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Le Goncourt sur les routes du Liban

Le Goncourt sur les routes du Liban

© Olivier Dion

Ils étaient venus en 2012 pour le premier Goncourt Orient et dans des conditions déjà difficiles à l’époque puisqu’un attentat meurtrier avait éventré le cœur de Beyrouth très peu de temps avant leur arrivée. Ils reviennent en force cette année, plus nombreux et plus déterminés encore à marquer leur solidarité et leur empathie avec les Libanais qui traversent tant de drames et voient leur vie voler en éclats, en particulier depuis le 4 août 2020. « Après l'explosion dans le port de Beyrouth qui a fait tant de ravages, les Français, et parmi eux, les académiciens Goncourt, ont été très émus et se sont sentis très solidaires, nous confie Camille Laurens. De plus, notre ministre de la Culture, Mme Rima Abdul-Malak, est franco-libanaise. Enfin, la francophonie est chère à notre cœur. Tout cela concourt à faire du Liban un lieu privilégié, presque un symbole. (…) C'est pour saluer la puissance de paix et d'union de la littérature que l'Académie Goncourt se réjouit de revenir au Liban », poursuit-elle. « Ce n'est pas un geste politique, précise Tahar Ben Jelloun mais on ne peut pas rester indifférent à ce qui se passe au Liban, pays où la langue française est si vivante et qui a donné de grands poètes comme Georges Schéhadé, Andrée Chédid, Salah Stétié, etc. »

Les académiciens Goncourt seront donc présents pour accompagner le festival du livre qui vient combler le vide laissé par la disparition du Salon du livre, salon qui a longtemps été le troisième plus important du monde francophone. Et c’est une francophonie dynamique et qui s’internationalise de plus en plus qui sera à l’honneur. Car depuis le Goncourt polonais qui a ouvert la voie, 35 pays ont mis en place des Goncourt nationaux, sur le modèle de ce qui avait été proposé par l’Institut français de Cracovie et dans les mêmes conditions d’organisation : une demande qui émane du pays lui-même et qui est portée par l’Institut français qui en assure l’organisation et la logistique ; une remise du prix qui se fait à la résidence de l’ambassadeur de France ; une traduction de l’ouvrage primé dans la langue du pays, financée par l’Institut français et publiée par un éditeur local ; une invitation faite à l’écrivain primé de venir dans le pays en question au moment de la parution de la traduction, pour rencontrer les étudiants en littérature française des universités et/ou les lycéens. Paule Constant souligne néanmoins la particularité du Goncourt Orient qui est régional et rassemble des étudiants qui proviennent de plusieurs pays. « C’est un des plus beaux prix, dit-elle avec émotion, tant par la qualité des lectures que par la diversité et la richesse des interventions. J’en ai gardé de merveilleux souvenirs ». « Nous sommes en admiration devant le Goncourt Orient qui parvient à réunir et à faire dialoguer des jeunes de différents pays » renchérit Ben Jelloun. « Le choix Goncourt de l'Orient, est-ce qu'à lui seul le nom ne fait pas rêver ? Il regroupe 11 pays, mobilise des dizaines d'universités, des centaines d'étudiants ! », s’enthousiasme Camille Laurens.

Pourtant l’internationalisation ne figurait pas dans le testament des frères Goncourt « auquel nous restons scrupuleusement fidèles » affirme Pierre Assouline. « Mais lorsqu’Hervé Bazin était président et François Nourissier secrétaire général, ils ont décidé d’ouvrir les fenêtres de la francophonie et de faire voyager l’académie au Québec et en Suisse ». Elle a beaucoup voyagé depuis, portant loin la voix de la langue et de la culture françaises « qui continuent à bénéficier d’un extraordinaire prestige » mais qui ont besoin d’être soutenues dans certains pays où « des libraires et des professeurs se battent au quotidien pour les garder vivantes et qui nous sont reconnaissants de ce que nous faisons ». Assouline évoque les débats qu’ont suscités les invitations de certains pays qui évoluaient vers des régimes dictatoriaux. Mais l’académie a finalement répondu favorablement à leur demande d’organiser un prix national « parce que lorsque la liberté d’expression est de plus en plus réduite, le livre qui est un vecteur de culture, de savoir et donc d’ouverture sur le monde, permet d’aller vers davantage de tolérance ».

Ils se battent donc pour la francophonie, alors que celle-ci est en régression. « On ne comprend pas cette politique, déplore Ben Jelloun. Les instituts français dans le monde ont de plus en plus de difficultés financières pour exercer leur mission. Certains ont été fermés. Les différents gouvernements de la France n'ont pas compris qu'en misant sur et en développant la culture et la langue françaises, ils feront de meilleures affaires économiques et consolideront la présence française dans ces pays. On constate que le recours au français dans les lieux publics est de plus en plus remplacé par l'anglais. Pourtant l'Angleterre n'a pas d'anglophonie ! » Néanmoins, les services culturels français à l’étranger restent très actifs et se mobilisent pour assurer le succès des éditions nationales. Ils apportent une aide significative pour l’achat des livres et leur diffusion. Le succès des uns a suscité l’engagement des autres. « C’est une idée formidable pour la francophonie que ces Goncourt nationaux », affirme Paule Constant. Et ils sont tous très fiers du dernier-né des prix Goncourt : celui des détenus qui va rassembler des lecteurs dans 36 prisons.

À propos de la récente sélection du Goncourt, parfois jugée atypique et critiquée par certains, dans les coulisses du monde de la librairie et de l’édition, les jurés restent sereins et affirment tous qu’elle reflète l’état de la librairie en France, soit l’état de la production éditoriale. Elle est donc équilibrée, avec un souci de la parité hommes/femmes, et même « davantage de femmes cette année » souligne Assouline. Elle accueille beaucoup de jeunes auteurs et même des premiers romans. Cette année, y figurent un Haïtien, un Italien et une Suissesse. « Notre sélection est originale, remarque Paule Constant, parce qu’on ne suit pas les prescriptions des journalistes. Pour ma part, je ne lis pas les journaux, ni ne répond aux attachés de presse qui veulent nous dicter ce qu’on doit penser d’un livre. J’évite même les quatrièmes de couverture. Je pars avec le titre et le nom de l’auteur et je lis au moins quatre-vingts pages avant d’abandonner un livre qui ne me plaît pas. » « La liste, reprend Ben Jelloun, c’est le résultat de la liberté de chacun. Nous sommes très différents tous les dix ; ce qui nous réunit c'est l'amour de la lecture et la défense du livre français écrit par des Français ou des écrivains de la sphère francophone. Une fois la liste établie, nous sommes solidaires jusqu'au bout. » Et discrets, comme le souligne Camille Laurens : pas de commentaires sur le choix des ouvrages et leurs motivations jusqu'à la proclamation du prix.

Quant à leur programme et leurs interventions durant le festival, ils vont aller à la rencontre du public dans toutes les régions du Liban : Tripoli, la Bekaa ou le Liban-Sud seront ainsi au programme, en sus de Beyrouth. Ils seront tous également heureux d’être interrogés non seulement en tant que jurés, mais en tant qu’écrivains, prolixes et infiniment généreux. « Je suis venue à Beyrouth en 2003 pour présenter l'un de mes livres, j'en garde un magnifique souvenir et suis ravie à l'idée d'y retourner bientôt », nous confie Camille Laurens.

Alors que l’Europe est ébranlée par la guerre et traversée par la crise climatique, le livre reste le plus sûr moyen de résister à l’angoisse, d’arpenter des mondes nouveaux, variés et dépaysants, et de penser le monde à défaut de le panser.

Leurs derniers livres parus :

Pierre Assouline Le paquebot (Gallimard, 2022).

Tahar Ben Jelloun La couleurs des mots (L’Iconoclaste, 2022).

Pascal Bruckner Dans l’amitié d’une montagne (Grasset, 2022).

Françoise Chandernagor L’Homme de Césarée (Albin-Michel, 2021).

Philippe Claudel Compromis (Stock, 2019).

Paule Constant La cécité des rivières (Gallimard, 2022).

Didier Decoin Le bureau des jardins et des étangs (Stock, 2017).

Camille Laurens Fille (Gallimard, 2020).

Patrick Rambaud Les cinq plaies du royaume (Grasset, 2020).

Éric-Emmanuel Schmitt La porte du ciel (Albin-Michel, 2021).

Les Goncourt au Festival :

Proclamation des quatre finalistes du Prix Goncourt 2022, mardi 25 octobre à 14h (Cet événement n’est pas ouvert au grand public).

Rencontre avec les membres de l’Académie Goncourt avec Paule Constant et Tahar Ben Jelloun, mercredi 26 octobre à 11h (Université Libanaise, Saïda).

Rencontre avec les membres de l’Académie Goncourt avec Didier Decoin et Philippe Claudel, mercredi 26 octobre à 11h (Université Arabe de Beyrouth).

Rencontre avec les membres de l’Académie Goncourt avec Eric-Emmanuel Schmitt et Camille Laurens, mercredi 26 octobre à 11h (Bibliothèque des sciences humaines de l’Université Saint-Joseph, Beyrouth).

Rencontre avec l’académie Goncourt, présentée par Salma Kojok, mercredi 26 octobre à 18h (Amphithéâtre du Musée Sursock).

Remise du prix Choix Goncourt de l’Orient 2021 à Clara Dupont-Monod, samedi 29 octobre à 15h30 (Grande Scène, Institut français du Liban).

Proclamation du choix Goncourt de l’Orient 2022 avec Clara Dupont Monod et Salma Kojok, dimanche 30 octobre de 15h30 à 17h (Grande Scène, Institut français du Liban).

Ils étaient venus en 2012 pour le premier Goncourt Orient et dans des conditions déjà difficiles à l’époque puisqu’un attentat meurtrier avait éventré le cœur de Beyrouth très peu de temps avant leur arrivée. Ils reviennent en force cette année, plus nombreux et plus déterminés encore à marquer leur solidarité et leur empathie avec les Libanais qui traversent tant de drames et...

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