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Lifestyle - Archéologie

A Enfé, une campagne archéologique livre de remarquables découvertes

Ont été notamment mis au jour des pressoirs à huile des époques byzantine et médiévale, et des fortifications de l’époque des croisades.

A Enfé, une campagne archéologique livre de remarquables découvertes

Le pressoir à huile byzantin. Photo Mission archéologique d’Enfé

Après deux ans d’arrêt, le son des pioches a de nouveau résonné sur l’imposant cap rocheux d’Enfé. Le Projet Enfeh initié et dirigé dès 2010 par Nadine Panayot, professeure associée, actuellement conservatrice du musée archéologique de l’Université américaine de Beyrouth, a pris cette année la forme d’une mission conjointe entre ce musée et le département d’archéologie et de muséologie de l’Université de Balamand. La campagne de fouilles s’est déroulée durant le mois de juillet avec le soutien de la municipalité d’Enfé, sous la houlette de la Direction générale des antiquités et grâce à l’énergie déployée par toute une équipe d’archéologues et d’ouvriers. Aussi courts furent-ils, les travaux n’en ont pas moins livré de remarquables vestiges, éclairant une fois de plus le riche passé de cette belle ville côtière.

Le pan de la muraille croisée. Photo Mission archéologique d’Enfé

Deux huileries, deux époques

Face à la mer, sur le flanc nord du site, deux pressoirs à huile ont fini d’être dégagés et peuvent enfin se laisser admirer. Leur présence n’est pas surprenante dans cette région où l’olivier a toujours été roi. Le pressoir le plus éloigné, entièrement taillé dans la roche-mère, date probablement de l’époque byzantine, soit environ des Ve et VIe siècles. Il comprend quasiment toutes les pièces maîtresses nécessaires à la production d’huile à partir d’olives : au centre, la cuve de broyage circulaire dans laquelle une meule, aujourd’hui disparue, séparait la pulpe gorgée d’huile du noyau et, sur les côtés, deux aires de pressurage où le produit recueilli était transformé en huile. Ces aires comportent chacune une maie ou dalle circulaire sur laquelle on empilait les paniers remplis de pâte d’olive, une niche taillée dans la paroi sud au sein de laquelle on ancrait l’extrémité fixe d’un levier en bois, l’autre extrémité étant abaissée sur les paniers à l’aide d’un contrepoids dont demeure un exemple et, enfin, un récipient où s’écoulait l’huile en provenance de la maie, une fois le levier actionné. Complétant le dispositif, un second récipient était réservé au raffinage ou au stockage des jarres d’huile.

L’immense tas de boulets de pierre. Photo Mission archéologique d’Enfé

Une vaste citerne, située derrière la cuve, devait contenir le volume d’eau nécessaire lors de chacune des étapes du processus de fabrication de l’huile. Le second pressoir se trouve dans une pièce délimitée par deux murailles de l’époque franque, entre les deuxième et troisième fossés qui barrent et défendaient le site à l’époque des croisades. Ici aussi on retrouve, au centre, l’aire de broyage matérialisée par un broyeur et flanquée par deux presses. À la différence près que dans cette huilerie le mécanisme faisant actionner chacun des leviers consistait en une vis en bois dont subsistent les deux pierres d’ancrage cylindriques respectives. Les maies ont disparu, mais l’on peut encore observer les traces de bassins où l’huile était recueillie.

L’escalier menant à la poterne. Photo Mission archéologique d’Enfé

Les puissantes murailles de la forteresse et un mystérieux escalier…

De la puissante enceinte de la forteresse croisée des XIIe et XIIIe siècles qui occupait le site, on ne connaissait jusqu’à présent que son empreinte en négatif qui court le long du bord de la péninsule ainsi que quelques maçonneries. La fouille récente a révélé un impressionnant nouveau pan de la fortification, en bordure est du troisième fossé. Il s’agit d’une imposante muraille conservée sur une élévation de plus de trois mètres et sur une longueur de vingt mètres. Dans une structure adjacente, un passage doté d’une entrée est percé dans un mur épais. Il mène à un escalier voûté qui se perd dans les profondeurs, complètement obstrué par des couches de terre. Il s’est vite avéré que cet escalier constitué de trois volées d’une quarantaine de marches ne mène pas à une salle au trésor (comme beaucoup l’ont rêvé), mais au fond du second fossé, à travers une porte percée dans le saillant d’un mur monumental. Cette discrète poterne, en cours de dégagement, est la première entrée complète de la forteresse ; elle doit sa conservation à son enfouissement sous des tonnes de décombres.

L’escalier et les boulets gisant sur les marches. Photo Mission archéologique d’Enfé

…démolis par une pluie de boulets de pierre

Au moment de sa découverte, la voûte du haut de l’escalier était complètement ruinée. Quelle ne fut la surprise des fouilleurs d’en découvrir le responsable, gisant littéralement sous leurs pieds : un lot d’une douzaine de sphères en pierre provenant des machines de siège les plus puissantes de l’époque, le célèbre trébuchet, ou manjaniq en arabe.

D’autres boulets de calibres divers semblent en outre avoir également provoqué l’écroulement des parties hautes de la muraille voisine. Le nombre considérable de ces projectiles, environ deux cents, laisse supposer que la forteresse avait subi en cet endroit précis un bombardement acharné. Si l’on se réfère aux sources littéraires des croisades, celles-ci relatent en effet que la place forte d’Enfé avait fait l’objet de deux sièges importants : en 1205, par Bohémond IV, comte de Tripoli, et une seconde fois en 1276-1278, par les templiers. Il se peut aussi que ce bombardement ait eu lieu en 1289 lorsque les croisés cédèrent la place aux mamelouks. Ces derniers avaient justement employé dix-neuf trébuchets pour réussir à s’emparer de la ville de Tripoli. Auraient-ils acheminé quelques-unes de ces machines pour lancer le dernier assaut contre Enfé ?

L’étude approfondie de ces différents ensembles architecturaux ainsi que l’examen du matériel qui les accompagnait permettra bientôt de lever un peu plus le voile sur de nouveaux chapitres de l’histoire du site. Une histoire qui se révèle progressivement et qui n’en finit pas de surprendre, pour le plus grand bonheur des archéologues et de tous ceux qui s’intéressent à cet inestimable patrimoine.

Affaire à suivre.

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Après deux ans d’arrêt, le son des pioches a de nouveau résonné sur l’imposant cap rocheux d’Enfé. Le Projet Enfeh initié et dirigé dès 2010 par Nadine Panayot, professeure associée, actuellement conservatrice du musée archéologique de l’Université américaine de Beyrouth, a pris cette année la forme d’une mission conjointe entre ce musée et le département...

commentaires (7)

Great article Patricia and Kudos to the archeologists. My 2 cents: This discovery is more evidence of a 1,000 year war between the East and the West that endures to this day. A sad confirmation that history repeats itself. Still no winner in sight. When will we learn of past mistakes? 19 trebuchets have been replaced with organs of Stalin…..same “S@@t” different millenium.

Christian Tabet

17 h 19, le 09 août 2022

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Commentaires (7)

  • Great article Patricia and Kudos to the archeologists. My 2 cents: This discovery is more evidence of a 1,000 year war between the East and the West that endures to this day. A sad confirmation that history repeats itself. Still no winner in sight. When will we learn of past mistakes? 19 trebuchets have been replaced with organs of Stalin…..same “S@@t” different millenium.

    Christian Tabet

    17 h 19, le 09 août 2022

  • Le Liban avec sa richesse historique restera unique .

    Antoine Sabbagha

    17 h 10, le 09 août 2022

  • Bel article! Précis et bien documenté

    Emmanuel Durand

    14 h 14, le 09 août 2022

  • Préservons ce dernier bout de riche littoral des griffes et crocs des prédateurs biens connus chez nous.

    Christine KHALIL

    09 h 28, le 09 août 2022

  • Félicitations, chère Patricia, pour ce travail scientifique bien médié. Les résultats sont d'un grand intérêt et bouleversent complètement notre connaissance de ce site. Michel ALMAQDISSI et Eva Eshak

    Eva Eshak

    08 h 56, le 09 août 2022

  • WOW.....grandiose.

    Marie Claude

    06 h 59, le 09 août 2022

  • Un trésor de grande valeur culturel, historique, et touristique. Bravo

    Sarkis Dina

    00 h 40, le 09 août 2022

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