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La condition oubliée sans laquelle le Liban ne peut exister

La condition oubliée sans laquelle le Liban ne peut exister

La plaque commémorative à la Résidence des Pins où le général français Henri Gouraud a déclaré la création du Grand Liban en septembre 1920. Patrick Baz/AFP

L’Europe s’est construite suite aux guerres de religions entre catholiques et protestants, la guerre de Cent Ans et la guerre de Trente Ans, qui l’ont décimée avec plus de 5 millions de morts, et ce avant l’apparition du progrès technique dans les armes… Il y eut la sagesse de quelques-uns pour se réunir à Westphalie en Autriche afin de voir dans quelle mesure et sous quelles conditions juridiques un catholique et un protestant pourraient vivre ensemble sous la même loi et le même État. Les discussions et négociations durèrent cinq ans. Finalement, un traité en est sorti, le premier de droit international public. Ce traité de Westphalie mit fin à la guerre de Trente Ans et aux guerres interchrétiennes, catholiques contre protestants, et a permis de mettre en place les modalités juridiques de la vie en commun et du vivre-ensemble au sein d’un même État avec des communautés religieuses différentes.

Ainsi, à partir du traité de Westphalie, qui est exemplaire et fondamental, il est possible de construire un nouveau contrat social au Liban qui permettrait à des communautés, aussi différentes que la chrétienne, la sunnite, la chiite et la druze, de vivre ensemble au sein d’un même État et d’être soumises aux mêmes lois.

Depuis le XVe siècle, le Liban a commencé par une volonté

druzo-chrétienne de construire une nation, qui s’est manifestée pour la première fois avec le maître spirituel des druzes Abdallah al-Tannoukhi. Ainsi, avec le temps et quelque 150 ans plus tard, une confiance commença à s’établir entre druzes et chrétiens pour adhérer au même projet d’une nation indépendante sous la bannière des chefs druzes Fakhreddine Ier et II qui luttèrent contre la mainmise de l’Empire ottoman sur le Liban. Ainsi, l’émirat du « Mont-Liban » commença à exister, même s’il était sous la juridiction ottomane, et demandait sa différentiation et sa sortie de la juridiction de la wilaya de Damas ou de Bilad ech-Cham. La lutte contre les Turcs pour l’indépendance du Mont-Liban fut longue et dura plus de 400 ans. C’est au XIXe siècle, précisément en 1842, suite à la mort de l’émir Bachir, que les bases du Liban moderne furent constituées au sein de la création du Conseil administratif du Mont-Liban (CAML). Ce CAML s’inspira de lois issues des « tanzimate ottomanes » pour partager les fonctions administratives de ce nouveau Conseil entre les confessions dans un système dit de « caïmacamat », sorte de système fédéral et cantonal druzo-chrétien de partage du Mont-Liban. La notion de compétence n’existait pas encore à cette époque et ne prenait pas le dessus sur celle de confession religieuse, à laquelle les instances religieuses de part et d’autre étaient encore très attachées dans leur volonté de contrôler le pouvoir via un pacte implicite avec les grandes familles du Mont-Liban, système très féodal. Ce premier « péché » de mélange entre religions et fonctions administratives fut accentué par la course impérialiste anglo-française au sein du monde ottoman, et plus spécifiquement au Liban où l’Europe voyait un grand potentiel de pénétration en Orient. Les premières disputes druzo-chrétiennes se sont transformées en massacres des chrétiens en 1860, et l’armée française de Napoléon III est intervenue afin d’y mettre fin.

Par la suite, un système dit de

« moutassarrifiya » fut mis en place avec un pacha ottoman, mais chrétien, qui pouvait garantir à la communauté chrétienne une certaine sécurité et qui dura jusqu’à la Première Guerre mondiale. Durant cette guerre, les Ottomans décidèrent de faire un blocus sur le Mont-Liban afin de « punir » les chrétiens de leur adhésion au projet européen antiottoman. Avec, en plus, un blocus européen sur les Ottomans et l’invasion de sauterelles qui décimèrent les récoltes, la moitié de la population chrétienne étant morte de faim (quelque 400 000 morts). Par crainte d’une répétition de cette famine et du génocide arménien qui avait eu lieu en 1917, le patriarche maronite Hoayek demanda à la France l’extension du Mont-Liban au Grand Liban intégrant la Békaa et le Akkar, ainsi que les villes côtières, dont Beyrouth, Tripoli, Sidon et Tyr, et la partie du sud du Liban, insistant sur les frontières naturelles par les fleuves et rivières du Liban, et les montagnes de l’Anti-Liban.

Ainsi, la France accepta et adhéra à cette idée, mais considéra avec justesse qu’il était nécessaire d’y avoir un mandat afin de construire les fondements de cet État. Le Liban fut construit sur une fausse base, sans laquelle il n’était nullement acquis que les communautés musulmanes, sunnite ou chiite, nouvellement intégrées dans ce nouvel ensemble dit du Grand Liban, puissent adhérer au concept de « patria » et non pas au concept de oumma, qui est un concept de communauté dans son ensemble faisant passer en priorité le « frère » de la même communauté avant la citoyenneté et l’adhésion à la patrie libanaise. Ce point n’a été perçu ni par la France ni par les autorités religieuses chrétiennes ou musulmanes. Cela déboucha sur une sorte d’hypocrisie générale où chaque communauté confessionnelle passe avant l’État, l’intérêt général n’existant plus.

Force est de constater qu’un travail juridique sur un « traité de Westphalie » sunnite-chiite-chrétien-druze n’a jamais été fait quand le Liban a été créé en 1920 comme un nouvel État issu d’une volonté de la population et d’un désir maronite. Ainsi, l’islam sunnite particulièrement, et chiite par la suite, a toujours considéré le Liban comme le fruit d’un impérialisme occidental « chrétien » qui ne correspondait pas à ses propres aspirations profondes se rattachant à leur oumma plutôt qu’à une « patria ». De même, l’adhésion au projet Liban était mort-née depuis 1920, faute de traité juridique international à la « Westphalie » pouvant garantir l’adhésion de toutes les communautés religieuses aux concepts de nation et de patrie « finale » libanaise.

En effet, la communauté sunnite se sentait attachée à une Grande Syrie englobant la Syrie, la Jordanie, le Liban et la Palestine, et au projet d’un grand État arabe voulu par le roi Fayçal d’Arabie dans ses négociations avec les Anglais à la fin de la Première Guerre mondiale. Cette idée d’une grande nation arabe, ou de « Grande Syrie », laïque resta dans les idées d’intellectuels chrétiens arabes, comme Antoun Saadé et Michel Aflak qui sont à la base de la création du parti Baas en Syrie et en Irak.

Par la suite, avec la guerre du Liban de 1975 à 1990, les chrétiens du Liban ont perdu leur autorité sur le Liban, et le nouveau contrat social dit de l’accord de Taëf a pris une tournure de fin d’arbitrage des affaires de l’État libanais par le président chrétien, avec plus de pouvoirs au Premier ministre sunnite et au président de la Chambre chiite, créant une sorte d’accentuation des partages de gâteau au détriment de l’État.

Ni les Français, en 1920 et durant leur mandat sur le Liban ni la guerre du Liban n’avaient pu éliminer le système du partage confessionnel au détriment de l’État libanais,

Depuis la création d’un État théocratique chiite en Iran en 1979 et du Hezbollah au Liban dans les années 1980, et avec la présence du parti Amal, la communauté chiite préféra l’appui de la puissance iranienne à celle du Liban. L’idée d’une oumma chiite ayant pour parrain l’Iran se faisait parallèle à l’idée d’une oumma sunnite ayant pour parrain l’Arabie saoudite. Ainsi, chaque communauté religieuse avait son mentor en puissance tirant les rênes du pouvoir au Liban, et ce au détriment d’une adhésion à une patrie commune.

La faillite de l’État, de ses institutions et de son système confessionnel, ainsi que le partage du pouvoir et du gâteau ont pour origine, certes, une corruption multiple : une non-

séparation de l’État des religions, une non-séparation des pouvoirs, une non-indépendance de la justice, une non-indépendance de la banque centrale obligée de financer les déficits budgétaires d’un État. Le manque de contrôle financier et son blocage par des politiciens mafieux aux rênes du pouvoir depuis Taëf sont révélateurs de cette corruption.

La condition pour que le Liban puisse exister un jour est qu’il y ait un nouveau contrat social qui soit un traité de droit international public, à l’instar du traité de Westphalie, un traité juridique clair qui permettrait à des confessions chrétiennes et musulmanes, sunnite, chiite ou druze, de vivre ensemble dans un même État considéré comme « patria » finale.

Tant que ce nouveau contrat social et juridique n’existe pas, que les contrôles sur les politiciens et les fonctions étatiques ne sont pas garantis, et que les politiciens se considèrent au-dessus des lois par leur immunité et le secret bancaire, alors le Liban ne peut exister.

Ce n’est qu’à travers la séparation de la politique et de l’argent, avec un contrôle strict des comptes des politiciens et de ceux de l’État, qu’un possible Liban peut exister et que la notion de citoyen peut se manifester en priorité à une appartenance confessionnelle, où les notions de compétence, d’expérience et d’honnêteté, de vision et de programmes, permettront de mettre en place une véritable « patria ».


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

L’Europe s’est construite suite aux guerres de religions entre catholiques et protestants, la guerre de Cent Ans et la guerre de Trente Ans, qui l’ont décimée avec plus de 5 millions de morts, et ce avant l’apparition du progrès technique dans les armes… Il y eut la sagesse de quelques-uns pour se réunir à Westphalie en Autriche afin de voir dans quelle mesure et sous quelles...

commentaires (3)

le liban fut construit sur des fondations branlantes, comme un chateau de sable quoi. de plus il le fut il y a de cela un million d'annees s'il faut tenir compte de l'evolution du monde en general. le probleme est qu'on y tient encore a ce jour !

Gaby SIOUFI

10 h 11, le 22 juin 2022

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Commentaires (3)

  • le liban fut construit sur des fondations branlantes, comme un chateau de sable quoi. de plus il le fut il y a de cela un million d'annees s'il faut tenir compte de l'evolution du monde en general. le probleme est qu'on y tient encore a ce jour !

    Gaby SIOUFI

    10 h 11, le 22 juin 2022

  • Un petit extrait : "Il y eut la sagesse de quelques-uns pour se réunir à Westphalie en Autriche afin de voir dans quelle mesure et sous quelles conditions juridiques un catholique et un protestant pourraient vivre ensemble sous la même loi et le même État". Donc, quelques sages se sont réunis (à ?) Westphalie en Autriche. Où ? en Autriche, plus précisément en Westphalie ! Il faut apporter cette précision : Les traités de paix de Westphalie, signés à Münster et à Osnabrück, donc en Allemagne, et publiés le 24 octobre 1648. Mais à quand remonte la notion fourre-tout du "vivre-ensemble", ça, il faut chercher dans les dictionnaires pour avoir un élément de réponse. Avec un chouïa d’ironie, cette morale : "le lecteur n’est pas responsable de ses lectures".

    Nabil

    01 h 24, le 22 juin 2022

  • Moi je suis pour le MONT LIBAN

    Eleni Caridopoulou

    01 h 08, le 22 juin 2022

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