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Moyen-Orient - Éclairage

Kazimi se pose encore comme le candidat du compromis

Pour le Premier ministre irakien, le sommet de Djeddah samedi a été une occasion de réaffirmer le rôle de médiateur régional que souhaite jouer Bagdad.

Kazimi se pose encore comme le candidat du compromis

Le Premier ministre irakien Moustapha Kazimi au sommet de Djeddah en Arabie saoudite, le 16 juillet. Photo Reuters

Sa stratégie à lui, c’est celle de l’équilibrisme. Depuis son arrivée à la tête de l’exécutif irakien en mai 2020 – sur la base d’un pacte tacite entre la République islamique d’Iran et les États-Unis – Moustapha Kazimi s’astreint à un subtil jeu de contorsionniste visant d’une part à approfondir les relations entre Bagdad, Washington et les pays arabes du Golfe ; et de l’autre à ménager Téhéran. C’est dans cet esprit que le Premier ministre irakien a participé au sommet de Djeddah sur la sécurité et le développement samedi dernier, avec des objectifs fixés en amont dans le cadre de plusieurs sorties publiques, visant à balayer les soupçons relatifs à la présence irakienne. Car aux yeux des alliés irakiens de la République islamique, la réunion de samedi leur était par essence hostile. Avant même l’annonce officielle le 13 juillet relative à la participation de Bagdad, les groupes appuyés par Téhéran ont critiqué cet engagement en imputant au sommet un agenda tourné vers la normalisation avec Israël et empreint d’iranophobie. En réponse, le chef du gouvernement irakien a tenu à rassurer ses pourfendeurs au cours d’une conférence de presse tenue à Bagdad avant son départ. « L’Irak n’a pas fait et ne fera pas partie, ni aujourd’hui ni demain, d’aucun axe ou alliance militaire, et l’intérêt national est l’objectif de ces réunions », a -t-il dit. En mai dernier, le Parlement irakien avait approuvé à l’unanimité une loi criminalisant toute forme de « normalisation » avec Israël, alors que des accusations de plus en plus véhémentes – issues des rangs proches de Téhéran – ont ciblé la région du Kurdistan, soupçonnée d’abriter « des centres stratégiques israéliens ».

Dans une tribune publiée le 13 juillet dans le Foreign Policy, Moustapha Kazimi a entre autres défendu un bilan incluant le rééquilibrage des relations de Bagdad avec son voisinage arabe et le rôle de désescalade et de médiation joué par l’Irak entre les puissances rivales de la région, à commencer par Riyad d’un côté et Téhéran de l’autre. Des pourparlers directs entre les deux pays ont en effet débuté à Bagdad en avril 2021 dans le but de réduire les tensions régionales, avec une attention spécifique portée au Yémen où l’Arabie saoudite et la République islamique sont à couteaux tirés. Le dernier cycle de discussions s’est tenu en avril dernier et a été décrit comme « positif » par le ministère iranien des Affaires étrangères. Son porte-parole, Saeed Khatibzadeh, a déclaré fin juin, dans le sillage de la visite de Kazimi en Iran, que, pour l’heure, les deux parties n’ont pratiquement conclu que des accords définitifs sur l’hébergement des pèlerins iraniens se rendant à La Mecque pour le pèlerinage annuel du hajj en juillet. « Il y a encore des cas de désaccord entre l’Iran et l’Arabie saoudite, mais ils devraient être résolus entre les deux pays, ce qui aidera l’ensemble du monde islamique », avait-t-il alors affirmé.

En se rendant à Djeddah, Moustapha Kazimi s’est ainsi trouvé pris dans des dynamiques contradictoires. La sienne, visant à consolider le rôle de l’Irak dans la médiation régionale, et celle de Joe Biden dont la tournée régionale visait entre autres à rapprocher Israël et Riyad.

Tirer son épingle du jeu

Entre le président américain Joe Biden et Moustafa Kazimi, une entrevue a eu lieu avant le sommet de Djeddah. Une occasion pour les deux hommes de se mettre d’accord, selon un communiqué conjoint, sur le renforcement des institutions sécuritaires et militaires en Irak ainsi que sur l’importance de lutter contre la corruption et de soutenir l’économie irakienne, réitérant ainsi les termes du partenariat stratégique entre Washington et Bagdad. Des déclarations qui font écho au discours de Joe Biden samedi devant les dirigeants arabes dans lequel il a promis que les États-Unis ne se détourneraient pas du Moyen-Orient en laissant « un vide que pourraient remplir la Chine, la Russie ou l’Iran », en référence à la politique de désengagement souhaitée par les administrations américaines successives depuis les années Obama (2008-2016).

Pour mémoire

Le cadeau empoisonné de Moqtada Sadr à Téhéran

Le sommet de Djeddah s’est tenu à un moment particulièrement tendu pour l’Irak. Le pays traverse une très grave crise politique depuis la tenue du scrutin législatif d’octobre 2021, à laquelle se conjuguent crises économique et climatique. Sorti grand vainqueur des élections, Moqtada Sadr n’a pas été toutefois en mesure de former un gouvernement, malgré une alliance – aujourd’hui défaite – avec le KDP kurde et la coalition arabe sunnite de la souveraineté menée par Mohammad al-Halboussi. Chantre d’un nationalisme chiite anti-américain et distant de Téhéran, il avait juré de mettre en place un gouvernement de majorité – par opposition à la gouvernance par consensus qui domine la vie politique irakienne depuis l’invasion US de l’Irak et la chute de l’ancien régime – au grand dam de ses adversaires du Cadre de coordination chiite. Face à l’impasse, le leader chiite, connu pour ses volte-face politiques, a appelé ses députés à démissionner, permettant ainsi à ses adversaires de gagner quarante sièges de plus. Beaucoup mais pas encore assez pour pouvoir former un gouvernement. Au cœur, entre autres, de la bataille opposant Sadr au Cadre : l’avenir de Moustapha Kazimi, soutenu de manière plus ou moins avouée par le premier. « La crise entre Sadr et le Cadre de coordination est violente. L’une des illustrations de cette crise est la question de Kazimi comme candidat accepté par Sadr, ce que refuse totalement le Cadre, qui a présenté ses propres candidats », commente l’analyste politique Ihsan al-Shammari. Mais, pour l’heure, le Cadre ne s’est pas mis d’accord sur un nom. Car si les groupes qui le composent sont unis dans leur rejet de Sadr, ils se font aussi concurrence.Dans cette confusion ambiante, Moustapha Kazimi semble tirer son épingle du jeu ne serait-ce que parce que ce cul-de-sac politique lui permet de prolonger son mandat. Le chef de l’exécutif irakien, très faible politiquement sur la scène locale, mise sur ses atouts pour asseoir sa légitimité, à savoir sa capacité à négocier avec des acteurs divers dans l’arène internationale. S’il est très impopulaire auprès du Cadre de coordination qui le perçoit comme étant trop proche de Washington, s’il a fait l’objet en novembre 2021 d’une tentative d’assassinat imputée à des milices irakiennes pro-Téhéran, le Premier ministre a tissé une relation complexe avec la République islamique. « L’Iran traverse une lutte sur trois lignes : celle de l’État iranien, celle des pasdaran qui domine les orientations de la politique étrangère iranienne et celle des services de renseignements. L’Iran en tant qu’État n’a pas de problème avec Kazimi, puisque Téhéran est enthousiaste à l’idée d’une réconciliation avec l’Arabie saoudite et qu’il a pris conscience du niveau de relation entre Moustapha Kazimi d’un côté et Mohammad ben Salmane de l’autre », avance Ihsan al-Shammari. « Mais le conflit entre les pasdaran et les services de renseignements pèse sur les chances de Kazimi car une partie des opposants à sa reconduite sont les milices chiites loyales aux gardiens de la révolution. »

Sa stratégie à lui, c’est celle de l’équilibrisme. Depuis son arrivée à la tête de l’exécutif irakien en mai 2020 – sur la base d’un pacte tacite entre la République islamique d’Iran et les États-Unis – Moustapha Kazimi s’astreint à un subtil jeu de contorsionniste visant d’une part à approfondir les relations entre Bagdad, Washington et les pays arabes du Golfe ; et...

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