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Monde - Récit

Il y a 50 ans, la Guerre froide sur un échiquier

Retransmis à 50 millions de téléspectateurs, ce "match du siècle" entre l'Américain Bobby Fischer et le Soviétique Boris Spassky se transforme en un duel Est-Ouest, ponctué par les frasques du "phénomène" Fischer.

Il y a 50 ans, la Guerre froide sur un échiquier

Poignée de main entre l'Américain Bobby Fischer (d) et le Soviétique Boris Spassky, le 2 septembre 1992 en ex-Yougoslavie lors d'une partie d'échecs. Photo AFP

Eté 1972: la Guerre froide se joue sur un échiquier. Pendant deux mois, l'Américain Bobby Fischer et le Soviétique Boris Spassky, tenant du titre, s'affrontent au championnat du monde des échecs. Retransmis à 50 millions de téléspectateurs, ce "match du siècle" se transforme en un duel Est-Ouest, ponctué par les frasques du "phénomène" Fischer. L'AFP était présente.

"Diamétralement opposés"

D'un côté, Bobby Fischer, 29 ans, 8 fois champion des Etats-Unis. "Doté d'une énergie considérable et d'une farouche volonté de vaincre, il a remporté 101 victoires sur les 120 matches" des cinq dernières années, résume une dépêche de l'époque.

Né à Chicago en 1943, il grandit à Brooklyn. Sa soeur l'initie à 6 ans aux échecs. Il devient Grand Maître à 15 ans puis quitte l'école l'année suivante. Obstiné, ce "phénomène" n'a confiance qu'en lui-même. "Il compte très peu d'amis et ne souhaite pas s'en faire".

De l'autre côté de l'échiquier, Boris Spassky, 35 ans, un "homme de caractère diamétralement opposé", champion du monde depuis 1969. Journaliste de formation, il est marié et a deux enfants. Né à Léningrad en 1937, il est envoyé dans un orphelinat en Sibérie pendant le siège de la ville. Pur produit de l'école soviétique, il devient maître international à 16 ans, champion du monde junior à 19 ans puis Grand maître. "Modeste, bon vivant et affable, ses adversaires vantent son calme".

Caprices et contretemps

Pour la première fois depuis 1946, la finale n'est pas soviétique. Fischer est le premier Américain à disputer le titre. Il faut trouver un terrain neutre: ce sera Reykjavik en Islande. Mais Fischer multiplie les caprices avant d'accepter. Il exige une rénovation complète du Palais des Sports: moquette neuve, climatisation bloquée à 22,5 degrés, isolation phonique, caméras ultra silencieuses ...

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A la veille de la compétition, Fischer n'est toujours pas là, Spassky s'impatiente. Il faut un coup de téléphone de Henry Kissinger, conseiller de Nixon, pour que Fischer se décide. "Le 4 juillet, il apparaît fatigué à sa descente d'avion". L'après-midi, il se fait représenter à la cérémonie d'ouverture. Spassky exige des excuses. La compétition démarre le 11 juillet, avec 9 jours de retard.

"Le scandale du siècle"

Ce 11 juillet, Boris Spassky arrive "vivement applaudi" avec 20 minutes d'avance. Face à lui, la chaise de l'Américain est d'abord vide, mais Fischer finit par arriver: "il bouscule les photographes, se précipite vers Spassky, lui serre la main" et s'installe. Dans la salle pleine de 2.500 spectacteurs, le "match du siècle" commence enfin. Les deux joueurs se testent. Au bout de 28 coups, on s'attend au nul. Puis Fischer commet deux maladresses incompréhensibles. Il perd au 56e coup.

Après cet échec, Fischer refuse public et caméra et ne se présente pas à la 2e partie. "Le public est déçu et exaspéré". Spassky l'emporte par forfait et prend de l'avance. La presse dénonce le "scandale du siècle". "Après avoir réclamé la suppression des caméras, Fischer exigera, comme il l'a déjà fait, qu'on vide les premiers rangs, et il finira par demander qu'on enlève Spassky", plaisante un grand maître.

Fischer a disparu. La 3e partie est programmée deux jours après. Kissinger se fend d'un nouvel appel: "s'il vous plaît, continuez le match". Le 16 juillet, la salle est comble mais la scène est vide: les deux adversaires jouent dans une petite salle attenante. Spassky a accepté les conditions de Fischer. Certains y voient un mauvais présage. De fait, Spassky perd. Le 4e match se solde par un nul, le 5e par un abandon du Russe. Les deux hommes sont maintenant à égalité.

6e et 13e parties: matches d'anthologie

Le 6e acte est un des matchs les plus étudiés. Au 41e coup, Spassky déclare forfait. "Je suis fier de cette partie. C'est une de mes meilleures", confie Fischer à l'AFP. "Lorsque Spassky s'est joint à l'assistance pour applaudir ma victoire, j'ai pensé quel gentleman".

Dès lors, Spassky ne remportera qu'un seul match, le 11e. La 13e partie, "combat des dieux de l'échiquier" se solde par l'abandon de Spassky. "Il félicite Fischer, se rassoit et médite durant six minutes, le regard perdu sur l'échiquier".

Fischer se dirige vers la victoire. Indisposé, le Soviétique demande l'ajournement de la 14e. Puis il enchaîne sept nuls, et se trouve en grande difficulté à la 21e manche. Le 1er septembre, il renonce à reprendre la partie, ajournée la veille. L'Américain, qui dort encore, devient le 11e champion du monde des échecs. C'est la fin du règne des Soviétiques.

Dépression et disparition

Déchu, Spassky rentre à Moscou et sombre dans une dépression. Interdit de compétition, il est sous surveillance du KGB. Puis il se relève, épouse une Française en 1976 et s'installe à Paris.

Fischer, lui, ne disputera plus jamais de compétition officielle. En 1975, il refuse de défendre son titre face à Karpov et perd sa couronne. En 1992, il réapparaît pour un match revanche contre Spassky. Qu'il gagne. Complotiste, antisémite, il renonce à sa nationalité américaine pour échapper à une peine de prison au Japon. Naturalisé islandais, il y meurt le 17 janvier 2008 à 64 ans. 64, comme le nombre de cases de l'échiquier.

Eté 1972: la Guerre froide se joue sur un échiquier. Pendant deux mois, l'Américain Bobby Fischer et le Soviétique Boris Spassky, tenant du titre, s'affrontent au championnat du monde des échecs. Retransmis à 50 millions de téléspectateurs, ce "match du siècle" se transforme en un duel Est-Ouest, ponctué par les frasques du "phénomène" Fischer. L'AFP était présente."Diamétralement...

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