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Manuel Carcassonne, le captif amoureux

Manuel Carcassonne, le captif amoureux

Ouvrage inclassable qui mêle l’essai, l’autobiographie et fait sans doute quelques incursions dans la fiction, Le Retournement de Manuel Carcassonne est avant tout le lieu d’une sorte d’archéologie identitaire et d’interrogation existentielle. Inquiet, sincère, érudit et « foutraque », selon les propres termes de son auteur, ce livre est aussi une histoire d’amour. Car c’est sa rencontre avec Nour et avec le Liban, ce pays où les ancrages communautaires participent si fortement de la définition des individus, qui provoque en lui un tsunami intime et le besoin de retour aux sources. Alors Carcassonne se plonge dans son histoire familiale et son rapport au judaïsme, lui qui a grandi dans une famille laïque et républicaine, et forcément, le conflit israélo-palestinien s’invite dans sa recherche, et les terribles massacres de Sabra et Chatila aussi. Jean Genet occupe dans ce voyage une place centrale. Avec une exigence de justesse, un profond désir de comprendre, un souci quasi-obsessionnel du « retournement », Carcassonne compose un texte ardent qui ne peut laisser indifférent.

Ce n’est pas la première fois que vous prenez la plume. Mais tout de même, vous avez surtout accompagné des auteurs vers la publication. Quel a été l’élément déclencheur de votre envie de revenir vers l’écriture ?

Il y en a plusieurs. Toute ma vie a tourné autour des livres puisque j’ai été critique littéraire, préfacier, éditeur. C’est ma raison de vivre, je suis un homme du livre. Et là, j’ai eu besoin de mettre des mots sur une situation qui n’était pas simple, de clarifier une appartenance et des origines. L’élément déclencheur a été ma découverte du Liban non pas comme touriste, mais à travers ma rencontre incarnée avec Nour et la naissance de notre fils. Le fait d’avoir plongé dans une réalité si différente de la mienne m’a fait réaliser que je m’étais laissé abuser par une certaine image du Liban, transmise entre autres par Jean d’Ormesson ou Jean-François Deniau, celle d’un pays de personnes exquises et francophones. Or j’ai découvert que ce n’était pas que ça, que c’était beaucoup plus. Et j’ai été confronté tout à la fois à la question de l’altérité et de la ressemblance, qui m’a renvoyé à mes origines. Il me fallait aller voir de plus près dans tout ça.

Vous entretenez un rapport paradoxal et ambivalent au Liban, le décrivant comme une « décharge à ciel ouvert », mais écrivant plus loin que vous vous y sentez chez vous davantage qu’à Vavin où vous vous rendez chaque jour.

Il faut savoir que nous avons vécu la crise des poubelles de 2015 et que pour rentrer chez nous, nous devions slalomer entre des tonnes de déchets. Pour le petit Français que je suis, c’est une expérience pour le moins inhabituelle. Plus globalement, le Liban est un pays qui déclenche des sentiments ambivalents. On ne peut ni l’aimer complètement ni le détester tout à fait.

Vous vous définissez comme un « captif amoureux » empruntant ces termes à Jean Genet. Pourquoi Genet occupe-t-il tant de place dans votre livre ?

Le Captif amoureux est un livre très important pour moi. Je réagis à des choses que j’ai ressenties au Liban où je me sens véritablement comme un captif amoureux parce qu’amoureux de Nour et captif puisque ne maîtrisant ni la langue, ni les codes, ni la géographie, ni les complexités des appartenances communautaires, je ne peux me déplacer sans être accompagné. (…) Je voulais élucider la question de l’antisémitisme parfois attribué à Genet. La réponse qui se dégage de mes recherches est qu’il n’est pas antisémite, mais que le contexte et la période expliquent pas mal de choses. Tout cela me mène à Sabra et Chatila, au texte de Genet sur ce terrible massacre qui est « le Guernica des Palestiniens », pour reprendre les mots de Leïla Shahid et à la note très problématique qui accompagne la première version du texte, note supprimée par la suite. Je passe beaucoup de temps à me documenter sur ce bourbier qui me passionne et j’arrive à la conclusion que la responsabilité israélienne est plus importante que ce que j’avais pensé. C’est une tache morale qui collera longtemps aux Israéliens.


Le Retournement de Manuel Carcassonne, Grasset, 2022, 320 p.

Manuel Carcassonne au Festival :

Rencontre avec Clara Dupond-Monod et Manuel Carcassonne modérée par Salma Kojok, samedi 29 octobre à 15h30 (Grande Scène, Institut français du Liban).

Un café avec Manuel Carcassonne, Paul Audi et Christophe Ono-Dit-Biot, dimanche 30 octobre à 14h45 (Café des Lettres).

Ouvrage inclassable qui mêle l’essai, l’autobiographie et fait sans doute quelques incursions dans la fiction, Le Retournement de Manuel Carcassonne est avant tout le lieu d’une sorte d’archéologie identitaire et d’interrogation existentielle. Inquiet, sincère, érudit et « foutraque », selon les propres termes de son auteur, ce livre est aussi une histoire d’amour. Car...

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