Critiques littéraires

Faut-il se méfier des historiens ?

uand on a tant écrit et publié, quand, tel un explorateur, on est remonté aux « sources de l’Orientalisme » pour reprendre à partir de zéro « la question de Palestine », et qu’on a préalablement dévoilé les règles du « grand jeu », on peut avec le recul avoir acquis un peu de sagesse tout en se refusant le qualificatif de sage. Voilà où en est Henry Laurens dans son dernier ouvrage, Le Passé imposé. Il s’agit là d’un recueil où le professeur au Collège de France, nous livre ses impressions sur les thèmes et illusions qui ont régenté le spectacle du monde tel qu’enregistré par la profession de l’histoire. Après tout, cette dernière est la science du temps qui passe, une science qui nous sert ses trompe-l’œil en mode take away ou delivery. Au choix !

Si d’après Jacques Derrida, la fonction du philosophe est de créer des concepts, quelle serait donc celle de l’historien attaché à étudier les vestiges et traces de ce qui fut ?

Comme « les historiens doivent reconnaître qu’ils ne sont pas les maîtres de la représentation du passé », l’auteur nous convie à faire preuve de modestie. Il ne faut pas oublier que l’histoire est une démonstration, nous rappelle-t-il, et que « si un fait historique se trouve être à un carrefour d’interrogations, c’est qu’il existe en fonction d’un questionnement qui le place dans une argumentation, une démonstration, un processus. Certains faits sont ainsi amplifiés quand d’autres passent au second plan. La problématique donne sens à la recherche ». Ainsi donc, l’historien consacré dévoile expressément les ficelles du métier et ses dessous, et ce faisant, il avoue prendre des libertés avec l’agencement du récit, en confessant le recours à l’amplification, c’est-à-dire à la sélection, voire à la prestidigitation. Faut-il pour autant se méfier des historiens ? Vraisemblablement oui. Toutefois, sans eux, comment appréhender l’antan ? Et ce temps révolu serait-il toujours d’un caractère insaisissable dans sa géométrie variable ?

En somme, l’historien n’est pas un juge ; il ne peut prétendre à l’impartialité. Il est, non pas un pur esprit, mais un narrateur en situation et son récit dévoile sa problématique, ses opinions, tout comme son engagement, fût-il politique ou non.

Mais que ce constat amer ne vous retienne pas de plonger dans cet ouvrage d’un moraliste (non d’un moralisateur), dont la pensée est parfois désabusée à force de pertinence et d’alacrité. L’intelligence des choses est toujours teintée d’un certain pessimisme face à la vanité ambiante et aux emballements indus. Or des pages extraordinaires d’enthousiasme à peine retenu vous attendent et révèlent, tout au long du chapitre premier, l’amitié que voue Henry Laurens à son confrère Paul Veyne et l’estime dans laquelle il tient son ouvrage séminal Comment on écrit l’histoire ? Et c’est un tel festin que de le suivre dans les méandres de la réflexion.


Le Passé imposé d’Henry Laurens, Fayard, 2022, 256 p.

Henry Laurens au Festival :

« Le passé imposé » : rencontre avec Henry Laurens et animée par Youssef Mouawad, lundi 24 octobre à 16h30 (Al-Rabita al-Sakafia, Tripoli).

uand on a tant écrit et publié, quand, tel un explorateur, on est remonté aux « sources de l’Orientalisme » pour reprendre à partir de zéro « la question de Palestine », et qu’on a préalablement dévoilé les règles du « grand jeu », on peut avec le recul avoir acquis un peu de sagesse tout en se refusant le qualificatif de sage. Voilà où en est Henry Laurens...

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