Coup de théâtre dans le « Qatargate » : un suspect-clé va collaborer avec la justice

Rebondissement spectaculaire dans l’affaire de corruption surnommée « Qatargate » : l’ex-eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri, suspect-clé actuellement écroué, a accepté mardi soir de collaborer avec la justice belge et de livrer ce qu’il sait sur ce scandale de corruption présumée au profit du Qatar. Au terme de cet accord, l’ancien élu socialiste s’engage à informer les enquêteurs sur le modus operandi de la fraude, les arrangements financiers avec des États tiers, l’identité des personnes « qu’il admet avoir corrompues » et l’éventuelle implication de personnes « non encore connues dans le dossier ». Ses déclarations devront être « substantielles, révélatrices, sincères et complètes », a précisé le parquet fédéral.

En échange de cette coopération, l’ex-député, devenu en 2019 dirigeant de l’ONG Fight Impunity établie à Bruxelles, sera condamné à une peine de prison ferme « limitée ». Son avocat Laurent Kennes a précisé que cette peine négociée avec le parquet n’excéderait pas un an ferme. « Une peine de cinq ans sera prononcée, mais avec du sursis pour la partie excédant un an. Cela veut dire qu’il va subir un an en détention, dont une partie sous bracelet électronique », a affirmé Me Kennes. Outre la peine de prison, le mémorandum prévoit une amende (80 000 euros selon l’avocat) et la confiscation de « tous les avantages patrimoniaux acquis, évalués pour l’instant à un million d’euros ». Le projet d’accord entre M. Panzeri et le procureur fédéral doit encore être validé par la chambre du conseil, juridiction de contrôle de l’instruction en Belgique.

Des liens à démêler

« Il a envie de déballer, il veut voir le bout du tunnel », a ajouté l’avocat sur la chaîne francophone RTBF, soulignant que M. Panzeri avait « reconnu avoir été l’un des dirigeants d’une organisation criminelle (...) en lien avec le Qatar et le Maroc ». D’après la presse, le Maroc a utilisé le responsable italien comme point d’entrée pour appuyer ses intérêts au Parlement européen. Mais comme le Qatar, le royaume chérifien a fermement contesté ces allégations de corruption.

Pier Antonio Panzeri, 67 ans, a été arrêté à Bruxelles le 9 décembre, jour d’une vague de perquisitions et d’interpellations au terme de laquelle une vice-présidente du Parlement européen, l’élue socialiste grecque Eva Kaili, s’est aussi retrouvée sous les verrous. Hier, la chambre réunie à Strasbourg a élu pour la remplacer le socialiste luxembourgeois Marc Angel, 59 ans, eurodéputé depuis 2019 (groupe S&D, gauche). En décembre, la vague d’arrestation a également touché l’assistant parlementaire Francesco Giorgi, compagnon de Mme Kaili, et Niccolo Figa-Talamanca, un autre responsable d’ONG, lui aussi Italien.

Ces quatre suspects, incarcérés depuis plus de cinq semaines, ont tous été inculpés pour « appartenance à une organisation criminelle », « blanchiment d’argent » et « corruption ». Ils sont soupçonnés d’avoir perçu de grosses sommes d’argent liquide pour influencer en faveur de puissances étrangères les déclarations et prises de décision politiques au sein de la seule institution élue de l’UE, notamment à propos des droits des travailleurs au Qatar.

M. Panzeri fait figure de personnage central dans l’enquête. Lors du coup de filet du 9 décembre, la police belge a découvert à son domicile bruxellois 600 000 euros en espèces, selon une source judiciaire. Il va désormais devoir s’expliquer sur l’origine de ces fonds et l’objet précis de la corruption. La comptable de l’ancien eurodéputé a été arrêtée en Italie, ont révélé hier des sources directement informées de la situation. Monica Rossana Bellini était visée par un mandat d’arrêt européen émis par les autorités belges. Appréhendée par la police italienne, elle est accusée d’association criminelle, de corruption et de blanchiment d’argent.

Maxim Töller, l’avocat de Marc Tarabella, eurodéputé socialiste belge dont la justice a demandé la levée de l’immunité, a pour sa part de nouveau vivement contesté mardi que son client puisse être l’un des « corrompus ». « Que ce soit cadeau ou argent, M. Tarabella n’a rien reçu », a soutenu l’avocat, affirmant que les déclarations de M. Panzeri aux enquêteurs, citées par le journal L’Écho, selon lesquelles il aurait versé à l’élu Belge « entre 120 000 et 140 000 euros », étaient fausses. Le domicile de M. Tarabella dans la région de Liège (Est) avait été perquisitionné dès le 10 décembre dans le cadre de l’enquête mais aucun argent liquide n’avait été découvert.

Avec le projet d’accord proposé par la justice belge, Pier Antonio Panzeri serait le second à bénéficier d’une loi de 2018 sur le statut de « repenti », calquée sur la pratique italienne anti-mafia. Le premier à en bénéficier avait été l’agent de joueurs de football serbe, Dejan Veljkovic, incriminé dans un vaste scandale de corruption dans le ballon rond belge.

Sources : agences