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Idées - Infrastructures

Casser les rouages de la captation de rentes au sein du CDR

Casser les rouages de la captation de rentes au sein du CDR

Une route longeant le village de Adaïssé, dans le Sud libanais, en janvier 2021. Photo d'illustration Aziz Taher / Reuters

Depuis la fin de la guerre civile, les marchés publics relatifs aux infrastructures constituent un exemple frappant des modalités de partage du pouvoir – et du gâteau – au sein de la classe politique. En l’absence de ressources naturelles extractibles, ses membres ont trouvé dans les contrats pour la construction de ponts, d’autoroutes et de stations d’épuration (inutilisées) une source de rente lucrative à même de leur assurer une sorte de « butin de trêve » et d’assurer la perpétuation de leurs sphères d’influence respectives. Une manne d’autant plus lucrative qu’elle a été essentiellement financée par les donateurs et créanciers étrangers.

Alors que la passation de marchés publics est censée être l’une des fonctions les plus encadrées et contrôlées d’un État, nous avions déjà montré, dans une étude publiée l’an dernier sur des contrats attribués par Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), comment les entreprises dont les membres du conseil d’administration (CA) ou les PDG sont politiquement connectés ont obtenu des contrats qu’elles n’auraient pas remportés autrement ou s’avérant plus coûteux qu’ils ne devraient l’être, alimentant les soupçons de corruption ou pots-de-vin.

Avec ses ingénieurs et technocrates (autrefois) bien rémunérés, le CDR gère un processus complexe d’appel d’offres, de mise en œuvre et de supervision, surveillé en interne et en externe par les donateurs et les créanciers. Par conséquent, peu de preuves tangibles de corruption ont émergé au sein de cette institution qui a géré des centaines de projets complexes dans un environnement instable. Dès lors, comment les élites politico-financières sont-elles parvenues à générer des rentes au sein de cette institution ?

Consultants « maîtres du jeu »

Dans une nouvelle étude à paraître de The Policy Initiative (soutenue par la Fondation Konrad Adenauer à Beyrouth), nous avons identifié – via des entretiens avec des sources informées ou des sources de presse – les connexions politiques de toutes les entreprises impliquées dans l’un des 394 contrats d’infrastructures du CDR entre 2008 et 2018. Bien que cela comprenne les entrepreneurs chargés d’exécuter un projet au nom du CDR, nous nous sommes concentrés sur le rôle des consultants en conception et supervision. Chargés de préciser les paramètres d’un projet, de rédiger les termes de référence, d’évaluer les offres et d’être les « yeux du CDR sur le terrain », les consultants sont les « maîtres du jeu », pour reprendre les mots de sources interrogées.

Les consultants en conception apparaissent comme les chevilles ouvrières du dispositif de captation de rentes : seuls les projets dont la conception a été confiée à un consultant connecté au petit groupe de politiciens qui contrôle le conseil d’administration du CDR ont été systématiquement surévalués ou ont engendré des dépenses excessives. Certes, d’autres projets ont pu être affectés par une certaine forme de corruption, mais pas de manière systématique.

Cela fournit des indications importantes sur la génération de rente au sein d’un système de réseaux organisés s’apparentant à des cartels. Les consultants en conception réduisent ce que l’on peut appeler les « coûts de recherche » – c’est-à-dire l’effort et les risques que les politiciens doivent prendre pour trouver des partenaires appropriés et fiables pour une affaire de corruption. En fonction des instructions reçues, les concepteurs savent quelle entreprise devrait remporter un appel d’offres et peuvent « adapter sur mesure » les documents relatifs, exclure d’autres soumissionnaires ou faciliter l’échange d’informations entre les soumissionnaires pour leur faire connaître les « bons » prix à soumettre. Cet échange d’informations ne fonctionne toutefois qu’avec des entrepreneurs disposant des mêmes degrés de connexions politiques et de confiance de la part des politiciens et membres du CA.

De plus, afin d’éviter que d’autres entreprises puissent casser l’emprise des consultants politiquement connectés – en proposant des prix plus bas ou des qualifications plus élevées –, le cercle des entreprises éligibles pour soumissionner est resté volontairement restreint. Pour de nombreux appels d’offres, seuls des concepteurs présélectionnés étaient invités à soumissionner – au prétexte de faciliter la tâche de l’administration et de garantir un certain niveau de qualification. Si la pratique est courante dans d’autres pays, le CA a abusé de ce pouvoir discrétionnaire, permettant aux politiciens et à leurs « protégés » de conserver une influence sur les paramètres cruciaux du projet.

Compensation garantie

Cependant, les membres de la classe politique libanaise ont beau être des acteurs puissants, le maintien de tels réseaux pendant des décennies dans un domaine aussi complexe que la passation de marchés d’infrastructures est loin d’être aisé. Mais dans un pays marqué par une agitation politique omniprésente, tous les acteurs impliqués ont paradoxalement pu faire un calcul à long terme : pendant la période couverte par notre enquête, l’ensemble des chefs de parti ou leurs héritiers sont restés en place sans interruption, tandis que le CA du CDR est resté pratiquement inchangé depuis 2006 jusqu’à très récemment. En 2009, le gouvernement de Fouad Siniora a ainsi publié un décret qui prolongeait le mandat des membres du CA de l’époque « jusqu’à la nomination d’un nouveau conseil », invalidant ainsi le décret d’établissement du CDR qui stipulait que les membres du CA devaient être remplacés tous les cinq ans. Autrement dit, la classe politique a tiré parti de son contrôle sur l’institution pour s’assurer que les risques et les concessions pris par une entreprise seraient bien « compensés » ultérieurement.

Les coûts engendrés par ce système ont été importants. Nous estimons que les contrats ont été surévalués d’environ 34 % chaque fois qu’un couple concepteur-entrepreneur connecté était à l’œuvre. Sur la période de 2008 à 2018, cela a entraîné des surcoûts de contrats d’environ 160 millions de dollars – et cela n’inclut même pas les dépassements de dépenses qui échappent aux estimations.

Alors que les infrastructures délabrées du Liban doivent être remises en état pour sortir le pays des crises et que le CDR devra jouer un rôle central à cet égard, il est essentiel de casser les ressorts de la captation. Cela suppose d’abord d’augmenter « les coûts de recherche » évoqués plus haut en ouvrant davantage la concurrence : le nouveau code des marchés publics adopté en juillet 2021 constitue une avancée cruciale à cet égard, car il limite ou abroge l’utilisation de listes de soumissionnaires éligibles – comme l’avait déjà imposé avec succès la Banque mondiale pour les projets qu’elle supervise – et répartit la gestion des projets de marchés publics entre un plus grand nombre d’institutions. Ensuite, le conseil d’administration du CDR doit être augmenté à sa taille initiale (de 7 à 12 membres contre 5 actuellement) et revenir à un système de rotation de ses membres, car aucun groupe de technocrates, aussi bien intentionné et qualifié soit-il, ne peut résister trop longtemps à l’emprise politique.

Ce texte est une traduction synthétique d’un article publié en anglais sur le site de TPI.

Mounir MAHMALAT, économiste et chercheur principal au laboratoire d’idées libanais The Policy Initiative (TPI).

Wassim MAKTABI, économiste et chercheur à la TPI.

Depuis la fin de la guerre civile, les marchés publics relatifs aux infrastructures constituent un exemple frappant des modalités de partage du pouvoir – et du gâteau – au sein de la classe politique. En l’absence de ressources naturelles extractibles, ses membres ont trouvé dans les contrats pour la construction de ponts, d’autoroutes et de stations d’épuration (inutilisées) une...

commentaires (2)

DEVINEZ POURQUOI SLEIMAN FRANGIE 2 EXIGE ET CHOISIE LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS À CHAQUE FOIS . POURQUOI ? JE N’AI JAMAIS OUBLIÉ LE TEMPS DU SLEIMAN 1er ET SES MARADA. QUE DIEU PROTÈGE CE QUI RESTE DE CE PAYS SI SLEIMAN 2 DEVIENT PRÉSIDENT. QUEL CAUCHEMAR.

Gebran Eid

11 h 56, le 04 septembre 2022

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Commentaires (2)

  • DEVINEZ POURQUOI SLEIMAN FRANGIE 2 EXIGE ET CHOISIE LE MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS À CHAQUE FOIS . POURQUOI ? JE N’AI JAMAIS OUBLIÉ LE TEMPS DU SLEIMAN 1er ET SES MARADA. QUE DIEU PROTÈGE CE QUI RESTE DE CE PAYS SI SLEIMAN 2 DEVIENT PRÉSIDENT. QUEL CAUCHEMAR.

    Gebran Eid

    11 h 56, le 04 septembre 2022

  • Des charançons qui ont détruit le pays, puissent-ils être maudit et que leur race s'éteigne.

    Christine KHALIL

    10 h 40, le 04 septembre 2022

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