L’ouvrage de Jean-Francois Colosimo, La crucifixion de l’Ukraine, mille ans de guerre de religion en Europe, traite de deux pays voisins et frères, la Russie et l’Ukraine, dont l’un ne reconnaît pas l’autre, la guerre contre le frère étant la « meilleure » des guerres car refondatrice, croit-on, de sa propre identité. Pour la Russie de Poutine, le grand péché de l’Ukraine est justement de nier son péché qui est celui de vouloir exister par elle-même, et en cela, il est impardonnable.
L’inhumanité de Poutine, sa guerre totale n’ont d’égales que sa volonté d’anéantir ce qui pour lui n’existe pas. N’est-ce pas là une contradiction profonde sur fond de guerre contre un pays slave qu’il ne reconnaît plus, d’autant que l’Ukraine représente l’ennemi de l’intérieur qui véhicule les turpitudes de l’Occident ? Il représente aussi et surtout la menace atlantique à sa frontière.
La crucifixion de l’Ukraine, mille ans de guerre de religion en Europe retrace les guerres de Rome contre Byzance, dont l’aboutissement est un déchirement de l’Église uniate, sans domination définitive de l’une sur l’autre, car les guerres d’Église sont plus complexes que les guerres de religion. Elles portent en leur sein une part idéologique exacerbée par la pratique différente d’une même religion, par l’hésychasme (prière et silence), d’une part, et par le « kath’holon » (rite catholique), de l’autre. Toute velléité de rapprochement a été longtemps étouffée dans l’œuf, même sous le pontificat de Grégoire qui avait fourni des efforts considérables mais infructueux. Le mont Athos est bien là pour nous le rappeler.
L’ouvrage de Colosimo est éclairant, mais parfois déroutant par les innombrables flash-back historiques qui le jalonnent. Il consolide cependant sa vision et nous la rend plus intelligible en écrivant que les croisades externes en faveur du christianisme ont été le signal des croisades internes, récentes et moins récentes, au sein des christianismes.
Ce qu’il nous apporte de précieux est du domaine de la réparation sans oubli ni déni, car nous avons oublié que toute culture procédait toujours d’un culte et qu’aucune frontière d’ordre physique n’a jamais empêché un affrontement d’ordre métaphysique. Nous avons enfin occulté que le sacrifice suprême prôné par Poutine pourrait s’accomplir grâce à une figure souveraine, la sienne, qui le commande. Ce qui sauvera l’Ukraine démocratique, qui n’est pas le Proche-Orient méditerranéen, est pour Colosimo de l’ordre de la cohérence politique et de l’identité collective qu’apporte « une religion originellement commune et sociologiquement majoritaire ».
Le Liban, meurtri par la non-reconnaissance de son grand voisin et par l’incurie de ses dirigeants, se regarde à travers l’Ukraine. Il attend l’avènement d’un Zelensky baptisé, car ses guerres désormais silencieuses le mettent en péril.
Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.
Très intéressant, malheureusement le Mont Athos est devenu russe , je pleure pour ça
17 h 31, le 24 décembre 2022