Hommages

Un sociologue éclaireur des dérives et normes du pluralisme

C’est avec Melhem Chaoul, qui n’est plus de ce monde, que la sociologie est intégrée à la vie, la réflexion et toute analyse d’un fait, tout fait sans exception. Melhem Chaoul réfléchit et pense sans dogmatisme, sans idéologie, sans palabres en vogue sur le marché des opinions, à propos des communautés, le pluralisme, la paix civile et la gouvernabilité d’une société complexe dans un environnement hostile, non démocratique ou en transition démocratique.

Des sociologues au Liban et dans le monde arabe suivant les classifications académiques nient, les uns par jacobinisme, la diversité culturelle au Liban ! D’autres, par idéologie, dramatisent la diversité culturelle !

Melhem Chaoul fait partie de la génération des grands pères fondateurs de la sociologie dont, au Liban, Sélim Abou, Mounir Chamoun, Toufic Touma, César Nasr…

Avec le départ de Melhem Chaoul, je crains que ce soit la nécrologie au Liban de la sociologie des pères fondateurs, de la socianalyse qu’il faut introduire dans toutes les disciplines et pour l’étude de tout problème.

Je le connais depuis les années 1970, puis dans notre engagement continu à la Fondation libanaise pour la paix civile permanente en faveur de la paix civile musclée, donc sans chantage, ni dialogues cosmétiques. Ses analyses que je retrouve désormais dans les publications de la Fondation depuis 1988 et aussi dans notre programme sexennal en quatre volumes, La Génération de la relève (1988-1995), sont des plus pertinentes et prémonitoires à propos des conflits internes et composés au Liban.

Avec son départ j’ai surtout la nostalgie de la sérénité dans tous nos débats et échanges, à la manière des dialogues (dialogus) d’autrefois, dans le style des Grecs et des Romains, le souci de la recherche du vrai et non de la justification, du partage non enfermé dans l’habitus mental, suivant l’analyse de Pierre Bourdieu, donc l’analyse plongée dans la problématique culturelle.

Ses analyses sur les conflits composés dans des stratégies à la fois internes et régionales, au Liban en particulier, et sur les dérives et normes de régulation du pluralisme culturel et religieux au Liban, sont d’une lucidité, d’une profondeur et d’un pragmatisme opérationnel extraordinaire. Dans « Le dispositif de la guerre au Liban : Fonction de réduction », étude publiée dans notre ouvrage Le Droit à la mémoire (1988, pp. 39-60), il écrit :

« La guerre du Liban contrairement aux apparences est une guerre bien contrôlée et maîtrisée. Elle est au service de ceux qui savent l’utiliser et en profiter. C’est justement ce côté fonctionnel de la guerre libanaise qui n’a pas encore été profondément étudié. Car c’est en essayant de comprendre à quoi elle sert qu’on peut faire en sorte qu’elle ne serve plus. »

Son intérêt au départ pour le golfe Arabo-Persique s’intègre dans l’étude des conflits en perspective interne et régionale. Dans son étude « La stratégie dans la région du golfe Arabo-Persique » (Panorama de l’actualité, no 35, 1984, pp. 13-32), on lit :

« Un État ou un régime utilise une minorité dans sa politique conflictuelle avec un autre État ou un autre régime (…) pour perturber la sécurité des uns et des autres (…). Dans le programme sexennal La Génération de la relève (1988-1995), il écrit sous le titre « État de la société au Liban au prisme des régions et des communautés » : « Des valeurs morales rigides dominantes, au niveau de presque toutes les régions, favorisent le collectif (…). Le recul de l’attachement au sentiment de liberté est alarmant. » (vol 1, pp. 131-142).

Sous le titre « La socialisation politique au Liban : bilan de cinq enquêtes et de témoignages », il écrit : « Comment la socialisation politique au Liban traite le thème de l’identité et de la patrie ? Une mise au point s’impose, en rapport avec notre problématique de la discordance entre l’exprimé discursif et la complexité du vécu. » (vol. 2, pp. 101-112).

Sous le titre « Les valeurs diffusées par les médias au Liban : La crise du message et de son contenu », il observe : « Le comportement médiatique s’acharne contre la carence de l’État oubliant que ce rôle déficitaire résulte de la conception que les médias eux-mêmes se font de celui-ci. Jamais dans l’édifice médiatique des valeurs civiques au Liban, il n’a été question de devoirs des groupes, des strates et des individus envers l’État. » (vol. 3, pp. 151-160).

On est souvent débordé au Liban de productions (je ne dis pas recherches), palabres, polémiques et diversions sur les superstructures institutionnelles et on néglige les racines culturelles des comportements. Les sources profondes du désastre au Liban, depuis surtout les années 2016, résident dans la culture, les mentalités, les mémoires fragmentées, la psychologie historique, les processus de socialisation, d’acculturation et d’inculturation de l’État, l’État libanais, pas ceux des jacobins, ni des idéologues. Un vide que laisse Melhem Chaoul et à combler dans des programmes d’avenir culturels et éducatifs.

C’est avec Melhem Chaoul, qui n’est plus de ce monde, que la sociologie est intégrée à la vie, la réflexion et toute analyse d’un fait, tout fait sans exception. Melhem Chaoul réfléchit et pense sans dogmatisme, sans idéologie, sans palabres en vogue sur le marché des opinions, à propos des communautés, le pluralisme, la paix civile et la gouvernabilité d’une société complexe...

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