Critiques littéraires Critique

L'essor de Beyrouth entre 1840 et 1918

L'essor de Beyrouth entre 1840 et 1918

En guise d'hommage à la ville de Beyrouth ravagée par la terrible explosion du 4 août, l'ambassadeur Samir Moubarak, grand bibliophile et collectionneur, vient de publier avec Badr el-Hage, chez Kutub Publishing, Beirut 1840-1918. A Visual and Descriptive Portrait, un beau livre en deux volumes réunis en coffret.

Samir Moubarak a toujours revendiqué sa passion pour le Liban qui l'a poussé à acquérir, au fil des années, des milliers de livres à son propos. Lors de l'exposition Regards sur Beyrouth qui s'était tenue au Musée Sursock en 2015, il avait prêté aux organisateurs nombre de tableaux de sa collection, peints par des artistes de nationalités différentes. Aujourd'hui, il récidive en publiant cet album double qui nous offre des clichés inédits de l'époque ottomane, réalisés par des photographes professionnels ou amateurs, comme les Français Bonfils, Vignes, Lockroy, Charlier et Aubin, l'Allemand Max von Oppenheim, l'Autrichien Alois Beer, les Arméniens Melconian, Sarrafian et Guiragossian, ou l'Italien Alexandre Gherardi, dont on trouvera les notices biographiques, signées Badr el-Hage, au début du premier volume.

Des centaines de photos inédites

En feuilletant l'ouvrage, on découvre avec curiosité et nostalgie des cartes et des plans relatifs à de grands chantiers comme le port, aujourd'hui dévasté, ou la ligne de chemin de fer et la route Beyrouth-Damas, et des centaines de photos représentant les remparts de Beyrouth, la citadelle maritime (Burj al-Bahr), les quais, la place des Canons, le fameux café Kawkab al-Sharq et les principaux restaurants, les souks et les khans, les églises et les mosquées, les quartiers anciens (comme Ras-Beyrouth, Bachoura, Mar Mitr, Minet el-Hosn ou Wadi Abou-Jmil), le Grand Sérail perché sur sa colline, le palais Jeday à Zuqaq al-Blat où résidait le Consul de France, la Quarantaine, Darb al-Nahr devenu la rue Gouraud (Gemmayzé), l'Avenue des Français, l'université jésuite (USJ), le Syrian Protestant College (ancêtre de l'AUB), sans compter les photos de cérémonies officielles et les portraits de citoyens anonymes, dont plusieurs drogmans et artisans, ou ceux de personnalités de renom comme les gouverneurs Naoum Pacha ou Mehmed Ali Bey. Le second volume s'achève sur des images tragiques – celles de la famine qui a frappé le pays pendant la Première guerre mondiale…

Les témoignages des voyageurs

Mais l'intérêt de cette œuvre admirable ne s'arrête pas là : non content de mettre à notre disposition cette collection de clichés beyrouthins glanés dans les archives ottomanes à Istanbul et ailleurs, Samir Moubarak a soigneusement sélectionné des extraits tirés de livres rares figurant dans sa bibliothèque. On y trouvera des textes plus ou moins connus de voyageurs, pèlerins et orientalistes français ou anglo-saxons, tels Flaubert ou Mark Twain, mais aussi des observations, disponibles pour la première fois en anglais, tirées de relations de voyage originairement écrites en russe, espagnol, italien, allemand, roumain, etc., à propos de Beyrouth. Au total, plus de vingt nationalités sont représentées dans cette partie du livre où les extraits sont classés par thèmes (port, lazaret, vieille ville, antiquités, famine, banques, tramway, forêt des pins, industrie de la soie, bains publics, hôtels…), de sorte que le lecteur parvient à se faire une idée d'ensemble et à appréhender l'âme de la ville en confrontant ou recoupant les points de vue formulés par les uns et les autres. « Pendant des années, j'ai relevé tous les paragraphes relatifs à Beyrouth, du XIIe siècle jusqu'à la fin de la Grande Guerre, et établi une chronologie par sujets, explique Samir Moubarak. C'était un travail colossal de recherche et de systématisation. » À ses yeux, « la Nahda, la Renaissance arabe, ne saurait être comprise sans tenir compte de l'essor culturel, éducatif et économique de Beyrouth à partir de 1820, avec l'arrivée de plusieurs missions religieuses ou diplomatiques étrangères et la fondation de nombreuses écoles et universités. Devenue une ville cosmopolite, la capitale a également vu son architecture transfigurée grâce à cet apport extérieur… »

En 1995, le ministère libanais de la Culture a classé 1016 bâtiments historiques à Beyrouth. Ils ne sont plus que 209 aujourd'hui. Il est impératif de sauver les derniers vestiges de notre capitale : c'est le message que nous transmet cet ouvrage édifiant qui nous démontre aussi que, malgré tous les malheurs qu'il subit, le Libanais est encore capable de produire des œuvres de cette envergure pour célébrer son patrimoine et sauvegarder sa mémoire.

Beirut 1840-1918. A Visual and Descriptive Portrait de Samir Moubarak et Badr el-Hage, Kutub Publishing, 2022, volume 1 : 374 p., volume 2 : 301 p.

En guise d'hommage à la ville de Beyrouth ravagée par la terrible explosion du 4 août, l'ambassadeur Samir Moubarak, grand bibliophile et collectionneur, vient de publier avec Badr el-Hage, chez Kutub Publishing, Beirut 1840-1918. A Visual and Descriptive Portrait, un beau livre en deux volumes réunis en coffret.Samir Moubarak a toujours revendiqué sa passion pour le Liban qui l'a...

commentaires (2)

Félicitations pour le livre et l'article. C’est bien dommage que l'empereur du Brésil, Dom Pedro II de Alcântara, ne soit pas cité parmi les voyageurs du XIX siècle à Beyrouth. Il a visité la ville en novembre 1876. L'ambassade du Brésil à Beyrouth a organisé en septembre-décembre 2022 une exposition de photos, d'extraits du journal de voyage et de lettres, traduits du portugais en arabe et anglais, de l’empereur du Brésil à Beyrouth. Roberto Khatlab « Alcântara » : les voyages d’un empereur brésilien dans le monde arabe au XIXe siècle https://www.lorientlejour.com/article/1311630/-alcantara-les-voyages-dun-empereur-bresilien-dans-le-monde-arabe-au-xixe-siecle.html L'exposition Alcântara à Dar El-Nimer située à Hamra a été organisée par l’ambassade du Brésil à Beyrouth https://www.facebook.com/AgendaCulturel.lb/videos/545577717467661

Khatlab Roberto

12 h 09, le 14 février 2023

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Commentaires (2)

  • Félicitations pour le livre et l'article. C’est bien dommage que l'empereur du Brésil, Dom Pedro II de Alcântara, ne soit pas cité parmi les voyageurs du XIX siècle à Beyrouth. Il a visité la ville en novembre 1876. L'ambassade du Brésil à Beyrouth a organisé en septembre-décembre 2022 une exposition de photos, d'extraits du journal de voyage et de lettres, traduits du portugais en arabe et anglais, de l’empereur du Brésil à Beyrouth. Roberto Khatlab « Alcântara » : les voyages d’un empereur brésilien dans le monde arabe au XIXe siècle https://www.lorientlejour.com/article/1311630/-alcantara-les-voyages-dun-empereur-bresilien-dans-le-monde-arabe-au-xixe-siecle.html L'exposition Alcântara à Dar El-Nimer située à Hamra a été organisée par l’ambassade du Brésil à Beyrouth https://www.facebook.com/AgendaCulturel.lb/videos/545577717467661

    Khatlab Roberto

    12 h 09, le 14 février 2023

  • Vous avez été comme moi l élève de feu Père R. Clément Seigneur donnez moi l humilité Samir C. Atallah Chevalier de l Ordre National des Cedres pour 25 ans d activité à promouvoir le Patrimoine culturel du Liban dans les pays de l émigration ----en novembre 1991

    AK

    11 h 51, le 05 février 2023

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