Georges est en train de plier sa tente. Il a dormi deux nuits à la belle étoile sur une petite colline face au palais présidentiel pour attendre le « général » lors de sa sortie. Comme beaucoup d’autres parmi les milliers de manifestants présents ce dimanche, il l’avait déjà fait en 1989 quand le général – alors à la tête d’un gouvernement de transition – avait lancé la « guerre de libération » contre l’armée syrienne.
« J’aurai toujours confiance en lui, le général nous a fait vivre un rêve », explique-t-il. Aujourd’hui, c’est avec soulagement qu’il voit son héros quitter Baabda. « Maintenant, il pourra faire ce qu’il veut… Il quitte la “maison du peuple” pour recevoir son amour », s’enthousiasme le sexagénaire, pour qui la fin du mandat ouvre un nouveau chapitre du aounisme.
Comme tous les autres adeptes du Courant patriotique libre présents sur place, Georges fait partie des irréductibles. Ceux qui pardonnent et justifient toutes les volte-face de Michel Aoun – un pro-14 Mars devenu 8 Mars, un antimilicien devenu allié du Hezbollah – et évoquent les exploits de son mandat marqué par le soulèvement du 17 octobre 2019, l’effondrement économique du pays et la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Ce dimanche, la foule semble soulagée de voir ainsi le mandat se terminer. Ciblés par les critiques pendant six ans, les « aounistes » donnent l’impression d’en sortir encore plus soudés mais pas totalement intacts. Avec la conviction des derniers apôtres, ils défendent bec et ongles leur « général », éternel victime, à leurs yeux, d’un complot fomenté par le « système ». Et assurent vouloir poursuivre « cette nouvelle bataille » à ses côtés. En les écoutant, on entre ainsi dans un univers orwellien dans lequel les faits sont déformés pour répondre à un seul et unique narratif : celui qui fait du général le dernier héraut de leur cause.
Mario, la vingtaine, chantonne avec ses amis les hymnes en l’honneur de Michel Aoun. « Ça fait plus de 15 ans que je suis avec lui, je l’aime pour ses principes, il veut construire un État », affirme-t-il. Un État qu’il n’a pas hésité à paralyser pendant deux ans et demi pour accéder au palais le 31 octobre 2016. « S’il avait un projet pour le pays, pourquoi ce n’était pas à lui d’arriver à Baabda ? » rétorque-t-il. Le fondateur du Courant patriotique libre attire aussi la nouvelle génération. Stéphanie, qui porte un tee-shirt à son effigie n’a que treize ans. Pour elle, il a le « visage de Dieu sur terre ». « Quand je le vois, je ressens de la sécurité. Il représente tout pour moi », dit-elle, comme si elle parlait de son père. Lodie, sa mère, écoute attentivement ses mots. « C’est la vérité incarnée », affirme cette dernière, persuadée que l’effondrement économique du pays n’est qu’un complot pour faire tomber la base de son leader.
« Dieu, le Liban, Aoun, et c’est tout »
Dans la foule, Jean se distingue des autres avec sa perruque orange. La sueur coule sur son front. Le quarantenaire, avec pour piercing à l’oreille le logo du parti orange, est arrivé samedi de Paris « pour dire au général qu’il est bel et bien bay el-kel (le père de tous) et que nous sommes avec lui ». Des milliers de sympathisants sont présents, mais la scène fait pâle figure comparée aux rassemblements de 1989 ou de 2005, pour célébrer le retour de Michel Aoun après 15 ans d’exil.
Son visage apparaît. Les yeux de ses fidèles sont rivés sur les grands écrans installés pour l’occasion. Il s’apprête à donner son dernier discours en tant que président. « Dieu, le Liban, Aoun, et c’est tout », scande la foule en mimant le signe du parti. Marie-José, 16 ans, n’en revient pas que son général n’ait pas besoin de lire ses notes. Elle est en sanglots. « Vous m’avez manqué », dit Michel Aoun lors de son discours. « Toi aussi », hurlent ses adeptes. Visiblement affaibli, le leader maronite fourche sur certains mots, et s’excuse. « Haram, il est fatigué », lance une partisane. Une femme, la quarantaine, fond en larmes. « Les Libanais ne le méritent pas comme président », dit-elle. L’émotion est à son comble, elle préfère quitter les lieux avant que le président ne close le chapitre de Baabda.
Quand Michel Aoun quitte l’estrade, faisant le signe de la victoire, les organisateurs s’emparent du micro et invitent la foule à se diriger vers la sortie. « Vous voulez le voir ? Alors faites une haie d’honneur tout le long de l’autoroute. Montrez à tout le monde combien nous sommes nombreux », hurle l’un d’entre eux. Les sympathisants aounistes se pressent sur les barres en fer pour apercevoir le général qui monte dans sa limousine.
« Une thaoura va avoir lieu… » lance Annie, la quarantaine. Direction Rabieh, l’ancien bercail du fondateur du CPL avant qu’il n’investisse Baabda. C’est là que s’installera de nouveau Michel Aoun, dans une villa construite pour le recevoir.
« Son mandat reste un succès »
Ici, les manifestants se font beaucoup plus rares. Marie-Christine, nouvelle voisine du leader maronite, semble heureuse de voir le père fondateur du CPL rentrer à Rabieh. « Je suis là pour lui dire que Dieu te protège. Heureusement que tu t’es libéré du palais présidentiel. Ici, personne ne peut t’empêcher de faire ce que tu veux », jubile-t-elle, un énorme drapeau libanais à la main. Elle est rejointe par Marlène, une jeune militante aouniste, qui affiche fièrement le symbole de son parti sur son tee-shirt orange. Son père est étranger, elle n’a donc pas la nationalité libanaise. « Si je l’obtiens un jour, je serai fière d’être la citoyenne d’un pays qui a eu Aoun comme président », affirme-t-elle. Le CPL s’est souvent opposé au droit de la femme libanaise à donner sa nationalité à ses enfants, considérant ce droit comme une menace pour l’équilibre confessionnel du pays. Mais pour Marlène, ce n’est pas la faute de Michel Aoun. « Dans cette réforme comme dans beaucoup d’autres, on l’a empêché de travailler. Mais son mandat reste un succès, malgré tout », estime la jeune femme. L’euphorie est au rendez-vous quand le convoi du général arrive à destination sous les battements de tambour et les jets de riz. Michel Aoun se contente de saluer son public depuis la fenêtre de sa limousine. Gebran Bassil, l’« héritier » est tout sourire. Sous les applaudissements, il arrive à pied et converse avec partisans et journalistes. « Je ne suis pas très enthousiaste », répond-il, non sans sourire, aux manifestants qui scandent « président après son beau-père ». Une autre voisine vient saluer Michel Aoun et les membres de son parti. « Je veux lui dire qu’à Baabda comme à Rabieh, nous sommes avec lui et que nous allons triompher », scande-t-elle.
commentaires (26)
À mon très humble avis, le Patriarche Maronite devrait tout simplement “excommunier” Aoun et son gendre. Ils sont une disgrâce pour leur communauté. Je passe outre, car c’est trop tard, Béchara el Khoury qui a accepté les réfugiés palestiniens en 1948 et Charles Hélou qui a signé l’Accord du Caire, et j’en passe... Nicole S.A.
Abouhalka Nicole
02 h 38, le 01 novembre 2022