Cela fait plus de deux ans que ce drame – la double explosion du 4 août 2020 – a ébranlé notre pays et meurtri des familles entières.
Que reste-t-il de la justice rendue aux familles des victimes quand la préoccupation primaire des Libanais est de survivre ?
Que reste-t-il de la justice quand on nous distrait sans cesse avec de nouveaux problèmes et que chaque jour on nous prive de nos droits
fondamentaux ?
Que reste-t-il de la justice dans un pays sans structure, sans institutions fiables, rongé par la corruption et l’incompétence ?
Que reste-t-il de la justice quand le Palais de la justice devient le palais des fantômes ?
Que reste-t-il de la justice quand celle-ci s’achète ? Quand des juges n’ont le choix qu’entre mourir de faim ou se laisser corrompre ?
Il ne reste plus rien, à part des apparences.
Les Libanais n’ont même plus la force de se battre pour un pays plus juste, ils se contentent de survivre afin de ne pas périr.
On ne pense plus aux discours, à la résilience, à l’espoir, aux combats, au Liban des cèdres, au phénix qui renaît de ses cendres, aux chansons patriotiques qui ne sont que de l’encre sur papier, et on pense encore moins à la justice.
Les nouvelles défilent chaque soir comme un disque maudit mis en boucle.
Les doyens nous disent que « le Liban a toujours été comme ça, et que ça ira mieux à un moment donné », qu’« on ne peut pas rester dans cette situation » et ils se rassurent en affirmant que « demain, il y aura des accords dans la région et ils nous laisseront tranquilles ».
Mais combien de jours avant que demain n’arrive ? Combien de victimes, combien d’injustices, combien de misère, combien de familles qui se déchirent ?
Je les trouve optimistes sachant que depuis 1975 et même avant, le Liban n’a pas eu une seconde de répit.
Alors on persiste parce qu’on n’a pas vraiment le choix, c’est soit ça soit la mort. Chacun fait comme il peut avec les aides qui lui viennent de l’étranger, de proches, des salaires négociés et renégociés et encore cela ne suffit pas, cela ne suffit plus. Une inflation qui bat tous les records, des prix affolants, des taux de change choisis comme des chiffres tirés au hasard dans un jeu de fléchettes. Mais qui tient vraiment les ficelles de ce jeu ?
L’absurde est tel que l’on ne se questionne même plus sur rien, qu’on se laisse exister sans se poser de questions comme l’étranger de Camus.
Qui aurait cru qu’après l’élan d’espoir de 2019, de résilience de 2020, viendrait la soumission totale aux pires traitements que l’on vit actuellement.
Les pseudodirigeants de ce pays sont aveuglés par la folie des grandeurs et le goût du pouvoir si bien qu’ils nous entraînent dans un gouffre sans fin.
Tant qu’ils pourront exploiter la misère des gens pour en tirer ne serait-ce qu’un centime, ils le feront.
Dans cette course au pouvoir quel est l’enjeu ? À quoi bon de régner sur un territoire détruit ? À quoi bon brandir une couronne quand on est le seul survivant ?
Que reste-t-il des Libanais ? Il ne reste plus que des personnes anesthésiées par le malheur, errantes tels des zombies dans une atmosphère postapocalyptique, survivant par automatisme.
Les Libanais vivent le deuil de leur propre pays, alors chacun le vit à sa manière, certains sont en colère, d’autres en déni, d’autres dans la frustration, d’autres dans l’acceptation.
Que reste-t-il des victimes, des martyrs à part des photos accrochées dans les maisons, des prières et des bougies qui finissent par s’éteindre ?
Que reste-t-il de l’espoir quand les jeunes s’en vont chercher l’espoir ailleurs ? Que reste-t-il du Liban à part une destination de vacances pour les expatriés ?
Que reste-t-il du drapeau quand le rouge prend toute la place et que l’hymne de la décadence résonne dans tout le pays ?
Que reste-t-il à part les
désillusions ?
Que reste-t-il de toi, Liban ?
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