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Nos Lecteurs ont la Parole

Pépite d’une expatriée

Voilà un an que je regarde mon pays de loin, par télévision et L’Orient-Le Jour interposés.

Si les coups de téléphone avec mes amis restés sur place sont nombreux, ils ont évolué. Ils sont redevenus personnels sans que la situation politique du pays soit évoquée.

D’un accord tacite entre nous, nous n’en parlons même plus par allusion. Non que nous nous en désintéressions, mais qu’il est clair que malgré les élections, la politique libanaise apparaît sur place autant que vue de loin comme « business as usual ». « Rien de nouveau sous le soleil », comme disait le roi Salomon.

Et pourtant, si hors du Liban l’Ukraine a succédé au Covid dans nos inquiétudes et relégué les informations concernant notre petit pays à un entrefilet des journaux et à quelques rares mentions dans les reportages des chaînes d’info, je confesse que c’est ce qui se passe dans mon pays qui m’intéresse en premier lieu. Cependant, vu de l’étranger, j’ai appris à regarder ce qui se passe chez nous différemment. Quel pays insignifiant nous sommes dans l’échiquier régional. Échiquier est le mot exact. Certes, nous n’avons jamais été un roi ou une reine, mais nous étions une tour, forteresse solide, véritable coffre-fort, Fort Knox du Proche-Orient. Aujourd’hui, ruinés, nous sommes un pion en haillons dont tout le monde se détourne.

Regarder le Moyen-Orient avec d’autres lunettes que les lunettes foncées du Liban redonne des couleurs aux vraies pièces importantes de l’échiquier régional.

On s’habitue vite à vivre dans un pays occidental où la liberté de parole n’a pas de limite, où il n’y a pas de mot tabou pour les journalistes, où l’on peut s’exprimer sans avoir peur qu’une oreille indiscrète rapporte un propos jugé subversif ou pire irrespectueux, où l’école de mes enfants leur ouvre les yeux sur un monde cosmopolite qui les enrichit. Entendre quotidiennement les analyses des médias occidentaux sur les problèmes qui secouent notre planète en ce moment nous change des invectives quotidiennes de nos édiles pitoyables et des lénifiantes menaces dispensées du fond d’un bunker sur les chaînes libanaises.

Comme il est pénible d’assister de loin au lamentable blocage des négociations sur nos frontières maritimes au seul effet de nous maintenir en l’état de pion en haillons plutôt que de redevenir une pièce maîtresse dans le jeu qui se joue où ceux qui détiennent l’énergie sont les rois et les reines de la région…

Lire jour après jour le jeu méprisable des tractations politiques d’un gouvernement hypothétique, en se demandant si on lit les infos du jour, de la semaine dernière, du mois dernier ou de l’année dernière, tant ces manœuvres minables se reproduisent année après année dans un jeu de fractales politiques sans jamais prendre en compte les vrais besoins du peuple.

Regarder mon pays de loin, pays qui m’a rejetée, mais pays que j’ai emporté avec moi, est une étrange expérience où tendresse et colère se mélangent, où amour et haine se confondent, où intérêt et indifférence se disputent.

Après un an, le Liban ne m’a toujours pas quittée. Je suis toujours une étrangère en terre étrangère.

Notre cercle d’amis est constitué essentiellement d’expatriés du Liban et c’est avec avidité que nous attendons les amis et familles restés au pays qui nous rendent visite (après leur avoir fait la liste de ce que nous voulons qu’ils nous rapportent).

Si les Perses ont inventé le jeu d’échecs, ils ont montré qu’ils ne faisaient aucun cas de leurs pions.

Pourtant, il existe un mouvement où un pion peut redevenir une tour, voire une reine ou un roi, lorsqu’il arrive sur la dernière rangée !

Pour cela, il faut qu’il franchisse tout l’échiquier et échappe à tous les dangers. Cela est très rare et seuls des joueurs exceptionnels y arrivent. Hélas, les joueurs à la petite semaine que sont nos hommes politiques n’ont ni la classe ni la volonté d’un grand maître du jeu d’échecs, loin s’en faut !

Il semble donc qu’il me faudra me contenter de regarder la partie de loin.

Il me semble qu’il est temps que je regarde « ici » comme chez moi et le Liban comme « ailleurs ».


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Voilà un an que je regarde mon pays de loin, par télévision et L’Orient-Le Jour interposés.Si les coups de téléphone avec mes amis restés sur place sont nombreux, ils ont évolué. Ils sont redevenus personnels sans que la situation politique du pays soit évoquée.D’un accord tacite entre nous, nous n’en parlons même plus par allusion. Non que nous nous en désintéressions, mais...

commentaires (1)

""Si les Perses ont inventé le jeu d’échecs, ils ont montré qu’ils ne faisaient aucun cas de leurs pions."" Encore faut-il préciser qui sont les pions. Un avis que je partage en grande partie. Le prix payé par l'expatrié pour la liberté est exorbitant, celui de ne pas avoir son pays d'origine ni pour lui, ni pour ses enfants.

Nabil

15 h 54, le 06 juillet 2022

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Commentaires (1)

  • ""Si les Perses ont inventé le jeu d’échecs, ils ont montré qu’ils ne faisaient aucun cas de leurs pions."" Encore faut-il préciser qui sont les pions. Un avis que je partage en grande partie. Le prix payé par l'expatrié pour la liberté est exorbitant, celui de ne pas avoir son pays d'origine ni pour lui, ni pour ses enfants.

    Nabil

    15 h 54, le 06 juillet 2022

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