La société Savaro Ltd, importatrice du nitrate d’ammonium dont l’explosion dans le port de Beyrouth avait causé le cataclysme du 4 août 2020, a été sommée le 16 juin par la Haute cour de justice de Londres de dévoiler l’identité de son (ou ses) véritable(s) propriétaire(s), indique un communiqué publié vendredi par le bureau d’accusation chargé de cette affaire au Barreau de Beyrouth.
Le tribunal britannique a ainsi enjoint au prête-nom présumé de révéler cette identité dans un délai qui n’a pas été précisé mais qui ne dépasserait pas quelques semaines, suivant des sources bien informées.
L’ordonnance rendue par le tribunal britannique s’inscrit dans le cadre d’une action en responsabilité contre la compagnie, intentée il y a un peu plus de dix mois par le bureau d’accusation du barreau de Beyrouth, à travers le cabinet juridique « Dechert LLP », dont l’ancien ministre Camille Abousleiman est un membre principal.
En janvier 2021, les avocats, qui représentent pro bono plus d’un millier de victimes ou de proches de victimes, ainsi que deux parlementaires britanniques, Margaret Hodge et John Mann, avaient demandé au registre de commerce de Londres (la « Companies house » ) de suspendre la radiation volontaire réclamée par Savaro Ltd, immatriculée dans ce registre. Leur requête avait été faite afin d’empêcher que cette société échappe à sa responsabilité pour les préjudices causés par la marchandise dont elle serait propriétaire, sachant qu’une compagnie radiée ne peut être poursuivie en justice.
Suite à l’opposition présentée par le Barreau de Beyrouth, au motif que celui-ci entendait engager des poursuites contre la société, la « Companies house » avait suspendu la liquidation de Savaro en février 2021. La liquidation aurait rendu impossible toute poursuite. En janvier 2021, la femme mentionnée comme la seule propriétaire de la société auprès de la « Companies House », Marina Psyllou, avait affirmé à l’agence Reuters qu’elle agissait en tant qu’agent au nom d’autres propriétaires effectifs dont elle n’avait pas voulu divulguer l’identité. « La personne qui est et a toujours été l’ultime bénéficiaire de la compagnie est toujours la même. Mais comme vous le savez, nous ne pouvons pas divulguer son nom », avait déclaré Mme Psyllou à Reuters, sans se justifier.
Une porte vers la vérité
« Nous devrions bientôt savoir qui se cache réellement derrière les actionnaires apparents », espère le professeur Nasri Diab, un des avocats en charge du dossier, interrogé par L’Orient-Le Jour. « Cette société est pour l’instant telle une coquille vide, mais la décision de la Haute cour de justice de Londres ouvre une nouvelle porte vers la vérité, qui nous permettra notamment de demander des comptes aux vrais propriétaires du stock d’explosifs en leur demandant réparation des dommages ».
Le journaliste d’investigation Firas Hatoum avait révélé en janvier 2021 que c’est Savaro Ltd qui aurait fait la commande du nitrate d’ammonium et en aurait payé le prix. Il avait affirmé que Savaro Ltd était fictive, expliquant avoir tenté de trouver à quelle adresse elle se trouve. Le contrat de vente conclu avec une usine de fabrication de matières chimiques située en Géorgie indiquait que son siège social était à Chypre. Hatoum a fini par savoir que la société Hesco Engineering and Construction, appartenant à Georges Haswani, un homme d’affaires syrien proche du régime Assad, est à la même adresse que celle qui devait être celle de Savaro. Le journaliste a ensuite appris que la société Savaro était domiciliée en Grande-Bretagne et a cherché à s’enquérir de l’identité de la société qui partageait cette même adresse pour identifier les parties impliquées. Il est finalement apparu que toutes sont fictives, à l’exception d’une seule, IK Petroleum Industrial Company Limited, appartenant à Imad Khouri (un autre homme d’affaire syrien proche d’Assad), fondée moins d’un mois avant l’émission du bordereau d’exportation de la cargaison d’ammonium vers le Liban, selon lui.
Entre temps, l’enquête au Liban menée par le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, reste gelée. Les multiples recours portes contre lui, notamment par des responsables politiques mis en cause, proches du chef du Parlement Nabih Berry, ne peuvent être étudiés en raison du blocage de nominations judiciaires par le ministre des Finances, Youssef Khalil, également proche de M. Berry. Le ministre refuse en effet de signer le projet de décret de désignation de membres de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, chargée de statuer sur les actions en responsabilité de l'Etat contre « les fautes lourdes » de Tarek Bitar.
commentaires (6)
On ne peut pas savoir à qui appartient la compagnie avant l’enquête impossible et celui qui dirait moi je sais … en fait ne sait rien !!
Bery tus
14 h 09, le 25 juin 2022