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Moyen-Orient - Éclairage

Moqtada Sadr plonge un peu plus l’Irak dans l’inconnu

La démission des députés sadristes hier interroge à la fois sur les ambitions de leur chef, les nouvelles alliances envisageables et la possibilité de nouvelles élections. 

Moqtada Sadr plonge un peu plus l’Irak dans l’inconnu

Un partisan du clerc chiite irakien Moqtada al-Sadr tient sa photo lors d'une célébration après que le parlement irakien a adopté une loi criminalisant la normalisation des relations avec Israël, à Bagdad, en Irak, le 26 mai 2022. REUTERS/Thaier Al-Sudani

Après le temps du blocage, voici venu celui de la spirale descendante. Les 73 députés sadristes au sein du Parlement irakien ont présenté hier leur démission à la demande de leur chef, le clerc chiite Moqtada Sadr, plongeant un peu plus le pays dans l’inconnu. Certes, il s’agit officiellement de mettre un terme à l’impasse politique qui dure depuis le scrutin législatif tenu il y a huit mois, en octobre 2021, à l’issue duquel le mouvement sadriste était arrivé largement en tête. Et la manœuvre pourrait à première vue paraître banale venant d’un Moqtada Sadr habitué des volte-face et des coups d’éclat. Mais ses humeurs pourraient cette fois-ci avoir des conséquences bien plus lourdes que son retrait provisoire du processus de formation du gouvernement à la fin du mois de mars. « Ce serait la première fois que les sadristes n’ont pas de représentation parlementaire », explique à L’OLJ Farhad Alaaldin, directeur de l’Iraqi Advisory Council, rappelant par ailleurs, dans un tweet publié lundi matin, que ce cas de figure n’avait jamais eu lieu depuis 2006. Le courant sadriste s’était auparavant retiré du gouvernement en 2010, 2014 et 2018, mais jamais de la Chambre des représentants. « Il y a plusieurs points de vue légaux en ce moment concernant le caractère officiel ou non de cette démission, commente pour sa part le politologue Hamzé Haddad. Beaucoup pensent que cela requiert un vote du Parlement et que, dans ce cas, (les sadristes) sont toujours députés. »

Sacrifice
Depuis sa victoire d’octobre, Moqtada Sadr – de concert avec ses alliés sunnites et kurdes, à savoir Mohammad el-Halboussi à la tête de la Coalition de la souveraineté et l’homme d’affaires Khamis el-Khanjar pour les premiers ; et le KDP de Massoud Barzani pour les seconds – tente d’imposer un gouvernement de majorité dans un pays qui, depuis l’invasion américaine en 2003 et le renversement de Saddam Hussein, était rodé au consensus. Forcément, ses adversaires du Cadre de coordination chiite (CCC), dont fait partie l’Alliance du Fateh – bras politique de la coalition paramilitaire d’al-Hachd ach-chaabi (PMF) majoritairement liée à l’Iran – ne l’entendent pas de cette oreille. Et ce d’autant plus que le Fateh est sorti laminé des urnes et que lui et ses alliés se sont pas disposés à rejoindre les rangs de l’opposition.

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« Nous avons accepté à contrecœur les demandes de démission de nos frères et sœurs représentants du bloc sadriste », a déclaré le président du Parlement Mohammad el-Halboussi sur Twitter après avoir reçu les lettres de démission des 73 parlementaires. Une menace que faisait déjà planer Moqtada Sadr depuis quelques jours. Jeudi, le leader populiste avait en effet exhorté les députés de son bloc, soit le plus grand du Parlement, à se retirer prochainement. Lundi, il a qualifié sa démarche de « sacrifice pour le pays et le peuple afin de les débarrasser du destin inconnu ». Ironiquement pourtant, jamais, depuis le scrutin d’octobre, l’avenir n’avait paru si flou. Car, d’après la loi irakienne, si un siège au Parlement devait se trouver vacant, c’est alors au deuxième candidat ayant obtenu le plus de voix dans la même circonscription qu’il devrait revenir. La porte ouverte à des gains pro-iraniens que Moqtada Sadr peut, théoriquement, difficilement accepter. Milicien et politicien à la fois, chantre d’un nationalisme chiite antiaméricain et distant de Téhéran, il semble depuis peu appuyé à demi-mot et à reculons par Washington et Riyad qui voient en lui le seul capable de contenir l’hégémonie de la République islamique dans le pays.

Croisade
Pour certains analystes, le retrait des sadristes est un aveu d’échec, la confirmation publique par Moqtada Sadr qu’il est impossible de former un gouvernement loin des poulains de Téhéran. Mais Téhéran et ses alliés irakiens du CCC peuvent-ils se permettre une relégation du vainqueur des élections hors du circuit politique officiel alors qu’il est le seul dans le pays à pouvoir mobiliser dans la rue des centaines de milliers de partisans ? Armé jusqu’aux dents, le mouvement est aussi en capacité d’envoyer ses affidés à la bagarre avec d’autres groupes armés proches de l’Iran. Si, en apparence, le retrait des sadristes confère de facto une majorité au bloc pro-iranien, il s’agit – semble-t-il – d’un cadeau empoisonné. Car, pour la République islamique et ses proxies, la meilleure option dans les circonstances actuelles est celle du consensus : avec eux ; avec Sadr. « Le pire scénario pour Téhéran en Irak est une guerre intrachiite. La crise de Bagdad est avant tout un combat politique intrachiite. Téhéran tentera de contenir cette crise et, si nécessaire, d’utiliser la violence afin d’augmenter pour Sadr les coûts de sa manœuvre d’escalade, analyse Randa Slim, directrice du programme Conflict Resolution and Track II Dialogues au Middle East Institute. La question qui demeure est : que feront ensuite les alliés sunnites et kurdes de Sadr ? Téhéran cherchera également à travailler avec eux dans leurs efforts pour contenir Sadr. »Si la décision sadriste est actée, il faudra alors suivre de près les tractations entre le bloc parlementaire du Cadre de coordination et ces anciens partenaires du clerc afin d’envisager les compromis possibles, notamment concernant la présidence et les rivalités dans l’arène politique kurde opposant le KDP au PUK, proche du CCC. Une rencontre est prévue prochainement à Erbil entre Mohammad el-Halboussi, Khamis el-Khanjar et Massoud Barzani. « On finira par savoir ce que Sadr a en tête, mais le moment choisi semble être mû par la volonté de rejeter la responsabilité de l’absence de formation de gouvernement sur les autres partis chiites », avance Hamzé Haddad.

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Avant les élections d’octobre, le trublion de la scène politique irakienne avait annoncé son retrait des législatives pour divertir l’attention à la suite d’incendies d’hôpitaux et du fait de la déliquescence des services d’électricité, deux ministères aux mains des sadristes… D’aucuns doutent ainsi non seulement du caractère irrévocable de ce nouveau coup, mais également de la volonté réelle de Moqtada Sadr de former un gouvernement de majorité. Car, même s’il y parvenait, cela l’exposerait davantage et ne lui permettrait plus de partir discursivement en croisade contre la corruption et l’incompétence des pouvoirs publics auxquelles le mouvement sadriste participe à grande échelle, mais de manière plus discrète que d’autres formations politiques. « S’il était sérieux à propos de sa volonté de former une opposition au gouvernement, il aurait alors sûrement fait en sorte que ses députés deviennent l’opposition et aurait permis aux autres partis politiques chiites de former un gouvernement plutôt que de pousser ses parlementaires à se retirer, analyse Hamzé Haddad. Il est possible qu’il essaye de gagner du temps pour négocier un gouvernement de consensus. » Cette récente initiative aurait alors pour but de le soustraire à la critique si un gouvernement de consensus est formé, « puisqu’il pourra prétendre qu’il est allé jusqu’à faire démissionner ses députés ». Depuis octobre 2021, les législateurs ont déjà échoué trois fois à élire un nouveau président, étape-clé avant la nomination d’un Premier ministre et la mise en place d’un gouvernement. Si l’impasse se poursuivait, de nouvelles élections pourraient être organisées. Mais il faudrait, pour cela, que les députés dissolvent le Parlement.

Après le temps du blocage, voici venu celui de la spirale descendante. Les 73 députés sadristes au sein du Parlement irakien ont présenté hier leur démission à la demande de leur chef, le clerc chiite Moqtada Sadr, plongeant un peu plus le pays dans l’inconnu. Certes, il s’agit officiellement de mettre un terme à l’impasse politique qui dure depuis le scrutin législatif tenu il y a...

commentaires (2)

Ce qui se passe en IRAQ est en fait un modele de ce qui se passera au Liban... Pas de gouvernement, et pas de President de la Republique....

IMB a SPO

17 h 42, le 14 juin 2022

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Commentaires (2)

  • Ce qui se passe en IRAQ est en fait un modele de ce qui se passera au Liban... Pas de gouvernement, et pas de President de la Republique....

    IMB a SPO

    17 h 42, le 14 juin 2022

  • Ça c’est un vrai patriote Irakien !! Bcp chez nous devrait suivre cet exemple mais malheureusement chez nous, nous n’avons que des suiveurs et non des leaders

    Bery tus

    02 h 32, le 14 juin 2022

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