Michel Aoun est content de son tour de passe-passe. En acceptant la démission de Nagib Mikati, une démission de courtoisie que présente chaque chef de gouvernement, après des élections législatives, il a fait quelque chose que personne n’avait fait avant lui : il a accepté par écrit la démission de M. Mikati, dans l’intention de l’empêcher de gouverner sans lui.
Dans toutes les démocraties parlementaires, après des élections, le chef de l’État accepte la démission du gouvernement en place et le charge d’assurer l’expédition des affaires courantes, jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement. Normalement, l’esprit de cet acte est d’assurer la continuité des services publics et de respecter l’impératif de la continuité de l’État. Trahissant l’esprit du texte, M. Aoun a segmenté cette coutume constitutionnelle, n’en retenant que le premier volet. Il l’a donc utilisée non pour garantir la continuité, mais pour la saboter et la rompre. En avait-il le droit ? Certainement pas. Le principe de continuité est un principe de vie. M. Aoun l’a détourné, l’a manipulé pour en faire un principe d’obstruction et de chaos. C’est typique de sa méthode d’action. C’est comme cela qu’il avait laissé précédemment le Liban sans président de la République plus de deux années durant.
Y aura-t-il quelqu’un pour suivre l’ancien chef de l’État dans son aventure, à part le Courant patriotique libre, qu’il a créé à son image et qui s’évanouira avec lui, comme tout parti de personnalité ? Difficilement.
Certes, Paul Valéry dit que « le monde n’avance que par les extrêmes et ne subsiste que par les moyens ». Que le geste ait du panache, nul ne le nie. Mais il se fait que le Liban se trouve en ce moment dans une phase de préservation de ce qui demeure fondamental. Trouvons donc la parade à cette folie nihiliste. La parade, c’est le retour à l’esprit des dispositions évoquées plus haut. Il faut protéger le principe de continuité et annuler un acte lui portant atteinte. Le service public, disent les traités de droit, est soumis à trois principes : ceux de la continuité, de l’adaptabilité et de la neutralité. Ces services doivent être continus, adaptés aux besoins changeants de la population et, enfin, traiter tous les Libanais sur un pied d’égalité. Au regard de la Constitution et comme acte administratif, le décret d’acceptation de la démission de Nagib Mikati doit donc être tenu pour nul et non avenu.
Par un seul homme intelligent, une ville se peuple, dit le Livre des proverbes. Par un seul coup de folie, elle peut se dépeupler. Si l’on veut mesurer la popularité de Michel Aoun, ne le faisons pas au nombre des figurants qui se sont massés devant le palais présidentiel, mais à celui des diplômés et demandeurs d’emploi qui se présentent au contrôle passeport de l’aéroport de Beyrouth, à cause de tous les baroudeurs et tricheurs qui sévissent dans le pays.
Drapeau en berne et portraits de Aoun retirés au palais présidentiel
Le palais présidentiel de Baabda et les ailes du chef de l’État sont maintenant fermés, les portraits de l’ancien président Michel Aoun ont été retirés et le drapeau libanais au-dessus de son entrée a été mis en berne, au lendemain de la fin du précédent sexennat, le lundi 31 octobre à minuit, a annoncé la présidence hier sur son compte Twitter. « Aujourd’hui est un jour triste et nous espérons l’élection d’un président à la première occasion », a déclaré le directeur général de la présidence, Antoine Choucair, lors d’un point de presse. Il a assuré que la direction « restera en place et aura un rôle à jouer ». Les comptes Twitter et Instagram officiels de la présidence libanaise ont changé leurs photos de profil en remplaçant la photo officielle de M. Aoun par le logo de la présidence.
Le Liban vient de rentrer dans une vacance totale de l’exécutif, aucun successeur au président sortant n’ayant encore été trouvé et alors que le gouvernement actuel est démissionnaire et chargé seulement d’expédier les affaires courantes depuis mai dernier. Deux jours avant la fin de son mandat, M. Aoun a annoncé qu’il avait signé le décret de la démission du gouvernement Mikati. Il a également envoyé une lettre au Parlement pour l’informer de la procédure et lui demander de prendre les mesures nécessaires à ce sujet. En réponse, le président du Parlement, Nabih Berry, a convoqué les députés à une séance jeudi afin de « lire la lettre du président ». Selon des experts, la dernière démarche de Michel Aoun est considérée comme purement procédurale et n’ayant aucune valeur constitutionnelle. Le chef du gouvernement sortant, Nagib Mikati, a également défendu ce point de vue. La démarche du président sortant risque d’ailleurs de se retourner contre son camp, dans la mesure où la tenue de la séance plénière pour la lecture de la lettre finirait par être un cadeau à Nagib Mikati, qui pourrait voir son équipe sortante bénéficier indirectement de la confiance de la Chambre.
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"à part le Courant patriotique libre, qu’il a créé à son image et qui s’évanouira avec lui, comme tout parti de personnalité ?" Tout est dit dans cette phrase. Cela prendra encore un peu de temps mais ce parti finira par fondre comme la neige. Il ne restera de lui que les mauvais souvenir des guerres et occupations dont il a été le principal responsable. Idem du Hezbollah qui voit disparaître son mythe de libérateur et de défenseur de la nation puisque son histoire est bâti sur des mensonges et des légendes maintenant démystifiés. Le Hezbollah a transformé ses supporter en occupants étrangers et ses héros en victimes et en traites a la patrie. Combien tiendra-t-il encore sous sa botte ces pauvres gens a présent que le pays a reconnu Israël? Qu'elles excuses trouvera-t-il pour justifier ses armes? Que fera-t-il cette fois, après les événements du Chouf et de Tayyouneh, si nous vivons un second Octobre 2019?
Pierre Christo Hadjigeorgiou
13 h 55, le 02 novembre 2022