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Moyen-Orient - Polémique

New Delhi à l’épreuve d’une crise diplomatique avec les pays du Golfe

Le gouvernement de New Delhi s’efforce de réparer les dégâts causés par les propos insultants tenus par certains dirigeants du parti au pouvoir à l’encontre du prophète Mohammad, déclenchant un incroyable tollé dans le monde musulman.

New Delhi à l’épreuve d’une crise diplomatique avec les pays du Golfe

Des étudiants de l’université Jamia Millia Islamia brûlent un épouvantail à l’effigie de la porte-parole du Parti Bharatiya Janata (PBJ), Nupur Sharma, et du chef du BJP Naveen Jindal, exigeant leur arrestation pour leurs commentaires sur le prophète Mohammad. Anushree Fadnavis/Reuters

Narendra Modi est à l’épreuve d’un monde musulman qui bouillonne de colère. Depuis dimanche, notamment sur les réseaux sociaux, des critiques d’une rare virulence à l’encontre du parti indien au pouvoir affluent de toutes parts. En cause : les propos sur l’islam tenus par deux haut placés du parti nationaliste hindou, le parti Bharatiya Janata (PBJ). Se sentant insultée, la communauté musulmane d’au moins 16 pays, notamment dans le Golfe, s’est empressée de monter au créneau pour faire part de son indignation.

À l’instar du Qatar, où les deux hashtags #AnyoneButTheProphetOrModi (« Tout le monde sauf le Prophète ou Modi ») ou #BoycottIndianProducts (« Boycottez les produits indiens ») monopolisent Twitter, alors que le vice-président indien Venkaiah Naidu se rendait à Doha pour renforcer les liens commerciaux entre les deux pays.

Lors d’un débat télévisé le 27 mai dernier et sous le coup de la colère alors que son dieu Shiva était moqué selon elle, l’ancienne porte-parole du gouvernement Nupur Sharma s’est emportée, critiquant vivement la relation que le prophète Mohammad entretenait avec sa femme Aïcha, encore une enfant au moment de leur mariage. Summum du blasphème atteint lorsqu’une semaine plus tard, un second membre du PBJ, ancien chef du département des médias, Naveen Kumar Jindal, réitère sur son compte Twitter les insultes à l’encontre du prophète Mohammad. « Les tweets offensants ne reflètent en aucun cas les vues du gouvernement indien. Des mesures énergiques ont déjà été prises à l’encontre de ces personnes par les organes compétents. L’Inde accorde le plus grand respect à toutes les religions », a déclaré dimanche le porte-parole du ministère indien des Affaires étrangères, Arindam Bagchi. Une réaction de la part du parti qui ne semble pas apaiser les États du Golfe, alors que les persécutions systématiques visant la minorité musulmane en Inde se multiplient dans le pays.

Sentiment antimusulman

« Insulter le prophète Mohammad est une ligne rouge et rappelle d’autres épisodes qui ont eu lieu avec le Danemark (Jyllands-Posten) ou la France (Charlie Hebdo) », souligne Hasan Alhasan, chargé de recherche sur la politique du Moyen-Orient à l’Institut international d’études stratégiques (IISS) et spécialiste de la politique étrangère indienne dans le Golfe. « Il y a une forte demande de la part des populations des pays musulmans pour tenir une position forte et prononcée concernant ce genre d’insultes », poursuit-il. Le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe (CCG) – regroupant les six monarchies pétrolières de la péninsule –, Nayef Falah al-Hajraf, a fortement « condamné, rejeté et dénoncé » ces propos. Au moins quatre pays, dont l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Iran et le Koweït, ont déposé des protestations officielles et convoqué les ambassadeurs indiens de leurs pays pour réclamer des excuses.

Pour l’Organisation de la coopération islamique (OCI) et ses 57 États membres, ces propos « insultants » s’inscrivent plus largement dans un « contexte d’islamophobie en Inde ».

En interne, les réactions ne sont pas moins virulentes. L’affaire a déclenché la semaine dernière de violents affrontements dans les rues entre des centaines de musulmans et d’hindous dans la ville de Kanpur, dans l’État de l’Uttar Pradesh, au nord du pays. Si un couvre-feu a été immédiatement imposé, au moins 40 personnes ont été blessées et une douzaine arrêtées. L’intégration croissante d’un sentiment antimusulman en Inde, véhiculée par les politiques du Premier ministre et accompagnée de violences récurrentes de la part de milices extrémistes hindoues, ne fait qu’accroître les tensions religieuses enracinées dans la société indienne. Depuis plusieurs années, affirmant que certains lieux de culte musulmans ont été construits en démolissant des temples, des groupes hindous radicaux revendiquent l’utilisation de ces lieux sacrés pour prier. Parmi eux, la mosquée Gyanvapi, érigée au XVIIe siècle dans l’antique cité de Varanasi au nord du pays, ou encore l’illustre Taj Mahal, qui serait également dans le viseur des ultranationalistes. Des batailles judiciaires très sensibles, perçues comme tentant de priver les musulmans de leurs lieux de culte et qui ravivent perpétuellement les tensions religieuses dans le pays. La destruction en 1992 de la mosquée Babri Masjid d’Ayodhya, bâtie au XVIe siècle, avait provoqué de sanglantes émeutes interconfessionnelles, provoquant la mort de plus de 2 000 personnes, en majorité de confession musulmane.

Limiter les dégâts

« La stratégie du gouvernement de Modi sur cette affaire qui n’est pas nouvelle est d’apaiser ses partenaires arabes et musulmans sur le plan bilatéral d’une part, tout en évitant de s’aliéner ses concitoyens indo-nationalistes les plus radicaux », explique Hasan Alhasan. Entre 2020 et 2021, le commerce entre l’Inde et le Conseil de coopération du Golfe s’élevait à environ 90 milliards de dollars. Depuis sa réélection en 2015, Narendra Modi a fait du renforcement des liens économiques avec les pétromonarchies, principales sources d’importation de carburant du pays, un point central de sa politique étrangère. Des tentatives d’apaisement de la part du BPJ qui n’empêchent pas l’intensification des appels au boycott des produits indiens dans les pays du Golfe. « Blesser nos sentiments religieux peut avoir un impact direct sur les liens économiques », a déclaré un haut fonctionnaire de l’ambassade du Qatar à New Delhi. Au Koweït, un supermarché de la chaîne al-Ardiya Cooperative Society boycotte depuis dimanche les produits indiens, une mesure que la plus grande chaîne du pays envisage d’appliquer potentiellement à l’échelle nationale.

Ces sanctions semblent néanmoins se limiter aux décisions d’acteurs privés de la société civile. « L’Inde a une population musulmane extrêmement importante et une grande partie des Indiens commerçant avec la région sont des musulmans. Imposer ce genre de sanction n’aurait aucun sens, ce serait une punition collective, remarque Hasan Alhasan. Je ne pense pas que des boycottages seront imposés de façon officielle par les gouvernements. » Alors que la minorité musulmane représente environ 13 % de la population en Inde, soit près de 200 millions de personnes, la diaspora indienne constitue la plus grande communauté d’expatriés dans chaque pays membre du CCG, 8 millions au total, rendant d’autant plus compliqué un boycott de ces produits. Chaque année, les Indiens vivant dans le Golfe envoient environ 35 milliards de dollars en transferts de fonds à leur famille en Inde, faisant ainsi vivre près de 40 millions de personnes dans leur pays natal.

Mais si des sanctions économiques officielles semblent peu probables, le coût diplomatique de cette affaire, qui pourrait affecter les intérêts de l’Inde dans la région sur le long terme, reste incertain. « Depuis 2015, la stratégie du PBJ consiste à essayer de séparer l’agenda politique domestique, souvent antimusulman mais aussi et surtout antiminorité et très polarisant, des relations extérieures qu’il construit avec les pays du Golfe. En insultant le prophète Mohammad si ouvertement à la télévision, les anciens membres du parti ont attiré beaucoup d’attention internationale, mettant fin à cette stratégie de dissociation », analyse Hasan Alhasan. Une politique d’équilibriste du Premier ministre consistant à jouer sur deux tableaux qui pourrait être difficile à tenir.

Narendra Modi est à l’épreuve d’un monde musulman qui bouillonne de colère. Depuis dimanche, notamment sur les réseaux sociaux, des critiques d’une rare virulence à l’encontre du parti indien au pouvoir affluent de toutes parts. En cause : les propos sur l’islam tenus par deux haut placés du parti nationaliste hindou, le parti Bharatiya Janata (PBJ). Se sentant insultée, la...

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