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Moyen-Orient - Repère

Que s’est-il réellement passé mardi soir au cœur de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem ?

Une dizaine de Palestiniens ont été blessés et près de 400 arrêtés par les forces israéliennes lors d’un assaut de l’État hébreu contre le troisième lieu saint de l’islam, en plein ramadan et alors que débute la Pâque juive.

Que s’est-il réellement passé mardi soir au cœur de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem ?

Des forces de sécurité israéliennes délogent, en plein mois du ramadan, une fidèle musulmane palestinienne de l'enceinte de l'esplanade des mosquées de Jérusalem, mercredi 5 avril au matin. Photo Ahmad Gharabli/AFP

Le scénario est désormais bien connu des Palestiniens. Chaque année durant le mois sacré du ramadan, les lieux saints de Jérusalem s’embrasent au rythme des incursions israéliennes. Selon plusieurs observateurs, les événements de mardi soir étaient largement attendus, à l’heure où les raids de l’armée israélienne en Cisjordanie occupée ont fait en moyenne un mort par jour en 2023 et où le gouvernement le plus à droite de l’histoire de l’État hébreu a prêté serment en décembre dernier. Comme cela s’était produit au printemps 2021 puis au suivant, le troisième lieu saint de l’islam et site le plus sacré du judaïsme, le complexe de l'esplanade des Mosquées à Jérusalem, aussi appelé mont du Temple par les juifs, a de nouveau été pris d’assaut mardi soir en plein ramadan, alors que débute mercredi soir la Pâque juive (Pessa’h).

Ce que l’on sait

• Mardi soir, aux alentours de 22 heures, les premiers policiers israéliens ont pénétré dans le complexe de la mosquée al-Aqsa situé dans la Vieille Ville de Jérusalem occupée depuis 1967 par Israël puis annexée.

• Les forces de police ont commencé à chasser des cours de la mosquée les dizaines de fidèles musulmans qui s’y trouvaient.

• Ces derniers y étaient restés après la prière de Tarawih (prière supplémentaire pendant le ramadan entre la prière de nuit et celle de l’aube) pour pratiquer l’« Itikaf ». Courante durant le mois sacré, cette retraite spirituelle consiste à passer ses journées et ses nuits à la mosquée afin de réciter le Coran et de réfléchir en s’isolant des affaires du monde.

• Les autorités israéliennes interdisent l’« Itikaf » à la mosquée al-Aqsa en dehors des dix derniers jours du ramadan malgré le fait que les Palestiniens continuent de la pratiquer.

• Après avoir cherché à évacuer le site, la police israélienne a affirmé que certains fidèles masqués se barricadaient à l’intérieur du site, armés de feux d’artifice, de pierres et de bâtons.

• « Lorsque la police est entrée, des pierres lui ont été lancées et des feux d'artifice ont été tirés depuis l'intérieur de la mosquée par un grand groupe d'agitateurs », a affirmé l’État hébreu dans un communiqué qui précise qu'un policier a été blessé à la jambe.

• Les forces israéliennes ont fait usage de grenades assourdissantes, de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogène pour les chasser de l’intérieur de la mosquée et hors de l’enceinte qui entoure le site. Plusieurs témoins rapportent que des fidèles ont été aperçus en train de suffoquer ou d’être frappés avec des matraques et des fusils.

• Une vidéo amateur largement diffusée sur les réseaux sociaux montre les forces israéliennes rouer de coups de matraque des Palestiniens à terre à l’intérieur du lieu sacré.

• Selon le Croissant-Rouge palestinien, douze personnes ont été blessées, dont sept par des balles en caoutchouc ou par les coups de policiers israéliens. L’organisation a indiqué dans un communiqué que les forces de l’État hébreu avaient empêché son personnel médical d'atteindre al-Aqsa. La police israélienne a quant à elle annoncé avoir « arrêté plus de 350 personnes » à l’issue des événements. Ce chiffre a été estimé à 400 par d’autres sources. Certaines des personnes arrêtées ont été évacuées les mains menottées dans le dos, toujours selon les images de la police.

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• Le raid s’est poursuivi jusqu’à mercredi matin, alors que des forces israéliennes repoussaient violemment des Palestiniens pour les expulser de l’enceinte de la mosquée et assurer la venue de juifs qui ont commencé à arriver sur les lieux vers 7 heures.

• Dès mardi soir, plusieurs salves de roquettes ont été tirées en représailles du nord de la bande de Gaza vers le territoire israélien. L’armée a riposté, indiquant avoir frappé des infrastructures du Jihad islamique et du mouvement islamiste Hamas, au pouvoir dans l’enclave sous blocus israélien, où des dizaines de manifestants ont « juré de défendre et protéger la mosquée al-Aqsa ». Des raids aériens suivis de nouveaux tirs de roquettes depuis la bande de Gaza tôt mercredi.

• Plusieurs pays et instances arabes, à l’instar de l’Arabie saoudite, de la Jordanie, de l’Égypte, du Maroc – partie des accords d'Abraham normalisant les relations avec l’État hébreu – et de la Ligue arabe, ont condamné l’assaut israélien sur al-Aqsa.

Le contexte

• Ces derniers jours, des colons juifs ont laissé entendre qu’ils allaient sacrifier un animal sur le site de la mosquée al-Aqsa pour marquer la Pâque juive, ce qui pourrait expliquer que des fidèles musulmans aient décidé de se barricader à l’intérieur.

• Les rituels non musulmans sont interdits sur le site, mais des Israéliens demandent régulièrement à ce qu’ils soient autorisés. Jeudi dernier, quinze rabbins écrivaient au Premier ministre de l’État hébreu Benjamin Netanyahu et au ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, affirmant qu’il est dans « l’intérêt national » du pays d’effectuer l'abattage rituel sur les lieux. De son côté, le grand rabbinat de Jérusalem maintient l’interdiction de cette pratique sur le site.

• En vertu d’un statu quo hérité de la guerre des Six-Jours, seuls les musulmans sont autorisés à se rendre au complexe de la mosquée al-Aqsa à toute heure du jour et de la nuit, tandis que les non-musulmans peuvent y pénétrer à certaines heures fixes, mais sans possibilité d’y prier.

• Des ultranationalistes juifs y prient cependant chaque année en violation du statu quo, alimentant les tensions avec les fidèles musulmans. Protégés par la police israélienne, ils sont soutenus par des membres du gouvernement, à l’instar d’Itamar Ben-Gvir, ministre au sein de la coalition menée par Benjamin Netanyahu, faisant la part belle à l’extrême droite et aux ultraorthodoxes juifs.

• Après s’être joint à plusieurs reprises par le passé aux colons israéliens, forçant l’entrée de l’enceinte de la mosquée al-Aqsa, le leader d’extrême droite s’était notamment introduit début janvier sur l’esplanade des Mosquées, une semaine à peine après avoir prêté serment comme ministre. Une fois sur les lieux, il avait déclaré que « les juifs monteront aussi sur le mont du Temple et ceux qui nous menacent doivent être traités avec une poigne de fer ».

• Un affront qui avait immédiatement fait écho à la séquence durant laquelle le dirigeant du Likoud de l’époque Ariel Sharon s’était introduit sur le lieu saint en septembre 2000, déclenchant la seconde intifada qui avait embrasé les territoires occupés jusqu’en 2005.

Les enjeux

• De nombreux Palestiniens craignent que ce mois sacré ne débouche sur un conflit à grande échelle. Au printemps 2021, des heurts sur l’esplanade des Mosquées avaient provoqué une guerre de 11 jours entre Israël et le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza. 243 morts avaient été dénombrés côté palestinien, contre 12 côté israélien. De nouveau, au printemps 2022, des affrontements avaient fait des centaines de blessés palestiniens dans l’enceinte et aux abords de l’esplanade.

• Le Hamas a appelé mardi soir les Palestiniens de Cisjordanie « à se rendre en masse vers la mosquée al-Aqsa pour la défendre », rappelant ainsi le printemps 2021 où des Palestiniens des territoires occupés s’étaient ralliés à la cause des familles menacées d’expulsion du quartier de Jérusalem-Est de Cheikh Jarrah. Dès mardi soir, des centaines de Palestiniens sont ainsi descendus dans la rue en Cisjordanie et à Gaza, ainsi que dans une ville à majorité palestinienne d’Israël et à Amman, pour condamner l’assaut sur al-Aqsa.

• Cette nouvelle escalade des tensions accroît l’embarras des alliés d’Israël, à l’instar de Washington comme celui de ses partenaires arabes, par rapport à l’arrivée au pouvoir de ce cabinet de droite et d’extrême droite.

• Il y a quelques jours, le président américain Joe Biden déclarait devant la presse que M. Netanyahu ne serait pas invité à la Maison-Blanche dans un futur proche, exhortant ce dernier à « renoncer » à son projet de loi sur la réforme de la justice qui provoque depuis janvier une crise politique inédite en Israël.

• Alors que des milliers d’Israéliens manifestent chaque semaine contre cette réforme qui prévoit de limiter les pouvoirs de la Cour suprême de l’État hébreu – considérée par une partie de la population comme le dernier rempart contre la concentration des pouvoirs aux mains de l’exécutif –, plusieurs observateurs soutiennent que le pays chercherait à détourner l’attention en exacerbant les tensions avec les Palestiniens. 

Le scénario est désormais bien connu des Palestiniens. Chaque année durant le mois sacré du ramadan, les lieux saints de Jérusalem s’embrasent au rythme des incursions israéliennes. Selon plusieurs observateurs, les événements de mardi soir étaient largement attendus, à l’heure où les raids de l’armée israélienne en Cisjordanie occupée ont fait en moyenne un mort par jour en...

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