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Sport - Basket

L’équipe de Sisyphe

Vaincus en finale 88-76 par une sélection espagnole fatalement supérieure, les basketteurs français repartent de cet Euro-Basket avec une nouvelle médaille d’argent au goût plus amer que les précédentes.

L’équipe de Sisyphe

Le capitaine des Bleus, Evan Fournier, ôtant sa médaille d›argent de son cou au moment de passer devant le trophée de l’Euro-Basket 2022 après la frustrante défaite de l’équipe de France en finale face à l’Espagne sur le parquet de la Mercedez-Ben Arena de Berlin. Tobias Schwarz/AFP

C’est l’histoire d’une équipe de basket qui, chaque année, pousse encore et encore le même rocher jusqu’aux dernières cimes d’une nouvelle colline. Et, comme chaque année ou presque, une force supérieure la repousse en arrière au moment où elle était sur le point d’atteindre l’autre versant. L’impitoyable pierre retombe de tout son poids dans la plaine et l’équipe de basket rebrousse chemin la tête basse, avec une médaille d’argent autour du cou.

Il ne s’agit pas de sous-entendre que les performances des basketteurs français lors de cet Euro 2022 aient été absurdes. Non plus d’insinuer qu’ils soient maudits par les dieux du sport, tant ceux-ci ont pu se montrer cléments avec eux (notamment en faisant rater à deux reprises les lancers francs de la victoire à leurs adversaires turcs puis italiens). Mais il semble tout de même que les parcours successifs des Bleus depuis une dizaine d’années ont la fâcheuse tendance à ressembler à une mauvaise adaptation d’Un jour sans fin. Une version dans laquelle Bill Murray se réveillerait tous les jours sur les coups de 6h, non pas pour assister aux célébrations du jour de la marmotte sur la place centrale de Punxsutawney, mais pour aller se faire taper par l’Espagne. Après une énième défaite en demies ou en finale d’une compétition internationale, il irait ensuite se recoucher en paraphrasant le fameux adage d’un footballeur anglais du nom de Gary Lineker à propos de l’équipe d’Allemagne : « Le basket est un sport simple. Il se joue à 5 contre 5 et à la fin, ce sont toujours les Espagnols qui gagnent. »

Triste résumé de l’une des plus grandes rivalités de l’histoire de la balle orange. Peut-être un poil fataliste certes, mais l’amertume qui avarie le goût de notre café en ce lendemain de défaite est à la hauteur de la leçon de basket que la Roja a infligée aux Bleus hier soir. Les générations d’acteurs changent, mais le dénouement reste le même. Comme à Vilnius en 2011, à Londres en 2012, à Villeneuve d’Ascq en 2015 ou encore à Rio en 2016, ils sont encore tombés face à plus forts hier soir à Berlin. Et ce qu’il y a de plus rageant dans toute cette histoire, c’est que cette fois-ci, il n’y a rien à dire. Pas même d’injustice ou de petites décisions arbitrales litigieuses contre laquelle s’indigner, contrairement aux précédents tours de la compétition. Même les 27 points empilés par le MVP de cette finale, Juancho Hernangomez, qui a probablement réalisé hier le match de sa vie avec ses 6 paniers à 3 points en une mi-temps, n’ont rien de révoltants tant ils ont été rendus possibles par la supériorité incontestable du collectif espagnol.

En demi-finale de l’Euro 2015, le grand Pau Gasol avait littéralement porté les siens sur les terres françaises avec ses 40 points, certainement animé par l’envie de laver l’affront infligé par Thomas Heurtel deux années plus tôt en quarts de « leur » Mondial. Mais hier soir, et comme ce fut souvent le cas au long des dix-huit confrontations entre les deux nations, les Ibères sont venus, ont vu et ont vaincu. Sans dire qu’il y avait une classe d’écart entre les deux équipes, on constate en se repassant le film de cette rencontre que les Bleus ne se sont jamais vraiment mis en position d’en sortir vainqueurs.

Pourtant loin d’être passés à côté de leur finale, les Fournier, Yabusele, Heurtel, Gobert et consorts sont apparus dépassés par l’efficacité diabolique et l’organisation parfaite de leurs rivaux, menés de main de maître par leur historique entraîneur Sergio Scariolo. Totalement submergés en début de rencontre, les Bleus ont pourtant réussi, par à-coups, à réduire l’écart. À l’orgueil, ils reviennent même de -21 à -10 en fin de deuxième quart-temps, avant de les talonner de seulement 3 unités en début de troisième. Mais s’ils se sont bien invités aux portes du come-back, ils n’auront jamais eu l’occasion d’en franchir le seuil.

En un temps mort, le sorcier Scarciolo a remis les siens en ordre de marche. Ces derniers infligent un 9-0 aux hommes de Vincent Collet qui se remettent à manquer leurs shoots et à enchaîner les pertes de balle, un mal dont ils ne se seront jamais défaits tout au long du tournoi. On comprend dès lors que les miracles de la Turquie et de l’Italie ne verront pas le jour ce soir-là. Trop justes, adroits, agressifs et ordonnés, les Espagnols reprennent une dernière fois le large. Les ultimes paniers marqués avec la force du désespoir de Fournier et Heurtel n’y changeront rien.

88-76. Emballé c’est pesé. Les nouveaux champions d’Europe peuvent se permettre de célébrer leur quatrième sacre continental sur les six dernières éditions 25 secondes avant le coup de buzzer final. Comme à Tokyo, les Bleus repartent d’Allemagne avec ce satané préfixe de vice-champions, avec le sentiment d’avoir été à la fois si proches et loin du but. « Marre des médailles d’argent », n’a pu retenir Rudy Gobert, blasé des accessits et surtout frustré d’avoir été muselé tout le match par l’arrière-garde espagnole. Érigés en favoris, les tricolores ont encore laissé passer une belle occasion de se couvrir d’or, eux qui courent derrière une telle breloque depuis leur titre glané en Slovénie lors de l’Euro 2013.

Nonobstant l’ampleur de la désillusion, ces Bleus devraient rapidement se rendre compte de la trace qu’ils laisseront dans l’histoire du sport français. En décrochant leur septième médaille (1 en or, 3 en argent et 3 de bronze) sur leurs onze dernières compétitions, ces basketteurs tricolores demeurent, et de loin, les plus grands pourvoyeurs d’émotions fortes du sport français depuis plus d’une décennie.

Que ce soit dans les délires dans lesquels ils nous font nager en arrachant des prolongations à une poignée de secondes de l’élimination, ou le spleen dans lequel ils nous plongent après des décevants revers comme celui d’hier, on ne compte plus les shoots d’adrénaline et les scénarios qui nous ont fait bondir de notre chaise. Pas sûr que cela suffise à leur faire apprécier ce costume de perdants magnifiques devant l’éternel dont ils tentent par tous les moyens de se défaire. Mais c’est bien pour cette raison qu’en France, où les seconds sont parfois aussi les premiers, ces Bleus seront toujours vénérés.

C’est l’histoire d’une équipe de basket qui, chaque année, pousse encore et encore le même rocher jusqu’aux dernières cimes d’une nouvelle colline. Et, comme chaque année ou presque, une force supérieure la repousse en arrière au moment où elle était sur le point d’atteindre l’autre versant. L’impitoyable pierre retombe de tout son poids dans la plaine et l’équipe de...

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