Critiques littéraires

La rude vie d'un diplomate français

La rude vie d'un diplomate français

Les Autres ne pensent pas comme nous de Maurice Gourdault-Montagne, Bouquins Mémoires, 2022, 396 p.

Maurice Gourdault-Montagne est l’un des plus importants diplomates français des quarante dernières années comme le montre la variété des fonctions qu’il a exercées. Son livre égrène dans un ordre non chronologique des faisceaux de souvenirs qui sont aussi largement des analyses. Il ne présente pas les arcanes de négociations techniques qui constituent une grande part du savoir-faire diplomatique et qui peuvent apparaître comme ennuyeuses pour les non-spécialistes.

Le fruit de son expérience est de chercher à comprendre l’autre en essayant de se mettre le plus possible à sa place, tout en sachant que se transposer complètement est impossible, voire présomptueux tant que l’on reste prisonnier de ses propres codes. Le métier de diplomate ne se pratique que si chacun se connaît assez lui-même pour déchiffrer l’autre dans le respect de sa différence. Pourtant la vie internationale est rude, la compétition âpre, les sentiments inexistants.

Ayant réussi le concours dit d’Orient sur l’hindi et l’ourdou, l’auteur a suivi d’abord les étapes du cursus des jeunes diplomates. Par un concours de circonstances, il a été directeur adjoint de cabinet d’Alain Juppé au quai d’Orsay de 1993 à 1995 puis son directeur de cabinet à Matignon les années suivantes. Il a dès lors alterné des responsabilités à l’Élysée avec des fonctions d’ambassadeur au Japon, Royaume-Uni, Allemagne et Chine, sans oublier celles de secrétaire général du Quai d’Orsay. Il a servi cinq présidents dont il dit toujours du bien tout en montrant une grande affection et admiration pour Jacques Chirac.

Toute l’ambiguïté du métier de diplomate est bien décrite. Il est chargé de défendre des intérêts dans une logique de rapports de force, mais doit aussi établir d’indispensables relations de confiance avec ses interlocuteurs, ce qui passe par des rapports personnels et par une connaissance, une imprégnation des réalités culturelles et identitaires.

En un sens, l’auteur a une vision que l’on pourrait appeler « culturaliste » des sociétés dans lesquelles il a vécu : « ils ne pensent pas comme nous. » Mais le diplomate est une sorte de thérapeute qui doit partir du bon côté des choses pour chercher à les améliorer. On peut condamner moralement tel ou tel acteur politique, mais on doit tenir compte de leur existence.

Il ne faut pas chercher dans ce livre des secrets d’État, mais on y trouve des mises au point salutaires comme « la véritable influence de Pasqua au Maghreb, comme au Liban ou en Iran, se limitant à quelques ramifications dans les cercles de la sécurité intérieure, loin du poids qu’on lui prêtait dans les rédactions parisiennes ».

Il consacre un chapitre à l’Irak en 2002-2003. Il faut tenter d’éviter une guerre qui risque de déstabiliser tout le Moyen-Orient. Il ne s’agissait pas de maintenir Saddam au pouvoir. Gourdault-Montagne montre comment Jacques Chirac a cherché à rapprocher la Russie et le monde occidental : « Chirac avait une vision globale du sujet sécuritaire. Il était persuadé que l’hubris de la victoire des démocraties sur le communisme totalitaire nous avait fait perdre de vue que la sécurité est une affaire collective et n’est pas nécessairement la loi du vainqueur ou celle du plus fort, mais qu’elle doit s’organiser par le dialogue et la négociation. »

Mais les rapports de force internes à l’Occident n’ont pas permis de maintenir cette affaire collective qui s’est conclue par la première invasion de l’Ukraine en 2014. Dès lors, il faut conserver le contact avec la Russie. Maintenant : « Un nouveau rideau de fer partage le continent et nous sommes divisés. La Russie reste notre voisin. Les conséquences de la guerre seront longues à surmonter, d’autant que notre marge de manœuvre est réduite. La question sécuritaire demeure centrale et il faudra la traiter. »

L’attitude de Chirac envers la Syrie et l’Iran était largement dictée par sa volonté de protéger l’intégrité et la stabilité du Liban, auxquelles il était viscéralement attaché.

Bien d’autres sujets sont abordés dans ce livre qui se laisse agréablement lire. On y trouve le décryptage des sociétés allemandes, britanniques, japonaises, indiennes et chinoises, la relation franco-algérienne, la lourde charge de travail des diplomates qui s’aggrave avec la diminution constante des moyens du Quai d’Orsay, les portraits des ministres des Affaires étrangères.

Maurice Gourdault-Montagne nous offre ici une très belle description du métier de diplomate avec ses grandeurs et servitudes. En dehors de quelques pointes très émoussées sur certains collègues, il évite les règlements de compte. Il nous livre un ouvrage des plus utiles pour la compréhension de notre monde contemporain.


Les Autres ne pensent pas comme nous de Maurice Gourdault-Montagne, Bouquins Mémoires, 2022, 396 p.Maurice Gourdault-Montagne est l’un des plus importants diplomates français des quarante dernières années comme le montre la variété des fonctions qu’il a exercées. Son livre égrène dans un ordre non chronologique des faisceaux de souvenirs qui sont aussi largement des analyses. Il ne...

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