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Lifestyle - Page Blanche

Le « dekken » du coin

Le « dekken » du coin

Photo DR

Certains quartiers de Beyrouth, et d’ailleurs, sont ce qu’ils ont toujours été. Animés, populaires. Hamra, Mar Mikhael, Mina et les rues de Tripoli, le vieux souk de Saïda, Batroun, les rues marchandes ici et là. Heureusement, on peut encore se rendre d’un point A à un point B quand on vit en ville. On y déambule aussi. Lorsqu’on me demande si, et pourquoi j’aime mon quartier, c’est pour ces raisons-là. Parce que, depuis 20 ans, j’ai fini par connaître tout le monde. Le teinturier, le pâtissier, Maroun de chez Western Union, (malheureusement) le garde de la sécurité à la banque, les voituriers de l’hôtel d’à côté, la pharmacienne, le coiffeur, les caissières du supermarché et le vieux monsieur du dekken qui me fournit aussi en bonbonnes de gaz. Ce monsieur doit avoir aux alentours de 70 ans. Il est là depuis toujours. Il a vécu la guerre, les bombardements et les francs-tireurs, la ligne de démarcation dans la rue perpendiculaire. Il a vu des gens s’installer et d’autres quitter le quartier. Il a vendu du riz à la famille du dessus qui mariait sa fille. Il connaît d’ailleurs tous les résidents des rues adjacentes à la sienne. Il s’assoit souvent dehors, à l’ombre du jacaranda, sur le trottoir en face de la devanture de son mini-market. Il le faisait, avant même qu’il y ait ces longues coupures. Il jouait au tawlé avec le couturier, devenu son ami avec le temps. Mais maintenant qu’il n’est plus là, il bavarde avec qui veut bien lui accorder quelques instants. Je le vois quasiment tous les jours, et je fais en sorte de toujours prendre quelque chose, soi-disant à la recherche d’un produit qui n’existe plus ailleurs. J’achète un shampoing que je n’utiliserai pas ; un paquet de cigarettes que je ne fumerai pas ; une petite bouteille d’eau tiède. Lorsqu’il n’a pas de monnaie, il me rend mon dû avec un Unica ou une boîte de mastic Ghandour. Sinon, il me dit de payer une prochaine fois. On est loin des 1€ manquants dans la boulangerie de la rue du Bac, à Paris. Lorsque je lui demande comment il va, il me répond « comme ça peut aller vu la situation ». Il craint de ne plus pouvoir garder son échoppe qu’il a du mal à retaper. Les murs décrépis le dépriment. Déprimé mais souriant, voilà comment il est. Tout comme le coiffeur d’en face, où le salon sent encore la laque Elnett dont il inonde le catogan volumineux de tante Samia, qui fait sa pose d’« éclat d’or » en même temps. Tous les deux potinent, inlassablement. Tante Samia sait tout de ce qui se passe dans le quartier. Le divorce du fils Itani, la faillite des Haddad et la fermeture de leur magasin de chaussures ; l’adultère de la vendeuse de journaux et l’éternel aounisme de aamo Abdo. Aamo Abdo, qui lorsque je ratais l’arrivée de l’autocar de mon fils, faisait en sorte de le faire attendre dans son One dollar shop. Il lui faisait lire un vieux L’Orient des Copains, et lui parlait musique. Évidemment, mon fils, haut comme trois pommes, ne savait pas qui était Sabah. Il lui mettait Danse danse petit lapin, chanson en français du disque pour enfants d’el-Chahroura. Ça faisait rigoler le petit, que tout le monde connaît dans le quartier. Plus que moi. Sur son trajet pour aller à l’école, lorsqu’il est devenu en âge de s’y rendre à pied, il se faisait héler par la plupart des commerçants qui n’en manquaient pas une pour lui offrir une man’ouché. « Il est trop gentil le monsieur du Furn, mam ». C’est exactement ça, ils sont tous gentils. Malgré la morosité et les difficultés du quotidien, le gars du moteur qui les arnaque, et les crottes de chien disséminées partout dans les rues. Ils sont tous aimables et bienveillants. C’est rassurant de les savoir là. De savoir qu’il y aura toujours quelqu’un pour bouger sa voiture pour que vous gariez la vôtre. Quelqu’un pour vous aider à porter les sacs du supermarché quand vous avez décidé d’y aller à pied. Quelqu’un pour vous dire que le compresseur de votre air conditionné est en train de fuir et quoi faire pour entretenir vos plantes qui se fanent.

Certains quartiers de Beyrouth, et d’ailleurs, sont ce qu’ils ont toujours été. Animés, populaires. Hamra, Mar Mikhael, Mina et les rues de Tripoli, le vieux souk de Saïda, Batroun, les rues marchandes ici et là. Heureusement, on peut encore se rendre d’un point A à un point B quand on vit en ville. On y déambule aussi. Lorsqu’on me demande si, et pourquoi j’aime mon quartier,...

commentaires (1)

Vous écrivez : "C’est exactement ça, ils sont tous gentils." Mais j'aime bien ce monde de proximité, et je le préfère à l'anonymat des grandes surfaces, où l'on se connaît, sans bien se connaître, où l'on se croise sans se rencontrer. Pour revenir à la citation, sont -ils gentils parce qu'ils sont bienveillants ? C'est toute la question. Que d'images me sont revenus en vous lisant, (avec le même plaisir), surtout pour déplacer l'auto et laisser la place à la voisine. La gentillesse des gens de chez nous, est sans arrière pensée, j'en suis persuadé.

Nabil

10 h 17, le 23 juin 2022

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Commentaires (1)

  • Vous écrivez : "C’est exactement ça, ils sont tous gentils." Mais j'aime bien ce monde de proximité, et je le préfère à l'anonymat des grandes surfaces, où l'on se connaît, sans bien se connaître, où l'on se croise sans se rencontrer. Pour revenir à la citation, sont -ils gentils parce qu'ils sont bienveillants ? C'est toute la question. Que d'images me sont revenus en vous lisant, (avec le même plaisir), surtout pour déplacer l'auto et laisser la place à la voisine. La gentillesse des gens de chez nous, est sans arrière pensée, j'en suis persuadé.

    Nabil

    10 h 17, le 23 juin 2022

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