Dans une région aussi compliquée et dans une période aussi troublée, il y a rarement des coïncidences. Les responsables libanais, qui attendaient la réponse israélienne à leur position unifiée au sujet de la délimitation de la frontières maritime, ont donc suivi attentivement le déroulement de l’agression militaire israélienne contre Gaza pour mesurer son impact éventuel sur le contentieux maritime entre le Liban et Israël.
Selon des sources officielles, la réunion élargie qui s’était tenue il y a quelques jours à Baabda entre Amos Hochstein et les trois pôles du pouvoir, en présence du vice-président de la Chambre et du directeur de la Sûreté générale, s’était terminée sur la promesse de l’émissaire américain de revenir le plus tôt possible avec la réponse israélienne. En gros, le Liban avait accepté le tracé de la ligne 23, avec en plus le champ de Cana et la nécessité de donner l’autorisation aux compagnies étrangères d’entamer les travaux dans les blocs libanais. L’émissaire américain avait essayé de gagner du temps en disant à la partie libanaise qu’il trouvait sa position acceptable, mais qu’il serait préférable d’attendre, avant de mettre au point l’accord, le déroulement des élections israéliennes en novembre. Selon lui, au cours de la période préélectorale, les Israéliens ne peuvent pas faire de concessions et sont obligés de durcir le ton pour des raisons liées à leur situation interne. Or, toujours selon les mêmes sources, les responsables libanais ont répondu que le Liban ne peut pas attendre. Le Premier ministre sortant Nagib Mikati aurait ainsi proposé comme échéance au plus tard jusqu’au début du mois de septembre, le président de la Chambre Nabih Berry aurait parlé de la fin d’août, alors que le général Abbas Ibrahim, lui, aurait réduit le délai à une période de deux semaines. L’émissaire américain aurait alors demandé si les responsables libanais pouvaient donner des garanties sur le fait que le Hezbollah n’attaquera pas les installations de Karish s’il considère que le délai a expiré, mais il n’aurait pas obtenu une réponse claire à ce sujet.
Quelques jours plus tard, l’attaque contre Gaza a commencé. Elle visait essentiellement les responsables et les positions du Jihad islamique, l’organisation palestinienne considérée comme l’équivalent du Hezbollah parce qu’elle est directement appuyée par l’Iran. La tactique israélienne semblait, selon les milieux du parti de Hassan Nasrallah, claire : d’abord, approfondir le fossé entre le Jihad islamique et le Hamas qui bénéficie de l’appui de la Turquie et du Qatar, même si ce mouvement islamiste a récemment, et grâce aux efforts du Hezbollah, rétabli ses relations avec l’Iran. Ensuite, il s’agit de frapper un coup fort contre le Jihad islamique pour l’affaiblir, voire l’éliminer de la scène palestinienne, qui sera alors entre les mains du Hamas et du Fateh. En même temps, un message indirect était adressé au Hezbollah et à l’Iran : en affaiblissant le Jihad islamique, les Israéliens portent un coup à ce que Nasrallah appelle « l’ensemble de l’axe », ce qui devrait forcément rejaillir sur le Hezbollah et, par conséquent, le rendre moins influent dans le dossier de la frontière maritime et réduire son poids sur la scène libanaise en général.
Au Liban, tout le monde attendait donc l’issue de la confrontation à Gaza. D’autant que les médias israéliens ont affirmé que l’émissaire américain était encore en Israël. Ce qui laisse supposer qu’il pourrait revenir au Liban rapidement pour transmettre la réponse israélienne. Selon des sources proches du Hezbollah, l’agression contre Gaza n’aurait pas été à la hauteur des attentes israéliennes. D’abord, le Jihad islamique n’a été ni éliminé ni même affaibli. Au contraire, il a réussi à s’imposer sur la scène palestinienne en envoyant à lui seul des centaines de missiles sur les colonies, et sur les localités et villes israéliennes. D’ailleurs, c’est avec cette organisation que se sont déroulées les négociations indirectes, menées via l’Égypte, pour aboutir à un cessez-le feu. De plus, s’il est vrai que le Hamas n’a pas participé à ces hostilités qui ont duré trois jours, le mouvement a quand même salué publiquement le Jihad islamique tout en se déclarant à ses côtés. Le Jihad islamique, par la voix de son chef Ziad el-Nakhalé, a confirmé la coordination avec le Hamas, et l’entente (même si, pour certains, elle est de façade) entre les deux formations a été préservée.
Pour ces raisons, le Hezbollah ne s’est donc senti nullement menacé, et il n’a pas eu besoin de s’en mêler pour voler au secours du Jihad islamique. Par conséquent, si un message indirect lui était destiné par les Israéliens pour lui rappeler leur force et leur détermination à frapper les alliés de l’Iran, celui-ci n’a pas atteint son objectif, selon les sources proches du Hezbollah. Ces dernières estiment ainsi que les Israéliens sortent affaiblis de cette confrontation de trois jours avec le Jihad islamique, et ils ne devraient donc pas l’utiliser dans leurs pourparlers indirects avec le Liban. Selon les mêmes sources, les Israéliens n’auraient d’autre choix que celui d’accepter les conditions libanaises dans les délais fixés par le Liban. Sinon, comme l’a déclaré récemment le président de la Chambre, « il vaut mieux aller à Naqoura (pour reprendre les négociations techniques indirectes une fois que l’accord de principe sera réalisé), pour ne pas aller ailleurs ». Et il entendait par là que l’autre alternative, c’est la guerre. Toujours selon les sources proches du Hezbollah, après la dernière confrontation à Gaza, cette éventualité serait écartée.
Nasrallah vante la « résistance en Palestine et au Liban »
Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah s’est réjoui dimanche de la trêve précaire actée entre le Jihad islamique palestinien et Israël suite à une médiation égyptienne, après trois jours d’hostilités meurtrières ayant coûté la vie à 44 Palestiniens dans la bande de Gaza. Le leader chiite a dans ce contexte vanté la « résilience et la stabilité de la résistance en Palestine, au Liban et partout ailleurs », affirmant qu’elle est capable de « défendre son peuple ». Le Hezbollah, pro-iranien tout comme le Jihad islamique, se définit lui-même comme étant la résistance à Israël au Liban et inclut dans ce terme les autres forces du même axe dans la région.
« Dans sa volonté de résilience et de stabilité dans la confrontation, la résistance en Palestine, au Liban et partout ailleurs peut défendre son peuple et son existence en toute dignité », a affirmé le chef du parti chiite dans un discours prononcé à l’occasion du dixième jour des commémorations de Achoura. « Elle peut rétablir les équations et les bases de la dissuasion, et peut imposer ses conditions à l’ennemi », a-t-il ajouté. « En tous les cas, cette bataille est une parmi d’autres, et ce n’est pas la fin du conflit avec cet ennemi », a également lancé Hassan Nasrallah, sans pour autant évoquer de riposte concrète. Une position qui rejoint celle de son précédent discours, où le chef du Hezbollah s’était déjà tenu à l’écart de la confrontation militaire, s’abstenant d’évoquer une quelconque riposte de son parti en soutien au Jihad islamique. « Le peuple palestinien et la résistance palestinienne, ainsi que le Jihad islamique ont le droit de répondre à cette agression par tous les moyens, au moment et au lieu qu’ils jugent convenables », avait-il simplement affirmé. « Ne sous-estimez pas le Liban, comme avec Gaza », avait en revanche prévenu Hassan Nasrallah.
commentaires (11)
Je ne pensais pas lire la Pravda ce matin …
Prinzatour
10 h 57, le 10 août 2022