Critiques littéraires

Les parents terribles

Les parents terribles

© Jean-Baptiste Mondino

Le Livre des sœurs d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 2022, 194 p.

Amélie Nothomb explore les relations familiales avec une intensité rarement atteinte. Après le remarquable Premier sang, son roman de la saison dernière, qui lui valut un prix Renaudot parfaitement mérité, Amélie Nothomb ne pouvait poursuivre tout de suite dans la même direction, à savoir sa veine autobiographique (pour faire simple), même si c’est ce que nombre de ses lecteurs préfèrent. Non, la dame au chapeau aime, par-dessus tout, surprendre de livre en livre, nous amener là où on ne l’attendrait pas, même si, comme pour presque tous les écrivains, son projet est toujours le même : explorer, par tous les moyens de l’écriture, les tréfonds de la psychologie humaine, y compris les plus sombres. Pour cela, elle a souvent recours à une parabole dont elle livre elle-même la clé. Ici, une phrase, la seule qui se trouve sur la quatrième de couverture du Livre des sœurs et qui dit : « Les mots ont le pouvoir qu’on leur donne. » En effet, c’est parce que Nora, la mère indigne, qui finira seule, dans la rancœur, la méchanceté, le désespoir, affirme un jour, à propos de sa fille aînée, Tristane, pourtant un être d’une grandeur d’âme exceptionnelle : « C’est une petite fille terne », lui causant ainsi un de ces traumatismes d’enfance dont on ne se remet jamais, que le destin de toute la famille va se façonner, et le roman pouvoir ainsi exister.

Nous sommes en 1970, à Maubeuge, nord de la France, dans un milieu modeste. Florent, 30 ans, chauffeur pour l’armée, rencontre par hasard Nora, 25 ans, comptable dans un garage. Le coup de foudre est instantané, absolu et durera quarante ans, jusqu’à ce que le mari se tue dans un accident de voiture. Nora, dévastée, ne tardera pas à le suivre. Mais cet amour hors-norme fut également exclusif. Le reste des êtres en a été exclu, y compris la propre sœur de Nora, Bobette, une paumée sympathique, un « cas social », qui élève seule ses quatre enfants, dont trois garçons abrutis qui finiront militants du Front national (son nom de l’époque). La fille, Cosette, elle, s’en tirera un peu mieux, sauvée un temps par la musique : elle sera batteur du groupe de hard-rock Les Pneus, formé par ses cousines, jusqu’à ce que le destin la frappe.

Les cousines, c’est Tristane, donc, née en 1973, et sa cadette de cinq ans, Lætitia. « C’est ta sœur, je l’ai faite pour toi », dira Nora, avec une rare cruauté. Entre elles, dès le début, c’est l’amour fou, la passion fusionnelle, le dévouement de l’une à l’autre. Autant Tristane est réservée, d’une sagesse incroyable par peur de déranger, autant Lætitia est vive, exubérante, d’un caractère affirmé : la rockeuse, l’âme des Pneus, qui deviendra un groupe pour happy few, c’est elle.

Ce n’est pas exactement que Florent et Nora n’aiment pas leurs filles, mais ils ont vite faire comprendre à Tristane qu’il ne fallait pas perturber leur bonheur, jamais. Brillante, voire surdouée, elle s’est donc élevée toute seule, a appris à parler, lire et écrire par elle-même, s’est découvert une passion pour la littérature et a transmis tout ça à Lætitia. Le roman va les suivre au long de leurs existences jusqu’à leur maturité, jusqu’à ce qu’elles se stabilisent professionnellement et sentimentalement (avec les garçons, jusqu’à Marin pour Lætitia, et Célestin pour Tristane, ça n’a pas été simple), et que la disparition de leurs géniteurs, un bête, une méchante, leur permette, enfin, de ne plus étouffer sous le poids de la mauvaise conscience pour l’aînée, de la colère pour la cadette.

Quoique raconté sans pathos, ce Livre des sœurs apparaît fort sombre, même si on peut considérer que la fin est plutôt positive pour les deux héroïnes. Les Pneus sont increvables.

Le Livre des sœurs d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 2022, 194 p.Amélie Nothomb explore les relations familiales avec une intensité rarement atteinte. Après le remarquable Premier sang, son roman de la saison dernière, qui lui valut un prix Renaudot parfaitement mérité, Amélie Nothomb ne pouvait poursuivre tout de suite dans la même direction, à savoir sa veine autobiographique (pour...

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