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Nos Lecteurs ont la Parole

Le Vatican et al-Azhar vers la construction de la fraternité humaine

Le Vatican et al-Azhar vers la construction de la fraternité humaine

Le pape François et le grand imam d’al-Azhar, cheikh Ahmad el-Tayeb, se saluent après avoir signé le document sur la fraternité humaine à Abou Dhabi, le 4 février 2019. Vincenzo Pinto/Photo d’archives AFP

À la lecture de l’Évangile selon saint Matthieu au sujet du sermon sur la montagne, nous apprenons que Jésus, à la vue des foules, monta sur la montagne, s’assit, ses disciples s’approchèrent de lui et Il prononça un discours éloquent, chargé d’éthique universelle, le plus noble.

Six siècles après le sermon sur la montagne, le Prophète de l’islam, à la vue des dizaines de milliers de ses fidèles qui l’accompagnaient à son dernier pèlerinage, prononce un discours appelé le sermon de pèlerinage d’adieu. Le contenu de ce sermon trace les grandes lignes d’une conduite humanitaire exemplaire, en évoquant les mêmes règles d’éthique universelle. Parmi les grandes lignes de son discours, on lit : « Vos vies et vos biens sont sacrés pour vous jusqu’à ce que vous rencontriez votre Seigneur. Rendez les biens qu’on vous a prêtés à leurs propriétaires de droit. Ne faites de mal à personne de façon à ce qu’on ne vous fasse pas de mal. Souvenez-vous qu’un jour vous rencontrerez votre Seigneur et Il vous demandera des comptes sur vos actions en ce monde.

Tous les droits (à la vengeance) découlant des homicides d’autrefois sont désormais interdits. Est-ce que j’ai bien transmis ?

Ô gens ! Vos femmes ont des droits sur vous et vous avez des droits sur elles, vous les avez épousées étant responsables devant Dieu et vous avez rendu votre relation avec elles licite par la parole de Dieu. Craignez donc Dieu dans votre attitude envers elles et préservez-vous de Sa punition. Apportez-leur donc le plus grand bien. Est-ce que j’ai bien transmis ?

Les croyants sont des frères ! Ne redevenez pas après moi des mécréants qui s’entre-tuent, car je vous ai laissé quelque chose qui vous préservera à jamais de l’égarement, si toutefois vous vous y attachez : le Livre de Dieu

Ô gens ! Votre Seigneur est unique. Votre père est unique. Vous êtes tous issus d’Adam et Adam est issu de la terre. Le plus noble d’entre vous auprès de Dieu est celui qui Le craint le plus. Nul Arabe n’est meilleur qu’un autre que par la crainte de Dieu. Est-ce que j’ai bien transmis ? »

Vingt siècles après le sermon sur la montagne, et quinze siècles environ après le sermon du pèlerinage d’adieu, le pape François et le grand imam d’al-Azhar Ahmad el-Tayeb, signent le « document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune ». Le texte de ce document peut être considéré comme le texte le plus complet sur les accords et les points de vue communs qui s’intéresse, au-delà des deux religions, aux règles d’éthique universelle et aux valeurs humaines que partage l’humanité tout entière.

Les liens d’amitié

Ce document a probablement existé, grâce aux liens d’amitié qui ont été tissés auparavant par le pape François et le cheikh d’al-Azhar, el-Tayeb. Avant la signature du texte sur la fraternité humaine plusieurs lettres ont été échangées entre le pape et l’imam d’al-Azhar.

En parlant de cette amitié, je prends exemple de la relation qui a lié le grand maître soufi musulman Ibrahim Bin Adham, et le moine chrétien Samaan au septième siècle de notre ère. Les récits historiques de cette amitié mettaient l’accent sur les visites répétitives du maître soufi à son ami le moine dans la montagne libanaise. Les échanges entre ces deux religieux ont influencé et marqué sans doute les deux mysticismes chrétiens et musulmans pendant les siècles à venir.

J’ajouterai aux profits qui ont été tirés grâce à cette amitié entre Bin Adham et le moine Samaan dans l’épanouissement du mysticisme musulman et chrétien, une autre amitié qui a joué en faveur du maintien des chrétiens au Liban. Cette amitié a lié Imam al-Ouzaï, le précurseur de la convivialité islamo-chrétienne, à de nombreux chrétiens libanais au septième siècle. Outre sa fatwa d’interdire aux musulmans d’acheter les terres appartenant aux chrétiens pour ne pas les encourager à quitter le Liban, il a défendu avec beaucoup de courage les chrétiens du Mont-Liban contre la terreur du gouverneur abbasside de Damas au risque d’être décapité à plusieurs reprises. Dans d’autres circonstances, il disait aux chrétiens qui venaient le voir en lui soumettant des cadeaux : « Si vous voulez que j’intervienne en votre faveur, reprenez vos cadeaux, sinon, et si vous persistez à me les offrir, je n’écrirai rien pour soutenir votre cause. » À sa mort plusieurs dizaines des milliers chrétiens libanais ont participé à ses funérailles en dispersant de la cendre sur leurs têtes, signe de tristesse.

Je mentionne aussi la grande amitié qui a lié les deux plus hautes autorités religieuses musulmanes et chrétiennes à l’époque ottomane. Un jour, le sultan voulait promulguer un firman (décision prise par le sultan) obligeant tous les chrétiens à se convertir à l’islam. Le cheikh el-Islam (la plus haute autorité religieuse islamique) a prévenu son ami l’archevêque d’Istanbul et ils sont allés ensemble voir le sultan pour lui demander l’abrogation de sa décision. Le sultan a fini par accepter leur demande et annuler son ordre.

La pluralité et la diversité

Après le rôle de l’amitié, passé sous silence dans la conclusion de ce document sur la fraternité humaine, nous observons le principe conducteur que les deux prélats ont manifesté pour le respect de la pluralité et la diversité des personnes qu’elles soient raciales, ethniques, linguistiques, politiques, religieuses ou même athées.

Ces diversité et pluralité de la race, de la langue, de la couleur, et même de la pensée trouvent leurs racines islamiques dans le Coran même. La pluralité n’est pas seulement tolérée ou admise mais elle revêt un caractère obligatoire voulu par Dieu depuis la première création de l’humanité.

Dans le Coran nous lisons : « Et parmi Ses signes, la création des cieux et de la terre et la variété de vos langues et de couleurs. Certes il y a là des preuves pour les savants. » Il dit aussi : « Et si ton Seigneur avait voulu, Il aurait fait des gens une seule nation. Or ils ne cessent d’être en désaccord entre eux, et c’est bien pour être si différents qu’Il les a créés, et la parole de ton Seigneur s’accomplit. » Le but de cette diversité voulue par Dieu n’étant que de mettre en défi la race humaine pour savoir si les humains sont capables d’établir des relations fraternelles entre eux malgré leurs différences. Le Coran dit : « Ô peuple, nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et nous avons fait de vous des nations et des tribus, afin que vous vous connaissiez. »

Il était donc tout à fait normal que l’islam et le christianisme se rencontrent sur les mêmes objectifs humanitaires et universels. Non pas pour exclure les autres religions, mais pour les encourager à adopter la même conduite. D’ailleurs, l’islam évoque la Torah et l’Évangile avec des termes éloquents et respectueux : « Nous avons fait descendre la Thora dans laquelle il y a guide et lumière », « Et Nous avons envoyé après eux Issa (Jésus), fils de Maryam (Marie), pour confirmer ce qu’il y avait dans la Thora avant lui. Et Nous lui avons donné l’Évangile, où il y a guide et lumière, pour confirmer ce qu’il y avait dans la Thora avant lui, et un guide et une exhortation pour les pieux ». Allant plus loin pour inclure tous les croyants, le Coran dit : « Certes, ceux qui ont cru, ceux qui se sont judaïsés, les chrétiens, et les sabéens, quiconque d’entre eux a cru en Dieu, au jour dernier et accompli de bonnes œuvres, sera récompensé par son Seigneur ; il n’éprouvera aucune crainte et il ne sera jamais affligé. » Dans le discours coranique, Dieu s’adresse aussi à l’ensemble des genres humains et exige d’entretenir avec tous les individus des relations amicales basées sur la moralité, l’égalité et la justice. L’imam Ali dit : « Les gens sont de deux sortes : soit ils sont vos frères en religion, soit vos égaux dans la création. »

S’inscrivant à cette idée d’admission de la diversité, le Prophète de l’islam croyait à la sincérité, à la justice et à la bonne foi des chrétiens. Lorsque ses compagnons ont fui l’oppression des polythéistes mecquois, ils se sont réfugiés en Éthiopie. Le Prophète leur a demandé d’immigrer en Abyssinie, car citant ses paroles, ce pays est gouverné par un roi chrétien juste. Après que le roi Négus leur a donné la sécurité de s’établir dans son royaume, il leur a dit en écoutant le verset coranique sur Marie : « Les paroles de l’Évangile et celles du Coran avaient la même source. »

Ce respect de la diversité pour être complet et véridique passe par la reconnaissance aux groupes différents de la liberté de la croyance et de l’exercice de leurs pratiques religieuses selon l’enseignement de leurs religions. L’exemple le plus significatif à ce sujet c’est lorsque le Prophète de l’islam a accueilli la délégation des patriarches chrétiens de « Najran » dans sa propre mosquée sacrée à Médine. Ces patriarches, comme on raconte dans les récits historiques, étaient entrés dans l’enceinte de la mosquée avec leurs croix et leurs ornements religieux. Lorsqu’ils voulurent sortir de la mosquée pour prier, le Prophète leur a demandé de célébrer la messe à l’intérieur même de la mosquée. Ainsi d’un côté prièrent les musulmans et, de l’autre, la délégation des patriarches chrétiens.

Parmi les autres témoignages du respect de la diversité religieuse, l’histoire retient la conduite du deuxième calife de l’islam, Omar Ibn al-Khattab. Celui-ci a refusé de prier à l’intérieur de l’église de la Résurrection à Jérusalem par crainte que les musulmans ne la considèrent par la suite comme une mosquée et ne disent : ici pria Omar.

Aussi cette autre histoire de la grande tolérance entre musulmans et chrétiens qui s’est déroulée pendant la période de la dynastie des Omeyyades. Bien que marquée par la conquête et les guerres qui ont opposé les arabes à l’Empire byzantin, néanmoins l’histoire nous raconte l’événement qui s’est déroulé lors de la conquête de Damas et plus particulièrement l’ancienne église de Jean-Baptiste. La moitié de l’église a été prise par la force militaire, tandis que l’autre moitié a été épargnée suite à un accord de paix conclu entre les chefs militaires musulmans et chrétiens. Dorénavant une église et une mosquée se partagent le même lieu pendant 72 ans. Lorsque les musulmans sont devenus très nombreux, les chrétiens ont accepté que leur église Saint-Jean soit échangée contre des terres musulmanes. Les musulmans ont pu agrandir leur mosquée et ainsi fut « la mosquée omeyyade ». Les chrétiens ont bâti leur église, et ainsi fut l’église de Thomas et Marie.

À ces quelques exemples des liens positifs qui ont été tissés au cours de l’histoire entre les deux religions, on peut ajouter les œuvres de fraternité entre musulmans et chrétiens au Liban.

Le rôle essentiel de l’éducation

Lors de la visite de l’ancien roi saoudien Fayçal au Liban, il s’est adressé à une assemblée de Libanais en disant que les pays arabes ressemblent à un château construit dans un endroit élevé, toutes les chambres sont occupées par les 21 pays que composent la Ligue arabe, sauf le Liban qui ne possède aucune chambre. Le président de la République libanaise de l’époque Sleimane Frangié proteste et s’apprête à partir, le roi Fayçal prend sa main, le fait s’assoir, et il s’adresse à l’assemblée en disant : « Le Liban est plutôt la vitrine du château qui donne sur le monde entier. » Quelques décennies plus tard le pape Jean-Paul II s’adresse aux Libanais en leur disant : « Le Liban est plus qu’un pays, c’est un message. Les deux phrases, celles du roi Fayçal et du pape Jean-Paul II, ont la même signification qui attribue au Liban le rôle de précurseur de la vie commune entre musulmans et chrétiens.

Au Liban existent 18 communautés religieuses, qui se côtoient et vivent malgré tous les défis une expérience fertile de fraternité et de savoir vivre ensemble. Le pacte national à l’origine de l’indépendance du Liban a été proclamé suite à un accord entre les musulmans et les chrétiens. Depuis l’indépendance, une multitude des projets ont été mis en œuvre pour renforcer les liens fraternels entre les communautés.

Parmi ces quelques projets qui ont été élaborés dans un contexte éducatif multireligieux nous pouvons citer :

1– L’enseignement à double voie adopté par l’Université Saint-Joseph, plus particulièrement à l’Institut d’études islamo-chrétiennes. Deux prélats religieux musulman et chrétien se partagent en même temps les cours d’études. Les étudiants sont aussi d’appartenance religieuse diversifiée.

2– Chaque année quelques écoles organisent pour les étudiants une compétition d’élire la personnalité la plus importante qui a marqué l’histoire du dialogue islamo-chrétien.

3– De nombreuses écoles accueillent des étudiants de toutes les confessions, et plusieurs professeurs sont très souvent invités en dehors du cadre des enseignants, pour intervenir sur des sujets touchant les croyances religieuses partagées par les étudiants.

4– Plusieurs associations religieuses, éducatives et sociales sont fondées pour renforcer les liens fraternels entre les groupes religieux diversifiés. Je prends exemple rapide de « Adian », « Darb Maryam », et tout récemment « Byblos, capitale du dialogue et de la vie commune entre musulman et chrétien ». Un organisme étatique composé des représentants des autorités religieuses intervient dans les situations importantes qui touchent la paix sociale entre les communautés.

5– Une organisation a été fondée au Liban en 2014 ayant pour titre MAAM, ou Rencontre islamo-chrétienne pour les hommes d’affaires. Elle s’est organisée autour de l’idée que tant l’islam que le christianisme ont les mêmes règles d’éthique qui touchent le monde du travail ceci se trouve en complète harmonie avec la responsabilité sociale de l’entreprise. Cette organisation en collaborant avec l’Uniapac qui regroupe 16 mille chefs d’entreprise catholiques dans le monde a réussi à inviter au Liban cinq cent personnalités mondiales parmi les grands chefs d’entreprise.

6– Une fête mariale de l’Annonciation a été proclamée en 2010 par le gouvernement libanais comme étant fête nationale commune islamo-chrétienne. Chaque année musulmans et chrétiens célèbrent ensemble cette fête dans plusieurs régions du Liban.

7– « Une académie de l’homme pour la rencontre et le dialogue » a été approuvée par les Nations unies en 2017 dont le siège est au Liban.

L’amitié et le respect de cette diversité ne doivent pas être ignorés ou passés sous silence dans l’éducation de nos enfants dans nos établissements scolaires. Telle est une des leçons à retenir pour tirer profit de notre document sur la fraternité humaine.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

À la lecture de l’Évangile selon saint Matthieu au sujet du sermon sur la montagne, nous apprenons que Jésus, à la vue des foules, monta sur la montagne, s’assit, ses disciples s’approchèrent de lui et Il prononça un discours éloquent, chargé d’éthique universelle, le plus noble. Six siècles après le sermon sur la montagne, le Prophète de l’islam, à la vue des dizaines de...

commentaires (3)

Louable effort de bonne foi mais truffe de suggestions historiques non vérifiables qui n’ont pas abouti malheureusement à une dilution de l’inimitié et de remarques condescendantes disproportionnées.

Odin

18 h 26, le 09 février 2023

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Commentaires (3)

  • Louable effort de bonne foi mais truffe de suggestions historiques non vérifiables qui n’ont pas abouti malheureusement à une dilution de l’inimitié et de remarques condescendantes disproportionnées.

    Odin

    18 h 26, le 09 février 2023

  • Votre article est super, merci cheikh Nokkari.

    Eleni Caridopoulou

    18 h 19, le 08 février 2023

  • La fraternité marche encore mieux quand tout ça n'est pas un sujet

    M.E

    00 h 42, le 08 février 2023

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