Alors que les actions coups-de-poing de Libanais visant à récupérer leur argent par la force se multiplient et ont bénéficié du soutien unanime des « associations de déposants », voire de l’implication directe de certaines, une question se pose : qui sont les personnes derrière ces groupes et que revendiquent-ils ? Si le grand public a parfois du mal à faire la distinction entre ces associations aux noms presque identiques, leurs modes d’action ainsi que leurs prises de position sur des sujets de politique économique varient sensiblement.
« Le Cri des déposants » a récemment été au centre de l’attention en revendiquant, avec « Moutahidoun », l’organisation de l’action choc menée par Sali Hafez le 14 septembre à la BLOM Bank. Fondé dans la foulée de la crise économique, « Le Cri des déposants » revendique 500 adhérents, selon son secrétaire général, Richard Pharaon. L’association, qui est surtout connue pour sa mobilisation sur le terrain, prodigue aussi des conseils légaux et financiers. Elle se veut apolitique : « Nous ne sommes ni avec la thaoura ni avec les partis traditionnels, mais nous sommes ouverts à la discussion avec tous pour faire avancer notre cause », dit Richard Pharaon.
« Le Cri des déposants » ne table pas sur l’intervention du FMI : « Il s’agit d’un prêt de seulement trois milliards de dollars, une goutte d’eau par rapport au trou financier de plus de 70 milliards. » L’association s’oppose également aux modalités de restitution des dépôts prévues par la feuille de route du vice-Premier ministre, Saadé Chaami, qui, face aux pertes financières colossales, priorise les petits déposants. « Il n’y a pas de petits ou de gros déposants, il y a ceux qui ont volé, qui doivent rendre l’argent, et les autres. » Estimant que l’entièreté des dépôts pourrait être renflouée, à terme, par « le rapatriement des profits excessifs réalisés par les banques » et « la liquidation de leurs actifs à l’étranger », le groupe propose aussi la création d’un fonds de gestion des actifs publics « qui pourraient fructifier si on confie leur gestion à une tierce partie ».
Souvent assimilé aux autres associations de déposants, « Moutahidoun » est plutôt un collectif d’avocats, fondé en 2016 en réaction à la crise des déchets, qui agit comme la branche légale du « Cri des déposants ». Son fondateur, Rami Ollaïk, est notamment connu pour son parcours surprenant, documenté dans une autobiographie (La route des abeilles, 2008) : ex-représentant estudiantin du Hezbollah, désormais repenti, ancien professeur à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), cet avocat, qui se veut le porte-voix des déposants, défraie souvent la chronique par ses prises de position ou ses méthodes controversées. En mai 2021, il est arrêté pour diffamation et flagrant délit d’insultes à l’égard de la justice et à l’encontre du procureur de la République. « Cela fait partie des dizaines de plaintes injustes à mon égard et à l’encontre de Moutahidoun pour nous réduire au silence », se défend-il. En novembre de la même année, il fait l’objet d’une décision de radiation de la part du conseil de l’ordre pour laquelle il a interjeté appel (et continue d’exercer en attendant son issue). Contacté par L'OLJ, le député Melhem Khalaf, qui était alors à la tête du barreau de Beyrouth, a indiqué ne pouvoir divulguer les motifs de la décision du Conseil de discipline, celle-ci étant « soumise à la confidentialité qu’impose l’éthique de la profession. »
« Moutahidoun » se caractérise par son mode opératoire sensationnel : le braquage de Sali Hafez, dont il revendique l’organisation, n’est pas son premier coup d’éclat. Il compte parmi ses dossiers médiatiques la plainte contre la Fransabank, qui avait abouti à la saisie conservatoire des avoirs de l’établissement, ou celle contre la Société générale de banque au Liban (SGBL) et le groupe de transfert d’argent Mecattaf. À l’intervention du FMI, « Moutahidoun » préfère une solution locale : « Il y a assez dans le système bancaire, au vu des profits exubérants réalisés pendant des années, pour couvrir plus de l’entièreté des dépôts. Le problème est le manque de volonté politique », dit Rami Ollaïk.
« Notre argent est à nous » est né d’une scission en 2021 avec « Le Cri des déposants ». Selon son fondateur, Firas Tannous, l’association compte 7 000 déposants membres et une vingtaine d’experts pour les conseiller. Parfois accusée d’être proche du Courant patriotique libre (CPL), en s’affichant par exemple avec l’avocat aouniste Wadih Akl sur les réseaux sociaux, l’association se défend de toute affiliation politique. « Notre argent est à nous » affirme être « en contact avec tous les partis, du Hezbollah aux Forces libanaises », dans le cadre de son action de lobbying.
Sans y être impliquée, l’association soutient l’action de Sali Hafez. « Quelle est l’alternative aujourd’hui ? » s’interroge Firas Tannous. « Notre argent est à nous » partage par ailleurs la position du « Cri des déposants » concernant l’intervention du FMI.
« Il y a beaucoup de solutions locales qui ne nécessitent pas de s’endetter davantage, comme investir dans le tourisme, l’agriculture, les services ou, potentiellement, le gaz et le pétrole », dit Firas Tannous. L’association se distingue cependant par un mode d’action plus institutionnel. « Nous avons réussi à débloquer des fonds grâce à des accords à l’amiable avec les banques. Si cette manière d’opérer est moins médiatisée, elle a été couronnée de succès dans une vingtaine de dossiers », ajoute-t-il.
« L’Association des déposants » a été fondée par Hassan Moughaniyé début 2020, et propose des conseils légaux et financiers gratuits. Elle tire une partie de sa médiatisation de la personnalité charismatique de son fondateur, qui a lui-même pris en otage des employés de la BLOM Bank en mars 2020 pour récupérer son dépôt afin de payer le traitement de sa mère malade. « L’Association des déposants » n’a pas participé à l’action de Sali Hafez, mais elle avait géré en août les négociations avec la Federal Bank pour le compte de Bassam al-Cheikh Hussein, alors qu’il était en plein braquage de sa banque. Elle rejette aussi l’intervention du FMI ainsi que la feuille de route proposée par le vice-Premier ministre Saadé Chami : « Pourquoi les déposants devraient-ils subir une décote alors que c’est le système au pouvoir qui est à l’origine de la crise ? » s’interroge Hassan Moughanié.
Enfin, l’« Union des déposants » se distingue par une vision très différente des précédentes associations. Cofondée en novembre 2019 par l’activiste Nizar Ghanem, l’« Union », coopère avec des groupes de la société civile comme Li Haqqi, al-Marsad el-Chaabi et Beyrouth Madinati. L’« Union » a intenté plus d’une centaine d’actions en justice en faveur des déposants au Liban et à l’étranger. Elle effectue aussi un travail d’expertise légale et financière à destination des parlementaires de l’opposition et de la société civile.
C’est la seule association à être clairement en faveur d’une intervention du FMI : « Les pertes sont tellement colossales qu’il n’est pas possible de renflouer tous les dépôts, d’où la nécessité de protéger les petits et moyens déposants et de trouver des moyens justes pour recouvrer les autres », dit l’avocat Fouad Debs, membre de l’association. Si elle n’a pas pris part à l’organisation de son braquage, l’« Union » est actuellement directement impliquée dans le dossier de Sali Hafez, à qui elle fournit une aide légale.
NB: Ce texte a été amendé le 20/09 pour intégrer la réponse de Melhem Khalaf.