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Idées - Point de vue

Contrôler les prix du pétrole en temps de guerre

Contrôler les prix du pétrole en temps de guerre

Photo d’illustration : archives AFP

L’inflation qui frappe le monde et qui entame un mouvement de reflux est expliquée par le mécanisme de l’offre et de la demande qui fixe les prix. À la sortie de la pandémie du Covid et à la reprise de la demande, les stocks étaient bas, la production connaissait une pénurie de microprocesseurs, les transports étaient désorganisés et engorgés ; les confinements kafkaïens de dizaines de millions de travailleurs en Chine et la pénurie de main-d’œuvre dans beaucoup de pays se sont traduits par une hausse générale des prix. Le phénomène ne s’est naturellement pas traduit de la même manière selon les produits – par exemple, les prix mondiaux des denrées alimentaires n’ont cessé de reculer depuis le pic de mars dernier, selon la FAO – ou les pays : en juillet dernier, l’inflation s’élevait à 8,5 % aux États-Unis (mais elle marque un ralentissement), à 8,9 % dans la zone euro et à 2,5 % en Chine. Nous en sommes donc à observer des fluctuations que le système libéral a confiées au marché comme étant le meilleur régulateur du juste prix. Ce mécanisme, qui a montré son efficience pour la croissance en termes absolus (il ne corrige pas les inégalités dans la répartition des richesses, cela relevant de la politique fiscale), ne peut fonctionner efficacement que si les fondements libéraux d’une économie dynamique sont respectés par l’ensemble des agents économiques.

Des libertés prises à l’égard de ces inductions et fondements sont aujourd’hui en train de fausser le jeu, et cela est particulièrement perceptible s’agissant des prix du pétrole.

À la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et à son commencement, les marchés craignant une pénurie de pétrole, l’ont anticipée et les prix ont augmenté, ce qui a fouetté l’inflation dans le monde entier. Or il n’y a pas eu de pénurie, le pétrole russe continuant à être livré. Et même quand l’Europe, les États-Unis et d’autres pays ont décidé à des degrés divers de renoncer au pétrole russe, celui-ci à trouvé d’autres débouchés. Mais en même temps, cela a libéré d’autres sources d’approvisionnement, c’est-à-dire celles des producteurs qui ont perdu des parts de marché au profit de la Russie et ont redirigé une partie de leurs exportations vers les États-Unis et l’Europe. Cela ne va pas sans perturbations et a provoqué une hausse des prix, mais pas celle que l’on a connue. De leur côté, les grands pétroliers du monde ont tous annoncé une hausse de leurs bénéfices sans que leur production ou la demande aient augmenté.

En quoi tout cela contredit le libéralisme, si les acheteurs sont disposés à payer un prix même s’il ne reflète pas une rareté du produit?

Depuis la première révolution industrielle et l’avènement du libéralisme économique, les libertés de production et de commerce se sont imposées comme les principaux moteurs de la prospérité économique, devant la croissance démographique ou la confiscation des biens d’autrui par la force, par exemple. Certes, de nos jours, nous assistons encore à des prédations ou à des guerres où l’on détruit un pays à l’avantage des industries d’armement ou pour le reconstruire en lui hypothéquant ses ressources pour se faire rembourser – les interventions américaines en Irak et russo-iraniennes en Syrie en constituent des exemples récents –, mais cela reste infime par rapport aux bénéfices du commerce en temps de paix.

Or profiter de la guerre en Ukraine pour augmenter les prix du pétrole met en danger l’économie de la coalition qui soutient militairement l’Ukraine et peut entraîner des conséquences désastreuses sur la paix mondiale. Ces pays, à qui l’on peut reprocher d’avoir provoqué inutilement la Russie les décennies précédentes ou, au contraire, de l’avoir absoute de son annexion de la Crimée, pourraient renoncer à soutenir Kiev si leur économie venait à péricliter. Cela ne pourrait qu’aiguiser l’appétit de Vladimir Poutine et d’autres dirigeants expansionnistes à travers le monde. Ce sera un retour à la prédation et c’en sera fini d’un des principaux fondements du libéralisme.

La perte de patience de l’opinion publique des États qui soutiennent l’effort de guerre de l’Ukraine se manifeste déjà. Depuis le début de la crise, les médias occidentaux interrogent leurs citoyens sur les effets de la hausse des prix des carburants. La plainte est généralisée. Certes, certains plus fragiles que d’autres sont rudement malmenés, mais quand cela tourne à l’obsession nationale et que les médias se focalisent sur cette litanie, cela devient inquiétant. D’autant que l’on peut douter de la volonté de la majorité des consommateurs d’accepter le recul de leur pouvoir d’achat si tel est le prix à payer pour sauver une démocratie et un peuple aux portes de l’Europe de l’invasion russe. Aux États-Unis, les élections de mi-mandat peuvent se jouer sur le prix du gallon d’essence et renverser la majorité au Congrès au profit des républicains.

Face à ce danger, ce ne serait pas trahir le libéralisme que d’exiger des grandes compagnies pétrolières occidentales de renoncer momentanément à cette envolée de leurs bénéfices. Si l’Occident n’a pas de levier suffisamment puissant pour faire plier les pétroliers du Moyen-Orient et d’ailleurs, il peut attendre des siens une attitude responsable.

Dans La richesse des nations, Adam Smith, un des pères du libéralisme et de la liberté du marché, écrivait que les monopoles pouvaient « tenir le prix de marché au-dessus du prix naturel » fixé par le marché et la libre concurrence. Et il ajoute : « Des renchérissements de ce genre, dans le prix de marché, dureront aussi longtemps que les règlements de police qui y ont donné lieu. » Entendre par police les règlements des pouvoirs publics.

L’initiative prise hier par les dirigeants du G7 qui ont invité une « large coalition » de pays à plafonner « urgemment » le prix du pétrole russe constitue un signal majeur, qui pourrait être suivi par d’autres mesures particulières à chaque pays, dans le respect de la théorie libérale. Cela confirme en tout cas que la réussite de cette entreprise est avant tout une question de volonté politique.

Écrivain

L’inflation qui frappe le monde et qui entame un mouvement de reflux est expliquée par le mécanisme de l’offre et de la demande qui fixe les prix. À la sortie de la pandémie du Covid et à la reprise de la demande, les stocks étaient bas, la production connaissait une pénurie de microprocesseurs, les transports étaient désorganisés et engorgés ; les confinements kafkaïens de...

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