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Moyen-Orient - Éclairage

Ankara sous le feu des critiques de Bagdad

Après l’attaque de mercredi imputée à la Turquie contre une station touristique dans le Kurdistan autonome, les officiels irakiens ont annoncé « le rappel du chargé d’affaires irakien à Ankara pour consultations et l’arrêt des procédures d’envoi d’un nouvel ambassadeur en Turquie ».

Ankara sous le feu des critiques de Bagdad

Des personnes en deuil portent le cercueil d’un enfant qui a été tué lors d’une attaque contre une station touristique dans la province de Dohuk, dans le nord de l’Irak, lors d’un enterrement à Hilla, en Irak, le 21 juillet 2022. Ahmed Saed/Reuters

Un jour après le sommet tripartite de Téhéran auquel le président turc a pris part ; quatre jours après le sommet de Djeddah auquel le Premier ministre irakien a participé. Le timing de l’attaque qui a tué au moins neuf civils irakiens et en a blessé 23 autres mercredi dans une station touristique de la région autonome du Kurdistan interpelle, d’autant que tous les regards ou presque sont tournés vers Ankara, accusé par le chef du gouvernement irakien, Moustapha al-Kazimi, d’être derrière l’opération. Mercredi soir, des manifestations de colère ont eu lieu à travers le pays dans plusieurs grandes villes – Kirkouk, Kerbala ou encore Najaf – et se sont poursuivies hier. Les manifestants ont brûlé des drapeaux turcs et certains parmi eux arboraient des portraits d’Erdogan, renvoyé au rang de « terroriste ».

Dans la soirée, le chef du gouvernement irakien a convoqué une réunion d’urgence du Conseil ministériel pour la sécurité nationale, qui a lui-même chargé le ministère des Affaires étrangères de préparer un rapport sur « les attaques répétées de la Turquie contre la souveraineté et la sécurité irakiennes » et de déposer ensuite une plainte officielle auprès du Conseil de sécurité de l’ONU. Bagdad a par ailleurs exigé le retrait des forces armées turques de l’ensemble du territoire irakien et annoncé, selon un communiqué officiel, « le rappel du chargé d’affaires irakien à Ankara pour consultations et l’arrêt des procédures d’envoi d’un nouvel ambassadeur en Turquie ».

PKK

Chaque été, des milliers de touristes irakiens affluent vers la zone autonome du Kurdistan, où les températures sont un peu plus fraîches qu’ailleurs dans le pays. Le district de Zakho, où l’attaque a eu lieu, est une région montagneuse frontalière de la Turquie et prisée l’été par les Irakiens du centre et du sud de l’Irak. Ces dernières années, la saison estivale s’est en effet révélée particulièrement invivable pour les Irakiens, avec des températures très élevées – plus de 50 degrés par moment –, alors que l’Irak traverse une crise du secteur de l’électricité et qu’il est l’un des pays au monde les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Mais si le Kurdistan irakien apparaît – dans une certaine mesure – comme une échappatoire en temps de canicule, la région héberge aussi des bases turques utilisées par Ankara dans l’offensive militaire en cours contre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Du côté de la Turquie, on nie cependant être à l’origine de l’attaque. Dans une déclaration publiée mercredi en fin d’après-midi, elle présente ses condoléances au « peuple irakien ami et frère » et impute – sans le nommer précisément – la violence à une « groupe terroriste ».

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Les officiels de la région autonome du Kurdistan se sont pour l’heure abstenus de blâmer expressément Ankara, même s’ils suggèrent qu’il est impliqué, selon un communiqué du Conseil des ministres dans lequel il condamne « fermement le bombardement de la station (...) par les forces turques qui, malheureusement, a causé la mort et des blessures à un certain nombre de touristes ». En revanche, plusieurs figures-clés du Kurdistan autonome ont préféré rejeter dos à dos la Turquie et le PKK. En coulisses toutefois, le drame place le camp Barzani – qui domine la région – dans l’embarras. À la tête du KDP, il a en effet tissé de très fortes relations avec Ankara, ce qui explique la modération de ses réactions.

Ankara vs Téhéran en Irak

L’attaque de mercredi survient à la suite de la rencontre entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et le guide suprême de la République islamique iranienne Ali Khamenei lors du sommet tripartite qui s’est tenu mardi à Téhéran entre les trois acteurs du processus d’Astana lié à la guerre civile en Syrie : la Russie, l’Iran et la Turquie. Les deux premiers ont, dès les prémices du conflit, soutenu le régime Assad quand la dernière a appuyé une partie des groupes rebelles. Lors de leur entrevue, le président turc a tenté d’obtenir le soutien de l’ultime décideur iranien à une nouvelle incursion en Syrie contre les combattants kurdes du YPG qu’il accuse d’être liés au PKK. Téhéran comme Moscou sont toutefois opposés à une telle opération même si, officiellement, ils jurent comprendre les inquiétudes sécuritaires turques.

Depuis quelques années, Ankara et Téhéran se trouvent à couteaux tirés en Irak, où les milices chiites proches de la République islamique n’hésitent pas à cibler les troupes turques. L’Iran voit d’un mauvais œil le rôle d’Ankara en Irak, en particulier depuis la signature d’un accord trilatéral en 2020 entre la Turquie, Bagdad et le gouvernement régional du Kurdistan pour chasser le PKK de la région du Sinjar. Des inquiétudes renforcées par les initiatives d’Ankara visant à accroître son influence parmi les formations politiques kurdes mais aussi sunnites du pays.

Les groupes affiliés à Téhéran ont par ailleurs multiplié les attaques contre des infrastructures énergétiques dans la région du Kurdistan alors que la Turquie est la seule voie d’exportation du pétrole kurde irakien. Dans le contexte actuel, marqué par une crise politique sans précédent, la Cour suprême fédérale irakienne, dont le président est jugé proche de Téhéran, a aboli en février une loi qui permettait depuis 2007 au gouvernement régional du Kurdistan de vendre son pétrole et son gaz indépendamment de Bagdad. Un moyen, pour certains analystes, de faire pression sur l’alliance qu’avait alors tissée le puissant clerc chiite Moqtada al-Sadr avec le KDP, après le scrutin législatif d’octobre 2021. Le trublion de la vie politique irakienne – partisan d’un nationalisme chiite distant de Téhéran – a rapidement réagi à l’attaque mercredi. « La Turquie devient de plus en plus insolente, pensant que l’Irak ne peut que répliquer avec une faible réponse du ministère des Affaires étrangères », a-t-il tweeté. Il a également appelé à une « escalade », suggérant de réduire la représentation diplomatique avec la Turquie et de fermer les aéroports et les points de passage frontaliers entre les deux pays.

Un jour après le sommet tripartite de Téhéran auquel le président turc a pris part ; quatre jours après le sommet de Djeddah auquel le Premier ministre irakien a participé. Le timing de l’attaque qui a tué au moins neuf civils irakiens et en a blessé 23 autres mercredi dans une station touristique de la région autonome du Kurdistan interpelle, d’autant que tous les regards ou presque...

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