Critiques littéraires

Rilke « sur la balance des étoiles »

Une réédition de Rilke. Monographie a été récemment publiée aux éditions Points/Seuil. Ce livre porte la signature du poète, critique littéraire et traducteur Philippe Jaccottet, qui a lui-même traduit plusieurs poètes et écrivains dont Rilke, Hölderlin, Thomas Mann, Musil, Ungaretti et Homère (L’Odyssée).

Rilke « sur la balance des étoiles »

L'ange au cadran solaire, Chartres. D.R.

Rilke. Monographie de Philippe Jaccottet, Points/Seuil, 2022, 192 p.

Dans son livre, Jaccottet parle de l’œuvre de Rilke et des circonstances dans lesquelles elle a été écrite. En préambule, il cite ce qu’a écrit Robert Musil en 1927 : « Rainer Maria Rilke était mal adapté à ce temps. Ce grand poète lyrique n’a rien fait que porter pour la première fois à sa perfection la poésie allemande ; il ne fut pas une sommité d’aujourd’hui, mais l’une de ses hauteurs sur lesquelles le destin de l’esprit avance de siècle en siècle. »

De son côté, Jaccottet parle de celui qui a forcé « son regard, pour laisser libre passage, dans sa voix, au cri de l’être qui s’avoue perdu ». Ce cri de l’être se cristallise à partir de la Première Élégie : « Qui, si je criais, m’entendrait donc, parmi/ les cohortes des anges ? et supposé même que l’un d’entre eux/ me prît soudain contre son cœur, je périrais/ du poids de sa présence. Car le Beau n’est rien/ que le commencement du Terrible. »

« Le cri de l’être » rejoint le cri d’un oiseau, cité dans l’un de ses poèmes : « Entre moi et le cri de cet oiseau/ qu’était-il convenu ? » Pour Rilke, le cri d’oiseau est un signe. Il suffit de l’entendre pour que « quelque chose devait en mon cœur commencer ». Ainsi, le poète voit le monde intérieur dans tout ce qu’il voit. Une rose qui, « en naissant, à rebours imite les lenteurs de la mort. Ton innombrable état te fait-il connaître dans un mélange où tout se confond, cet ineffable accord du néant et de l’être que nous ignorons ? »

À Tolède, la chose extérieure s’ouvre aussi sur un monde intérieur, « comme si un ange, qui englobe l’espace, était aveugle et regardait en lui-même ». Ici, l’infini et l’invisible sont à portée de main.

La poésie de Rilke est peuplée d’anges. Ce ne sont pas les anges qui sont anthropomorphes et qui pleurent dans La Crucifixion de Giotto, mais les anges qui accompagnent le poète comme Virgile a guidé Dante en enfer et au purgatoire. Là, Jaccottet remarque que « les anges avaient été d’abord les créatures familières qui se confondaient pour l’enfant avec la merveille de Noël ; puis ces figures de cathédrales découvertes au temps de Rodin, tel ‘‘L’Ange du Méridien de Chartres’’ dont le sourire semblait déjà désigner la direction de la plénitude ».

De Tolède à l’Égypte où Rilke se trouve, une nuit « enlunée », face au grand Sphinx, « effrayé et infiniment intéressé », et où il s’est posé la question suivante : « Je ne sais si je fus jamais aussi pleinement conscient de mon existence qu’en ces heures nocturnes où elle perdait toute valeur : qu’était-elle, en effet, en face de tout cela ? »

L'expérience poétique de Rilke, en particulier dans Élégies de Duino et Sonnets à Orphée, découle des questions existentielles et du sentiment de l’irréalité humaine. Sa poésie n’a guère cessé de se nourrir de sensations. Elle s’ouvre également à diverses contrées poétiques, allemande et française entre autres. Hors des frontières de l’Europe, le poète s’est également ouvert à la poésie arabe. Voici ce qu’il dit dans Rumeur des âges qui rassemble trois de ses textes : « À une certaine époque où je commençais à m’occuper de poésies arabes, à la production desquelles tous les cinq sens me paraissaient prendre une part plus simultanée et plus régulière, je fus pour la première fois frappé de l’inconstance avec laquelle le poète européen se sert de ces rapporteurs, dont un seul, la vue, surchargé d’univers, le subjugue sans cesse… »

Jusqu’au dernier moment de sa vie, Rilke continue à chercher, dans la solitude et le silence, la voix la plus intérieure. Il est mort le 29 décembre 1926 et son dernier poème, « envahi par l’obscurité de ce qui reste irrémédiablement hors du langage », est resté inachevé.

Rilke. Monographie de Philippe Jaccottet, Points/Seuil, 2022, 192 p.Dans son livre, Jaccottet parle de l’œuvre de Rilke et des circonstances dans lesquelles elle a été écrite. En préambule, il cite ce qu’a écrit Robert Musil en 1927 : « Rainer Maria Rilke était mal adapté à ce temps. Ce grand poète lyrique n’a rien fait que porter pour la première fois à sa perfection la...

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