisme s’impose en lame de fond du paysage politique turc. Le président sortant en est à la fois l’un des artisans et le principal bénéficiaire. Avec son slogan « local et national », M. Erdogan a enfilé le costume rassurant de l’homme fort ayant replacé la Turquie sur la carte du monde et redonné de la fierté aux Turcs, multipliant les inaugurations de matériel militaire et civil fabriqué en Turquie, de l’avion de chasse KAAN au véhicule électrique Togg.

Son alliance islamo-nationaliste avec le Parti d’action nationaliste (MHP), figure de proue du nationalisme d’extrême droite et allié d’Erdogan depuis 2015, s’est avérée payante, les bons résultats de ce dernier ayant permis à l’AKP de conserver une majorité absolue à l’Assemblée à l’issue du scrutin législatif du 14 mai. Le parti présidentiel s’est également entendu avec le troisième homme du scrutin, Sinan Ogan, qui penchait naturellement pour le président-candidat, sur les principes suivants : « Le terrorisme sera combattu ; un calendrier sera établi pour renvoyer les réfugiés ; et les institutions étatiques turques seront renforcées. »

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Le candidat de l’opposition a donc dû s’adapter pendant l’entre-deux-tours, essayant tant bien que mal de séduire les partis ultranationalistes aussi bien que leurs électeurs. Après le 14 mai, les affiches de campagne du candidat du CHP ont ainsi montré son visage jovial accompagné du message « Les Syriens partiront ».

Ces élections ont ainsi fait émerger l’Assemblée la plus nationaliste et l’une des plus à droite de l’histoire de la République turque, marquée par les bons résultats du MHP, mais aussi les 9,7 % de suffrages récoltés par le Iyi Parti de Meral Aksener, dissidente du MHP dans l’opposition.

Les Kurdes de plus en plus marginalisés de la vie politique

Grands perdants de ce scrutin, ils ont été les boucs émissaires d’élections dans lesquelles leur représentation a été sapée de plusieurs façons. Après avoir récolté 12 % des voix lors des élections de 2018, le parti HDP prokurde a été obligé de faire campagne sous l’étiquette du Parti de la gauche verte en raison d’une procédure judiciaire en cours lancée par la Cour constitutionnelle pour ses liens supposés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme terroriste par Ankara. Face à ses difficultés, la formation prokurde a apporté son soutien au candidat d’opposition en s’abstenant de nommer son propre candidat. Par ailleurs, plusieurs membres du parti ont été victimes d’une campagne d’arrestations massives organisée à la veille du scrutin dans les régions kurdes du sud-est du pays.

En parallèle, le reïs n’a eu de cesse de dénoncer « l’alliance » de son adversaire avec les « terroristes » du PKK, diffusant lors d’un meeting électoral le 7 mai une vidéo de Kemal Kiliçdaroglu se rendant aux urnes aux côtés d’un commandant du PKK. Un montage grossier, comme l’a finalement reconnu M. Erdogan, poussant le CHP à porter plainte.

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Après avoir démarré sa campagne en accusant M. Erdogan de « stigmatiser » les Kurdes pour se faire élire, M. Kiliçdaroglu a lui aussi raidi son discours dans l’entre-deux-tours. Le protocole d’accord qu’il a signé avec l’ex-numéro deux du MHP, Ümit Özdag, prévoit en effet de maintenir le remplacement des maires HDP élus aux élections municipales de 2019 par des « administrateurs » désignés par l’État. Cette décision, prise à l’encontre de la plupart des 65 maires élus à l’époque par le ministère de l’Intérieur, en raison d’« enquêtes liées au terrorisme », avait été dénoncée notamment par le Conseil de l’Europe. Après avoir annoncé la fin de cette pratique en début de campagne, le protocole signé par M. Kiliçdaroglu prévoit de la maintenir pour les élus locaux ayant « des liens prouvés avec le terrorisme », dans le cadre d’« une lutte efficace et résolue contre toutes les organisations terroristes ». Malgré ce revers, le HDP a maintenu son soutien à l’opposition dans l’espoir de battre Recep Tayyip Erdogan. Mais les électeurs des zones kurdes en ont nourri un ressentiment qui s’est traduit par un taux de participation en baisse de 4 % dans les provinces kurdes de Mardin et de Batman, de 6 % dans la province de Van et de 7 % dans celle d’Agri, selon l’agence Anadolu.

Seule exception à cette mise au ban des Kurdes, le Hüda Par (Parti de la cause libre), qui a signé une alliance électorale avec l’AKP le 26 mars dernier. La formation nationaliste est considérée comme une vitrine légale du Hezbollah turc, un groupe islamiste kurde radical ayant mené une « sale guerre » contre le PKK et les Kurdes opposés à la loi islamique dans les années 1990.

Éclipsée, la crise économique n’a pas entraîné de vote sanction

Si la défaite de M. Erdogan avait été annoncée dans tous les sondages avant le 14 mai, c’était principalement en raison d’une mauvaise gestion économique ayant entraîné une inflation galopante et la chute de la monnaie nationale, ainsi que d’une gestion critiquée du séisme du 6 février dernier. Le reïs a non seulement déjoué les pronostics, mais il a même gagné davantage de voix dans les régions les plus pauvres, notamment l’Anatolie. Ce vote s’explique notamment par un système de patronage instauré par le président sortant, lequel n’a pas hésité à utiliser les ressources de l’État pour attirer à lui un électorat populaire, augmentant le salaire minimum et offrant un mois de gaz gratuit ou encore 10 GB d’internet aux étudiants à la veille du premier tour du scrutin. « Les personnes en situation de précarité pensent que leur relation à l’État dépend de leur bonne relation avec l’AKP. Ils sont dépendants de l’AKP », explique au Financial Times Murat Somer, professeur de sciences politiques à l’université Koç d’Istanbul. Face aux mesures peu orthodoxes prises par le pouvoir pour atténuer les effets de la crise, les analystes prédisent néanmoins des années à venir difficiles pour l’économie turque. 

Il l’a fait. Le reïs est parvenu à se faire réélire pour un troisième mandat, distançant son opposant Kemal Kiliçdaroglu de près de cinq points au second tour d’élections à la veille desquelles il était donné perdant par tous les sondages d’opinion. Après deux décennies d’un pouvoir de plus en plus autoritaire, les partisans d’un renouveau post-Erdogan déchantent. Le...

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Encore une défaite américaine ! Décidemment ce Biden aura contribué à la dñechéance de la politique etas-unienne à travers la planète !

Chucri Abboud

14 h 42, le 29 mai 2023

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Commentaires (1)

  • Encore une défaite américaine ! Décidemment ce Biden aura contribué à la dñechéance de la politique etas-unienne à travers la planète !

    Chucri Abboud

    14 h 42, le 29 mai 2023

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