Au Liban depuis lundi soir pour une série d’entretiens avec une partie des responsables libanais sur le dossier de l’accord en gestation avec le Fonds monétaire international (FMI), l’ambassadeur français chargé de la coordination du soutien international au Liban, Pierre Duquesne, a livré ses impressions à l’occasion d’un échange avec des journalistes à la Résidence des Pins jeudi soir, veille de son départ de Beyrouth.
Affecté au suivi du dossier libanais depuis fin 2017, et à l’origine de la conférence CEDRE d’avril 2018 dont les promesses de prêts et dons n’ont pas été concrétisées faute – déjà à l’époque – de respect des engagements de réformes pris côté libanais, le diplomate a souligné que la question des responsabilités et de la répartition des pertes n’était pas le seul chantier qui attendait le pays. « Le but de cet accord avec le FMI ne se résume pas à apurer les pertes du secteur bancaire. Le but est que le Liban se relève et il faut pour cela remplacer le modèle qui l’a conduit à cette crise par un autre qui permette d’exploiter son potentiel. Ce pays possède des ressources, et il n’est pas perdu », a-t-il notamment déclaré.
Si Pierre Duquesne reconnaît qu’il est « plus optimiste » que lors de son dernier passage en décembre dernier, c’est surtout parce que « la gravité de la crise a encouragé une certaine convergence de vue ». Tel un clin d’œil au titre du rapport sur le Liban de la Banque mondiale publié en janvier dernier, « Le grand déni », le diplomate a estimé que les dirigeants libanais ne sont plus dans la dénégation et que « la majorité des banques reconnaît aujourd’hui que la crise bancaire est absolue ». Il a également relevé certaines avancées, avec en premier lieu l’accord préliminaire avec le FMI annoncé le 7 avril dernier, le progrès sur les audits de la BDL ou encore la mise en place progressive de la réforme des marchés publics (l’entre en vigueur est programmée le 29 juillet).
Intérêt « limité » du débat sur les pertes
Pierre Duquesne a néanmoins regretté que « la question des pertes prenne beaucoup de place dans le débat public alors que l’intérêt de s’attarder sur ce volet est « limité ». « D’ailleurs, si (pour ceux qui ont bloqué les réformes ces dernières années, NDLR) la question des pertes était aussi essentielle, il aurait alors mieux valu (pour eux) qu’elle ait commencé à être traitée il y a deux ans, parce que la situation est bien pire aujourd’hui », a encore martelé le diplomate. Avant d’ajouter : « Cela doit être compris par les dirigeants de ce pays, qu’ils soient politiques ou économiques (…) Il faut aussi informer les déposants qu’ils ne récupéreront sans doute pas tout, tout de suite. (Enfin), le secteur bancaire n’est pas en crise de liquidités mais de solvabilité. L’idée de la résolution bancaire est de faire en sorte que les banques puissent recommencer à financer l’économie. Mais elles ne pourront plus prêter à l’État ni à la BDL, ça c’est fini. »
En crise depuis 2019, le Liban a fait défaut sur sa dette en devises en mars 2020 et sollicité le FMI pour obtenir une aide. Un premier round de discussions a échoué en juillet de la même année sous le gouvernement de Hassane Diab, faute de consensus libanais sur les pertes et la façon de les répartir. Les discussions ont été relancées vers l’automne 2021 par le gouvernement de Nagib Mikati et ont débouché sur la conclusion d’un accord préliminaire (Staff-Level Agreement) juste avant les législatives du 15 mai dernier, posant les bases d’un programme complet et listant les chantiers de réformes devant être préalablement entamés par les autorités libanaises : loi de contrôle des capitaux, loi aménageant le secret bancaire, loi de résolution bancaire, adoption d’une stratégie de restructuration de la dette, budget 2022, plan de redressement, audit des actifs étrangers de la BDL, audit des 14 plus grandes banques du pays par un cabinet international, mise en place d’un régime de taux de change unifié. Pierre Duquesne rappelle qu’il ne s’agit là que du début et qu’un accord sur un programme complet engagera le Liban à mener d’autres réformes articulées sur 4 ans, avec un système d’évaluation trimestrielle des progrès par le FMI, au moins sur la première année et demi.
Depuis l’époque de CEDRE, Pierre Duquesne, qui est aussi ambassadeur délégué interministériel à la Méditerranée, a multiplié les déplacements au Liban pour faire passer les mêmes messages à une classe politique et bancaire tentant de faire perdurer un statu quo qui s’est révélé destructeur pour l’économie comme en témoigne les indicateurs du pays. Dernier chiffre en date, le taux d’inflation en glissement annuel pour le mois de juin s’est élevé à 210,08 %, selon le rapport de l’Administration centrale de la statistique. Un taux qui affiche systématiquement une valeur à trois chiffres depuis juillet 2020.
Le FMI est « inévitable »
Résultat : le pouvoir d’achat des Libanais s’est considérablement réduit depuis le début de la crise, attisée par les restrictions bancaires illégales imposées par le secteur sur les comptes en devises des déposants dès la fin de l’été 2019. Ces restrictions se sont depuis étendues aux comptes en livres libanaises. La monnaie nationale a, elle, perdu près de 95 % de sa valeur depuis lors, s’échangeant hier autour de 29 500 livres pour un dollar sur le marché alors que sa parité officielle avec le billet vert est toujours évaluée à 1 507,5 livres par la BDL, et que d’autres taux fixes dollar/livre ont été imposés depuis avril 2020, permettant ainsi aux banques de liquider une majorité de comptes en devises. Enfin, un autre indicateur évident est le PIB réel du Liban (en retirant l’effet de l’inflation) qui, selon la dernière mise à jour annuelle de la BM, a reculé de 10,5 % en 2021, contre -21,4 % en 2020. Dans son dernier rapport sur le Liban de mai dernier, l’institution estimait également que le PIB réel se contractera de 6,5 % en 2022.
« L’accord avec le FMI, ce n’est pas un ajustement pour le plaisir », a assuré Pierre Duquesne, rappelant que le pays subissait un ajustement forcé « dans le désordre » depuis le début de la crise. « Il n’y a actuellement rien de mieux pour permettre un retour de la croissance et de l’emploi dans le pays, et pour freiner l’exode de ses talents. Le FMI d’aujourd’hui n’est pas uniquement austérité et rigueur. Ce n’est plus le FMI de la crise asiatique (fin 1990) ni celui de la crise grecque (fin 2011 à 2018) », a encore exposé l’ambassadeur.
Il a aussi souligné que la conclusion d’un programme complet avec le FMI engagerait le Liban à intégrer un volet dédié à la protection sociale, ainsi qu’un autre consacré à la relance économique qui est très proche dans l’esprit de celui de CEDRE. « Je rappelle que CEDRE avait d’ailleurs été pensé comme le dernier moyen de relancer le pays, déjà en difficulté mais pas encore en phase de crise aiguë, sans avoir recours au FMI. Maintenant le recours au FMI est devenu inévitable », a-t-il constaté. À ce propos, Pierre Duquesne a noté que l’enveloppe de plus de 11 milliards de dollars de prêts et de dons annoncée lors de CEDRE n’avait « pas attendu sur une étagère que le Liban lance les réformes demandées » et qu’une nouvelle enveloppe sera sollicitée en fonction des priorités des bailleurs et de leurs moyens.
Tout le monde a vécu « à crédit »
Interrogé sur la nécessité de mettre les dirigeants libanais face à leurs responsabilités pour avoir entretenu un système défaillant et laissé le pays s’enfoncer dans la crise, le diplomate a estimé que ce débat n’était pas « utile à ce stade ». « Je ne veux pas entrer dans le débat de la responsabilité parce que, dans une certaine mesure, tout le monde en a profité – j’exonère la communauté internationale qui va tout de même aider le Liban. Tout le monde au Liban a vécu à crédit avec un taux de change surévalué et un déficit de la balance courante qui a atteint 20 points du PIB, un taux de change qui a détruit l’emploi et la production locale. Même aujourd’hui, après les ajustements forcés par la crise et l’apparition de certaines industries locales, la part des importations reste extrêmement élevée », a développé le diplomate.
Il s’est également dit surpris que certains débats ne soient pas ouverts malgré leur importance dans le contexte de la crise actuelle, comme celui des politiques publiques en matière d’imposition. « Le ratio de prélèvement obligatoire/PIB du Liban est actuellement à 6 %, c’est un des plus faibles du monde (en 2019, Duquesne avait évoqué dans nos colonnes un taux légèrement supérieur à 11 %, NDLR). Même celui de certains pays qui ne sont pas très bien gérés atteint un ratio de 15 %. Ce qui m’étonne, c’est qu’il n’y a même pas de réel débat sur le choix de politiques fiscales », a encore indiqué Pierre Duquesne. Un phénomène qui est largement dû à la crise de confiance des citoyens vis-à-vis d’institutions qui n’assurent même pas le strict minimum, comme en témoignent l’inefficacité de la justice, l’état de délabrement du secteur de l’électricité, la vétusté du réseau routier, l’absence d’un réel service public de transports en commun ou encore les crises successives des déchets.
Jouant cartes sur table, le diplomate français prévient : « S’il n’y a pas d’accord avec le FMI, la situation continuera de se dégrader et l’aide extérieure sera limitée à l’urgence humanitaire sans passer par les structures de l’État. » Un accord final qui devrait être conclu « dans l’idéal » avant l’élection présidentielle de septembre prochain. Pierre Duquesne prend les devants également face au risque des pirouettes habituelles des responsables libanais en précisant que cet accord peut tout à fait être finalisé « sans gouvernement de pleins pouvoirs (l’exécutif est démissionnaire depuis les élections législatives de mai dernier, NDLR) comme cela a déjà été le cas en Jordanie (2018) ».
Un risque qui semble grand, compte tenu que « dans un jeu à sommes négatives (dans lequel les gains de tous diminuent), tout le monde a intérêt à bloquer le processus de réformes », a expliqué Pierre Duquesne, ajoutant : « Je ne serai pas surpris que certains pensent encore que le maintien du statu quo est possible pour éviter un recours au FMI. »
Un choix devenu « intenable », selon lui, et un chemin qui s’annonce encore long. Si la loi aménageant le secret bancaire, finalisée cette semaine par la commission parlementaire des Finances et du Budget, devrait être votée mardi lors d’une séance plénière du Parlement convoquée jeudi par son président, Nabih Berry, aucun autre projet de loi réclamé par le FMI n’est encore prêt à ce jour.
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L’Europe et l’ONU imposent au Liban 1,5 millions de réfugiés syriens qui volent le travail des libanais, mangent leur pain, consomment leur électricité et leur eau mais refusent d’accueillir sur leur immenses riches territoires plus que quelque centaines de réfugiés. Donneurs de leçons, soit mais en plus HYPOCRITES
Lecteur excédé par la censure
06 h 58, le 24 juillet 2022